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Accident minier en Turquie : les raisons de la colère

Trois jours après la catastrophe, dont le bilan devrait atteindre les 300 morts, les manifestatins se sont multipliées à travers le pays. Francetv info vous explique les causes de ces tensions.

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Des manifestants crient leur colère et expriment leur solidarité aux victimes de la catastrophe de la mine de Soma, à Istanbul (Turquie), jeudi 15 mai 2014. (JODI HILTON / NURPHOTO)

Le deuil et la colère. Le bilan a de nouveau été revu à la hausse, vendredi 16 mai, alors que les difficiles opérations de secours se terminent dans la mine de Soma, dans l'ouest de la Turquie. Trois jours après l'explosion qui s'est produite dans cette mine de charbon, des manifestations pour dénoncer la responsabilité du gouvernement dans la catastrophe ont été réprimées par la police dans les grandes villes turques. 

Francetv info vous explique pourquoi cet accident minier accentue l'exaspération et la colère sociale en Turquie.  

L'un des pires drames industriels de l'histoire du pays 

Le dernier bilan en date fait état de 284 morts et de 18 disparus. Et l'espoir de retrouver vivants les mineurs encore coincés sous terre s'amenuise, alors que les secours fournissent vendredi leurs derniers efforts. Le ministre de l'Energie a prévenu vendredi matin que le bilan total de la tragédie devrait s'élever à "301 ou 302 morts". 

 

Un homme embrasse son fils, secouru des boyaux de la mine, à Soma, en Turquie, mardi 13 mai 2014. (BULENT KILIC / AFP)

L'accident est sans doute la plus grave catastrophe industrielle de l'histoire turque. Le nombre de morts dépasse celui du coup de grisou qui avait coûté la vie à 263 mineurs, en 1992, dans la province de Zonguldak. Un drame qui avait marqué les esprits.  

La colère d'un peuple face à une catastrophe récurrente 

L'accident a provoqué un mouvement de colère dans toute la Turquie. Jeudi, un appel a été lancé par quatre syndicats en solidarité avec les mineurs morts au travail. Des manifestations dans toutes les grandes villes du pays ont aussi eu lieu jeudi et vendredi, la plupart du temps réprimées par la police à l'aide de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc ou de canons à eau. Vendredi en fin d'après-midi, la police s'est violemment opposée à une manifestation de plusieurs milliers d'habitants de la ville minière où s'est produit le drame, faisant au moins cinq blessés. Les protestataires réclament la démission du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, et dénoncent les mauvaises conditions de travail.
 
Un manifestant se protège des gaz lacrymogène tirés par les forces de l'ordre, à Ankara (Turquie), le 15 mai 2014.  (REUTERS)

 

Le régime du Premier ministre islamo-conservateur est accusé de négligence et d'indifférence vis-à-vis du sort des travailleurs, voire de violences délibérées"Des explosions comme celle-là dans des mines se produisent tout le temps", a expliqué sur place, jeudi, le Premier ministre, tentant de mettre l'accident sur le compte de la fatalité, avant d'être hué et violemment pris à partie par la population locale.

"En effet, les accidents graves sont récurrents dans les mines turques", indique Le Point.fr. Et les autorités ne peuvent l'ignorer. La mortalité au travail en Turquie est l'une des plus élevées du monde. Par ailleurs, selon Courrier international, qui cite le quotidien turc Radikal, la raison principale de cet accident réside dans le fait que "la Turquie n'applique toujours pas une politique de tolérance zéro vis-à-vis des accidents de travail""Cela fait en effet dix-neuf ans qu'elle refuse de signer la convention 176 de l'Organisation internationale du travail relative à la santé et à la sécurité dans les mines", écrit le journal. Les manifestants pointent également des contrôles inefficaces dans les mines.
 
Fait aggravant pour le gouvernement, il se voit reprocher des liens étroits avec les magnats de l'industrie minière, notamment les propriétaires de la mine de Soma, selon RFI. Et le parti islamiste au pouvoir, l'AKP, a a refusé il y a quelques semaines l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire sur les conditions de travail dans les mines, demandée par l'opposition, comme le rapporte Le Point

Un Premier ministre clivant et contesté

Pour Recep Tayyip Erdogan, cette catastrophe tombe à un mauvais moment. Le chef du gouvernement islamo-conservateur doit en effet briguer la présidence de la République en août. Il a réussi à contenir un vaste mouvement de protestation parti d'Istanbul en juin 2013, dont la place Taksim fut l'emblème. 

Fragilisé ensuite par la révélation en décembre d'un vaste scandale de corruption mettant en cause son régime et sa personne, Recep Tayyip Erdogan est sorti néanmoins renforcé d'élections municipales que son parti a remportées en mars. Mais sa gestion de cette catastrophe, qui touche avant tout la classe ouvrière turque, de tradition conservatrice et qui constitue une part importante de son électorat, prouve à nouveau, selon ses opposants, que le Premier ministre est de plus en plus éloigné des préoccupations de la population.

 

Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, sur le site de Soma, en Turquie, le 14 mai 2014. (CEM OKSUZ / ANADOLU AGENCY / AFP)

Le mois de juin marquera le premier anniversaire de la contestation de "Taksim" et de sa violente répression, à deux mois de l'élection présidentielle qui s'annonce troublée pour la Turquie. Si Erdogan reste favori aux yeux des observateurs, la "catastrophe de la mine de Soma pourrait bien polariser davantage la société turque, déjà divisée entre partisans et adversaires du Premier ministre", estime RFI.

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