: Reportage Présidentielle en Turquie : après la victoire de Recep Tayyip Erdogan, le pays plus divisé que jamais
En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan se succède à lui-même pour un troisième mandat, après plus de 20 ans à la tête du pays. Il a récolté quelque 52% des suffrages, dimanche 28 mai, lors du second tour de l'élection présidentielle qui l'opposait à Kemal Kiliçdaroglu, le candidat d’une opposition unie pour la première fois.
Au lendemain de cette victoire, ce sont presque deux pays qui se font face, presque équivalents : 27,7 millions de voix pour Recep Tayyip Erdogan contre 25,4 pour son adversaire, soit à peine 2,5 millions de voix d'écart dans un pays qui compte plus de 64 millions d'électeurs. Les électeurs de l'AKP ont d'ailleurs bruyamment célébré la victoire dès l'annonce des résultats, se félicitant d'avoir "récupéré le pays des mains des traîtres à la patrie". Deux Turquie qui sont aussi le résultat de la stratégie de campagne et de la manière de gouverner depuis 20 ans du président réélu. Il n’a eu de cesse d’attiser les divisions : entre musulmans et laïcs, entre sunnites et alévis, entre Kurdes et Turcs. Dimanche soir, lors de son discours de victoire, Recep Tayyip Erdgoan a de nouveau fustigé les minorités sexuelles et fait huer le dirigeant kurde emprisonné Selahattin Demirtas. D'ailleurs, dans la foule, des cris de "mort à Demirtas" se sont fait entendre, que le président réélu n'a pas pris la peine d'apaiser.
Ces deux Turquie vont donc continuer à se côtoyer sans se comprendre. Et la répartition territoriale est nette. Kemal Kiliçdaroglu l'a emporté dans les capitales politique et économique du pays, Ankara et Istanbul, ainsi que dans la partie est de la Turquie, où se trouvent les Kurdes. Le candidat de l'opposition l'emporte aussi dans les régions littorales, tandis que le président réélu conserve sa domination sur les régions plus rurales du centre du pays.
"S'il gagne toutes les élections depuis 20 ans, il y a une raison"
Dans les bureaux de vote, ces deux Turquie se sont retrouvées, sans se comprendre. Une scène l'illustre. Zeynep est en train d'expliquer pourquoi elle vient de glisser un bulletin Kiliçdaroglu dans l'urne. "Les droits humains sont piétinés, il n'y a aucune justice. Le moindre procès, même le plus insignifiant, dure 10 à 12 ans, fustige cette retraitée. Les gens sont enfermés en prison sans raison. Il y a des meurtres extra-judiciaires. Rien de tout cela ne devrait exister. Tout le monde doit se mettre en ordre et travailler pour le bien du pays. On doit améliorer la conscience des gens." Mais son discours n'a pas plu à un autre électeur, Mouhcine, rétraité également, qui tendait l'oreille. "Si depuis 20 ans, il gagne toutes les élections sans exception, c'est qu'il y a une raison. Démolir l'autre de cette façon avec des mensonges... Ce n'est pas la vérité, il ne faut pas prendre les électeurs turcs pour des imbéciles", critique-t-il.
"L'unanimité pour détruire avec la presse mondiale le président actuel, c'est ahurissant."
Mouhcine, électeur de Recep Tayyip Erdoganà franceinfo
Un "complot" contre le président, dit même Mouhcine qui rappelle que Recep Tayyip Erdogan a développé le pays, son industrie de défense, ses exportations… déroulant l’argumentaire du gouvernement. Mais on entend aussi sa colère contre le mépris souvent affiché par une partie de l’élite stambouliote à l’encontre du 'peuple AKP'. Entre les deux Turquie, c'est donc un dialogue de sourds qui se poursuit. Et il sera difficile de les réconcilier
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