Ola Abbas, ancienne présentatrice à la radio-télévision d'Etat syrienne
Vous êtes une journaliste en vue, de surcroît alaouite, confession du clan Assad au pouvoir. Pourquoi et comment avez-vous fait défection ?
Mettons d'abord les choses au point : je refuse d’être caractérisée comme alaouite ! Je suis d’abord Syrienne. C’est Bachar El Assad qui a créé la question confessionnelle.
Alors, si je suis partie, c’est pour une question de conscience. Je l’ai fait à partir d’un jugement moral. Dès le début du mouvement en février 2011, les manifestants syriens demandaient la liberté en proclamant des intentions pacifiques. Bachar leur a répondu en faisant couler le sang.
J’ai commencé à penser à mon départ environ trois mois après le début du mouvement. Mais la décision effective a été difficile à prendre en raison des risques importants, notamment pour ma famille. En ce qui me concerne, je risquais d’être tuée, ou emprisonnée et torturée. On aurait ainsi pu me filmer en train d’avouer que j’avais été manipulée par des bandes armées. Comme cela se fait souvent, la séquence aurait ensuite été montrée à la télévision.
Partir était également compliqué parce que j’avais un travail stable et que je vivais de façon luxueuse.
Ma décision finale, une première pour un journaliste de la radio-télévision, a été soudaine. Elle a été prise en quelques heures, je n’ai rien préparé. J’ai d’abord diffusé un manifeste sur Facebook. J’ai dû le fermer au bout d’une heure : il avait déjà 250 «likes» [250 personnes avaient fait savoir qu'elles aimaient ce qui avait été mis en ligne, NDLR]. J’avais aussi reçu trois appels de menaces sur mon portable, dont un provenant d’une amie de la télévision.
J’ai alors pris quelques papiers. Je suis allée dormir chez des amis. Et le lendemain, je partais pour Beyrouth. Certains de mes amis ont été choqués de la rapidité avec laquelle tout cela s’est fait.
Comment travaillent aujourd’hui les journalistes syriens ?
Ce sont des ouvriers du régime. Ils ne sont pas libres. Et beaucoup ont peur. Il faut voir que le bâtiment de la radio-télévision est rempli de gens des services secrets et d’appareils d’écoute.
Les journalistes n’ont qu’une seule source d’information : l’agence officielle Sana. Et tout ce que celle-ci diffuse vient directement du palais présidentiel. Les quelques journaux qui ont essayé de proposer des réformes ont été fermés.
Les médias n’ont commencé à parler des manifestations que quatre mois après le début de la révolution. Il ne faut d’ailleurs jamais employer le mot «manifestations» mais «rassemblements dans quelques lieux». De même, on ne dit pas «manifestants» mais «bandits venus de l’étranger». Il s’agit de faire croire à l’opinion que le mouvement est un complot contre Bachar El Assad, entretenu par certains pays arabes et Israël. Le but de ce «complot» étant notamment de saper la résistance contre Israël incarnée par la Syrie.
Comment voyez-vous l’avenir de votre pays ? Et le vôtre ?
Je pense que l’on a affaire à un vrai mouvement révolutionnaire. Mais le régime tient encore parce qu’il a des alliés comme le Hezbollah et l’Iran. De plus, on voit bien que l’Occident n’agit pas réellement. Je suis très triste en voyant, par exemple, la position française.
Pourtant, il ne s’agit pas d’envisager une solution à la libyenne en envoyant des bombardiers. On peut aussi soutenir la rébellion en lui livrant des équipements lui permettant de se battre à armes égales avec le régime. Il est également possible d'ouvrir un corridor humanitaire pour protéger les civils.
Si tout cela finit par se mettre en place, la révolution pourra l’emporter. Mais après beaucoup de sang versé.
Quant à ma situation personnelle, ça va. Je ne dors pas dans la rue. Je vais chercher du travail. J’ai fait un acte dont je suis responsable. Et que j’entends assumer.
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