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Qui est Flavien Moreau, le premier jihadiste français condamné pour s'être rendu en Syrie, tout juste libéré de prison ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Une des rares photos de Flavien Moreau, non-datée.  (FRANCE 2)

Ce Nantais est passé par les prisons de Fresnes, Vendin-le-Vieil et Condé-sur-Sarthe, après avoir effectué un court séjour en Syrie en novembre 2012. Franceinfo a retracé son parcours.

Il était censé faire partie de la trentaine de jihadistes français libérables en 2019. Condamné à six de mois de prison supplémentaires en mai dernier, Flavien Moreau est sorti de prison, lundi 13 janvier 2020. Cet homme de 32 ans est le premier à avoir été condamné pour un départ en Syrie. En novembre 2014, il avait écopé de sept ans de prison pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme". Un jugement qualifié de "sévère" à l'époque par son avocat, son client n'ayant passé qu'une dizaine de jours au "Shâm".

Flavien Moreau est parti bien avant la vague d'attentats qui a frappé la France à partir de 2015 et avant l'instauration du califat autoproclamé de l'Etat islamique, en 2014. C'était en novembre 2012 et le jeune homme alors âgé de 25 ans faisait partie des premiers candidats étrangers au jihad dans le pays en guerre de Bachar Al-Assad. Fait rare, son parcours et son court séjour sur place ont été intégralement retracés par un journaliste du Temps, qui l'a rencontré à Antioche, en Turquie, et l'a suivi pendant une semaine jusqu'à son intégration dans une "katiba" (une cellule de combattants) islamiste, de l'autre côté de la frontière syrienne.

De retour en France car il avait "envie de fumer"

"L'islam français est frelaté, le Conseil français du culte musulman travaille avec le gouvernement. Pour moi, c'est l'ennemi de l'intérieur, presque pire que les mécréants", confie-t-il alors au journaliste. Et d'ajouter : "L'islam vrai, c'est le jihad. C'est une priorité de se battre pour défendre la religion et la propager. Le reste, c'est bidon." L'article, publié alors que le jeune Français est toujours sur place, raconte comment "Abdel Fattah" – son nom de guerre, selon Le Temps – se met en quête de passeurs, d'une kalachnikov et de munitions pour rejoindre des groupes terroristes à Atmé, petite ville syrienne tenue par des rebelles. Selon le reporter suisse, il atterrit finalement dans un groupe de combattants francophones à Idleb.

La suite, Flavien Moreau la raconte lors de son procès, le 17 octobre 2014. Comme le rapporte franceinfo, le prévenu, joues creuses et imberbes, cheveux ras et menton rentré dans une veste sombre, affirme n'avoir pris part à aucun combat et n'avoir fait qu'"un peu de surveillance et un peu de police". "Et puis aussi aider les blessés avec [son] brevet de secouriste." La raison de son départ de Syrie ? "J'avais mal fait mon paquetage et j'avais envie de fumer, j'aurais dû me sevrer avant", justifie-t-il officiellement.

J'avais emporté des Nicorettes, mais ça n'a pas suffi. Alors j'ai laissé mon arme à mon émir et je suis parti.

Flavien Moreau

lors de son procès en 2014

En réalité, ce titulaire d'un CAP de boulangerie qui manie mal les armes ne s'intègre pas à sa "katiba" et rentre en Europe, après avoir été expulsé de Turquie fin novembre. Mais celui qui répond à de multiples surnoms – "Adam", "Le Chinois" ou "Abou Souleyman" – n'a de cesse de vouloir regagner le front. Il ignore que les services de renseignement, alertés par l'article du Temps, le suivent à la trace.

Entre début décembre et fin janvier, Flavien Moreau tente de repartir en Syrie à plusieurs reprises, via l'Allemagne, la Tunisie, la Bulgarie et le Liban. A chaque fois, son nom clignote et il se fait refouler. "Ce n'est pas des connards qui vont m'interdire d'aller où je veux", lâche-t-il dans une conversation téléphonique avec sa mère, le 1er janvier, au cours de laquelle il dit chercher à se procurer de faux papiers d'identité.

Enfant modèle, adolescent timide puis fanatique

Au vu de sa détermination, les policiers de la DCRI (l'ancien nom de la DGSI) le cueillent à la sortie d'un hôtel à Paris le 28 janvier. Deux lingots, huit pièces d'or et 5 080 euros en liquide sont trouvés sur lui. Une fortune peu compatible avec sa situation professionnelle, qui lui vaudra d'être également poursuivi pour "non justification de ressources". Flavien Moreau est placé en détention provisoire à Fresnes (Val-de-Marne).

Le juge qui l'interroge découvre que la radicalisation du jeune homme est ancienne. Né en Corée du Sud en 1986, Flavien Moreau est adopté à l'âge de 2 ans, avec son grand frère Nicolas, par un couple de Nantais. Sur des photos diffusées par TF1 au moment de son procès, on découvre un petit garçon à lunettes, enfant modèle. Son père dit avoir assisté, impuissant, à la métamorphose d'un adolescent timide et doux en fanatique. La fratrie sombre dans la délinquance lorsque les parents divorcent. L'adolescence est chaotique. Flavien Moreau est condamné pour la première fois à l'âge de 19 ans, pour détention et usage de stupéfiants. Au même moment, il découvre la religion musulmane au contact d'un "colocataire" à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et se convertit à son retour à Nantes.

