Tibéhirine: Sarkozy demande la vérité
Le président Nicolas Sarkozy a annoncé mardi qu'il "lèverait" le secret défense sur tous les documents de l'affaireLe président Nicolas Sarkozy a annoncé mardi qu'il "lèverait" le secret défense sur tous les documents de l'affaire
"Naturellement, je lèverai le secret défense sur tous les documents que me demandera la justice", a-t-il dit.
Les moines français de Tibéhirine, tués en 1996, auraient été en fait victimes d'une "bavure" de l'armée algérienne, affirme le général
français François Buchwalter, attaché de défense à Alger à l'époque, dans une déposition en juin.
"J'indique de la façon la plus claire que, naturellement, je lèverai le secret défense sur tout document que nous demandera la justice. Il n'y a pas d'autre façons de faire la vérité, aucune autre façon", a déclaré Nicolas Sarkozy lors d'une conférence de presse.
"Ce sont des faits qui remontent à 1996. La justice est saisie, la justice doit avoir tous les documents", a insisté le chef de l'Etat français.
Il a exhorté l'Algérie à collaborer et à faire la lumière, affirmant que "les relations entre les grands pays s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge".
Selon le récent témoignage du général François Buchwalter, ancien attaché de Défense français à Alger devant le juge antiterroriste chargé de l'enquête, les moines ont été tués peu après leur enlèvement par des tirs depuis des hélicoptères militaires algériens alors qu'ils se trouvaient dans ce qui semblait être un bivouac de djihadistes. Alger et Paris aurait ensuite étouffé ces informations.
Le général Buchwalter, aujourd'hui à la retraite, dit avoir recueilli les confidences d'un ancien officier algérien, "monsieur X", et explique avoir rendu compte par écrit du mitraillage des moines au ministère de la Défense, à l'état-major des armées et à l'ambassadeur de France alors en poste à Alger, Michel Levêque. "Il n'y a pas eu de suites, ils ont observé le black-out demandé par l'ambassadeur", assure ce témoin. Selon Le Monde (voir plus loin), "monsieur X" aurait été "l'un de ses bons amis algériens", "tous deux étant très liés pour être passés ensemble par l'école de Saint-Cyr".
La version officielle de l'armée algérienne est très différente, rappelle Le Figaro. Selon elle, les corps des sept religieux trappistes qui avaient été enlevés quelques semaines plus tôt par le Groupe islamique armé (GIA) ont été découverts dans un champ près de Médéa. En fait de corps ce sont des têtes qui ont été rendues aux familles.
Après les révélations du général Buchwalter, on ne connaît ni les conditions de l'enlèvement, ni l'identité des auteurs du rapt, attribué par les autorités algériennes aux islamistes du GIA. La thèse d'une bavure de l'armée s'accompagne, selon Le Figaro, d'une possible mise en scène, décidée au plus haut niveau du pouvoir.
Révélations du Monde
Selon Le Monde, qui dit avoir consulté la déposition de l'officier, l'enlèvement des moines "avait été planifiée pour montrer le danger que représentait la déferlante islamique, de manière à provoquer l'indignation internationale face à la séquestration de sept cibles humaines désarmées".
A la suite de la méprise de l'armée, "les autorités algériennes firent tout pour maquiller le drame et en faire porter la responsabilité" aux GIA. "Mais les corps des sept religieux étant criblés de projectiles 'qui ne pouvaient appartenir qu'à un arsenal d'une armée régulière' et non aux GIA (...), les moines furent décapités pour qu'on ne voie jamais leurs dépouilles", affirme le quotidien qui cite un article du journal italien La Stampa. "Seules leurs têtes furent découvertes" et "inhumées à Tibéhirine", écrit encore Le Monde qui rappelle que les corps n'ont jamais été retrouvés.
Réactions
Un père trappiste, Armand Veilleux, aujourd'hui partie civile dans le dossier, raconte avoir rencontré des résistances pour obtenir le droit de voir les dépouilles des religieux. En faisant ouvrir les cercueils à l'hôpital, il a constaté qu'il n'y avait que des têtes "comme momifiées", dont l'une "n'avait pas de menton", peut-on encore lire dans Le Figaro.
Pour l'avocat des parties civiles cité par Mediapart, ces déclarations sont "extrêmement crédibles". "Elles illustrent les mensonges des autorités algériennes, mais aussi le silence complice de l'Etat français."
Pour l'ancien juge anti-terroriste et ancien député UMP de Haute-Vienne, Alain Marsaud, l'affaire a été "enterrée volontairement". "Les informations qui ont été données par les services de renseignements français en Algérie étaient bien remontées, mais il y avait une volonté de ne pas investiguer", affirme l'ex-magistrat, proche de Charles Pasqua. En 1996, il raconte avoir reçu dans son bureau un visiteur se présentant comme "un membre des services de renseignements algériens". Envoyé par un officier traitant français, ce dernier lui avait expliqué que l'assassinat était en fait "une opération montée par les services algériens ou par l'armée algérienne".
Revue de la presse algérienne
Pour le quotidien Liberté (privé, francophone), la thèse de la bavure militaire algérienne frôle la science fiction. "Les faits comme décrits par le barbouze français, semblent invraisemblables. Le dernier des soldats (...) peut l'infirmer s'il connaît un tant soit peu les protocoles d'usage de l'engagement militaire", écrit l'éditorialiste de Liberté.
El Watan (privé, francophone) qualifie les révélations du général Buchwalter "de délires" et s'interroge sur les raisons des treize années de silence de l'ancien attaché de défense à Alger.
"Pourquoi le général français à la retraite François Buchwalter a-t-il gardé aussi longtemps son prétendu secret pour le sortir à la fin du mois dernier, et le médiatiser largement par toute la presse française ?", s'interroge-t-il.
Pour le quotidien l'Expression (privé, francophone), les affirmations du général Buchwalter sont des "fabulations". A ses yeux, "elles compliquent davantage" des relations franco-algériennes déjà "suffisamment controversées".
De son côté, le quotidien arabophone à grand tirage El Khabar (privé) critique les déclarations du président français Nicolas Sarkozy qui a demandé à la justice de son pays d'aller jusqu'au bout dans l'enquête sur le massacre des moines. "La forte médiatisation en France du témoignage du général Buchwalter n'est pas innocente et rappelle la campagne médiatique sur la question du 'qui tue qui'" en Algérie, écrit-il.
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