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Quand Pokémon Go s'invite dans les conflits armés

Depuis le 5 juillet 2016, le jeu Pokémon Go envahit les téléphones portables du monde entier. En zone de conflit, même militaires et civils se servent du jeu, tantôt pour décompresser, tantôt pour dénoncer leur situation. Tour du monde des Pokémons présents sur plusieurs théâtres de guerre.
Article rédigé par Valentin Pasquier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un utilisateur de Pokémon Go dans les décombres de la ville de Douma, près de Damas en Syrie. (Sameer Al-Doumy / AFP)

Le 14 juillet 2016, le président israélien Reuven Rivlin a publié une étrange photo sur son compte Facebook. «Que quelqu'un appelle la sécurité!» écrit-il alors qu'une étrange créature féline se tient dans son bureau. En réalité, le chef d'État venait de télécharger le jeu Pokémon Go. Et en profitait pour faire sa com...

Comme son nom l'indique, le jeu s'inscrit dans la série initiée en 1996 par les Japonais de Nintendo, mettant en scène des créatures magiques à capturer, les fameux Pokémons. Mais en 2016, il prend la forme d'une application mobile exploitant la géolocalisation du joueur. Au lieu de parcourir un monde virtuel à la recherche des ces Pokémons, le jeu les place dans notre monde bien réel, via les écrans des téléphones et tablettes.



Une arme à la main, le portable dans l'autre
Pokémon Go est sorti progressivement dans le monde entier depuis le 5 juillet, mais pas encore au Proche-Orient. À l'image de Reuven Rivlin, nombreux sont les Israéliens à télécharger le jeu en le piratant. Comme le montre la photo publiée sur la page Facebook de la marine de l'État hébreu, les militaires des forces navales sont, eux aussi, contaminés par le phénomène ludique.



Inquiètes pour la sécurité de leurs opérations militaires, les autorités israéliennes ont dû imposer aux soldats de ne pas jouer à l'intérieur des bases. Car comme le souligne Haaretz, l'application mobile utilise la géocalisation de ses joueurs, et peut donc dévoiler des informations sensibles dans les lieux où ils manoeuvrent. «Le jeu peut être une source pour rassembler des renseignements», a indiqué le département de la Sécurité et de l'Information.

Louis Park n'est, quant à lui, pas inquiété lorsqu'il joue sur le front. Ce militaire américain, en mission dans le nord irakien, s'est félicité sur Facebook d'avoir capturé son premier Pokémon à Teleskuf, près de Mossoul. Il en profite pour provoquer ses ennemis: «Allez, Daech, viens me défier dans un combat Pokémon. Les mortiers, c'est pour les mauviettes!» Dans un second post sur Facebook, le soldat a affirmé vouloir mettre à l'honneur le combat des peshmergas kurdes.

Les civils et les Pokémons
Dans les territoires palestiniens, le jeu est aussi rattrapé par la dure réalité de la guerre. La manière aléatoire dont sont disséminés les créatures se heurte aux murs érigés pour protéger les colonies israéliennes. «Il y a un Pokémon en bas dans la rue de la colonie. (...) Comment vais-je faire pour le capturer?» écrit un Palestinien habitant Hébron, en Cisjordanie, le 13 juillet sur Twitter. 


Côté palestinien, plusieurs adeptes de photo-montages ont publié des images de guerre détournées, faisant apparaître les créatures de Nintendo dans la réalité de la guerre. Un Pikachu victime d'un bombardement, un dresseur bloqué au pied d'un grand mur... Grâce à sa popularité planétaire, Pokémon Go est ainsi utilisé comme un instrument de contestation.


En Syrie, le même procédé a été utilisé par le photographe Khaled Akil. Chez son compatriote Saïf Aldeen Tahun, graphiste et designer syrien installé au Danemark, les Pokémons ont disparu de l'écran du jeu, laissant place à un ours en peluche près d'un corps, une bouée de sauvetage qui flotte près d'un canot rempli de réfugiés ou un livre au milieu d'une classe dévastée.
 

Le photographe syrien Khaled Akil a utilisé la frénésie autour de Pokémon Go pour sensibiliser l'opinion publique sur le conflit qui déchire son pays. (JOSEPH EID / AFP)

Profitant de cet engouement mondial pour le jeu, les militants des Forces révolutionaires de Syrie (opposées à au régime syrien et à Daech) ont, quant à eux, réalisé une série de clichés d'enfants syriens tenant des dessins de Pokémon. Les photos interpellent par leurs légendes: «Je suis de Kafranbel (ville sous contrôle rebelle, en proie aux bombardements du régime et de la Russie), sauvez-moi!» Ce même réseau de militants a partagé une photo d'un enfant à côté d'un Pikachu dans une maison en ruine.


La chasse... aux opposants politiques
En Ukraine, Pokémon Go a inspiré le site nationaliste Myrotvorets («pacificateur» en ukrainien), connu pour dévoiler des données personnelles relatives à ceux qu'il décrit comme des «ennemis de l'Ukraine». Dans une annonce publiée le 24 juillet, le site dit rechercher un développeur pour produire une application baptisée «PokémonRU». 

Sur le site Myrotvorets, la banderole de PokémonRU incite à «trouver des mercenaires et les criminels de guerres russes». (Capture d'écran / DR)

En russe, Myrotvorets explique son projet. «Les joueurs (de PokémonRU) pourront débusquer les mercenaires russes et les criminels de guerre dans les villes où ils vivent, mais aussi surveiller secrètement leurs allers et venues». La traque pourrait s'avérer rentable puisque chaque renseignement concernant un de ces «Pokémons russes» partagée sur l'application conférera un bonus au joueur, convertissable en monnaie. Toutes ces informations seront localisées sur une carte mise à jour par les «joueurs». 

Pour le moment, cette inquiétante chasse aux sorcières n'en est qu'au stade de projet. Le président ukrainien s'est d'ores et déjà désolidarisé du site nationaliste.

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