"Au début, je ne savais pas pourquoi et après, j'ai trouvé ça bien, voilà", explique-t-il lors de son procès, avançant un "goût pour la justice d'Allah". Dans les années qui suivent, les condamnations s'enchaînent : treize au total jusqu'en octobre 2012, pour des vols avec violence et port d'armes. Flavien Moreau se radicalise au fur et à mesure de ses trois séjours en détention, où il demande lui-même à être placé à l'isolement et où il s'abreuve des images du conflit en Syrie grâce "à la télé"

Un intérêt pour "la chimie des explosifs"

Les surveillants pénitentiaires le décrivent comme solitaire, introverti, froid et sur la défensive. En djellaba, il fait ses cinq prières par jour, mange halal et collectionne les livres religieux. Ses incarcérations sont émaillées d'incidents. En 2010, il dit à son professeur de sciences physiques qu'il est "intéressé par la chimie des explosifs" et cherche à tout prix, selon l'enseignant, à se procurer des produits dans les placards.

Avant et après son arrestation, Flavien Moreau ne perd jamais contact avec son grand frère Nicolas, lui aussi converti à l'islam et radicalisé. A la fin de son procès, le cadet confie d'ailleurs que l'aîné est en Syrie. Nicolas Moreau, 14 condamnations à son actif, est resté un an et demi sur place, de janvier 2014 à juin 2015, avant d'être arrêté en Turquie et transféré en France. Ce marin-pêcheur de formation a été condamné à dix ans de prison en décembre 2016.

La détention de Flavien Moreau, désormais estampillé "jihadiste", continue à être parsemée d'incidents. Dans un courrier adressé à sa mère, il écrit : "Je ressors plus déterminé. Allah est le plus grand stratège." A Fresnes, les surveillants, qu'il insulte et menace régulièrement, trouvent à plusieurs reprises des armes artisanales dans sa cellule. Dans son expertise datant de mars 2013, un psychiatre décrit un jeune homme "imperméable à la critique (...), méfiant, (...) qui se sent l'objet d'une persécution, tient un discours passionnel (...) de type paranoïaque, à la limite du délire". Un profil proche de celui de son frère, dépeint par son ancien avocat auprès de franceinfo comme "un personnage virulent et totalement étanche à la remise en question".

Retrouvailles en prison avec son frère

A Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), où il est transféré en septembre 2018, Flavien Moreau refuse de passer par le quartier d'évaluation de la radicalisation (QER). Placé en quartier disciplinaire, il menace de "planter" des surveillants. Il inscrit aussi sur les murs de sa cellule "Je suis Ganczarski", du nom du cerveau des attentats de Djerba de 2002, qui a agressé aux ciseaux trois surveillants de la prison de Vendin en janvier 2018. Il a été condamné pour ces faits à six mois de prison en appel, le 29 mai 2019. 

Transféré à la prison de Condé-sur-Sarthe, Flavien Moreau a passé le reste de sa détention à l'isolement, selon une source pénitentiaire.

Il affiche toujours son islamisme, mais il n'est pas dans la provocation. Il reste dans son coin. Si on ne va pas l'agresser, il n'agresse pas non plus.

Un surveillant

à franceinfo

Selon cette même source, l'arrivée de son frère dans la prison a provoqué un peu de grabuge, la fratrie souhaitant être rapprochée. Mais si Nicolas Moreau a intégré le quartier d'évaluation de la radicalisation, Flavien a toujours refusé d'être évalué. "Il l'est quand même, car toute sa vie en détention a été regardée de très près. Il a fait l'objet d'une analyse pluridisciplinaire poussée", fait-on valoir du côté de l'administration pénitentiaire. "Son profil n'est pas réconfortant pour la suite", glisse toutefois une source proche du dossier.

Une surveillance maintenue après la prison 

Comment sera-t-il pris en charge à l'extérieur ? Selon nos informations, Flavien Moreau va faire l'objet d'une surveillance judiciaire pendant onze mois et dix-huit jours à compter de sa libération. Elle prévoit notamment des convocations régulières par le juge d'application des peines spécialisé dans l'antiterrorisme en charge de son suivi et le service d'insertion et de probation (Spip) de Loire-Atlantique. Il est également soumis à une obligation de soins, doit fixer sa résidence dans un lieu donné et a interdiction de porter une arme. Flavien Moreau devrait également être inscrit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), qui l'obligera, pendant dix ans, à justifier de son adresse tous les trois mois et à déclarer tout déplacement à l'étranger.

Du côté administratif, Flavien Moreau continuera à être surveillé par les services de renseignements le temps nécessaire, via une unité spéciale de suivi, rattachée à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), et créée en juillet 2018. Elle associe le renseignement pénitentiaire. "On est en capacité de donner à l'ensemble des autres services en milieu ouvert tout ce qu'on a pu constater en détention", souligne l'administration pénitentiaire, rappelant que de nombreux jihadistes sont déjà suivis à l'extérieur.

"Cette unité spéciale de suivi, c'est un peu un effet d'annonce, pour donner l'impression de faire quelque chose pour ces détenus, car on sait que l'Etat n'a pas le droit à l'erreur", observe Guillaume Ryckewaert, du syndicat des cadres de la sécurité intérieure. "Le vrai souci, concède-t-il, ce sont les individus qu'on n'a pas encore repérés." Les autorités pénitentiaires ne disent pas autre chose.

Les personnes qui nous inquiètent le plus, ce sont celles qui passent entre les mailles du filet.

L'administration pénitentiaire

à franceinfo

Plus d'un millier de personnes sont actuellement incarcérées pour des infractions de droit commun mais suspectées de radicalisation. Nicolas Moreau, lui, devrait passer encore plusieurs années en prison avant de rejoindre son frère à l'extérieur. 

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