Chute de Bachar al-Assad : trois questions sur les stocks de captagon découverts en Syrie

La Syrie de Bachar al-Assad était connue pour produire cette drogue à base d'amphétamine, lui permettant d'inonder le marché au Moyen-Orient et de contourner les sanctions occidentales.
Article rédigé par franceinfo, Thomas Destelle
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des pilules de captagon découverte dans une usine de fabrication de médicaments dans la ville de Douma en Syrie, le 12 décembre 2024. (BAKR ALKASEM / AFP)

Un héritage de la dictature. Le trafic illicite de Captagon était devenu un véritable moteur économique pour le régime de Bachar al-Assad. Le pays était connu pour produire cette drogue, lui permettant de financer son effort de guerre tout en contournant les sanctions occidentales.

Les premières traces de ce vaste trafic illégal apparaissent depuis la chute du régime. Parfois sans certitude sur la source et le lieu où ont été tournées les images, comme cette séquence publiée par CNN. Sur la base de Mazzeh, en banlieue de Damas, des journalistes de l'AFP ont notamment constaté, mercredi 11 décembre, plusieurs milliers de comprimés de captagon en train de brûler dans un bâtiment près de la piste d'atterrissage. Les images de ce feu circulent sur les réseaux sociaux.

Ce stock a été incendié par les combattants du Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le chef du HTS, Abou Mohammed al-Joulani, a d'ailleurs accusé dans son discours après la prise de Damas, dimanche 8 décembre, Bachar al-Assad d’avoir "semé le sectarisme et le captagon" en Syrie. Franceinfo répond à trois questions sur cette drogue dont le destin est lié à la Syrie depuis le début de la guerre civile. 

1 Quelle est l'origine du captagon ?

Le nom de cette drogue correspond au médicament Captagon commercialisé par une entreprise allemande au début des années 1960, rappelle dans un rapport l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Le comprimé de couleur blanche est reconnaissable par un logo représentant deux demi-lunes. Le médicament, composé de fénétylline, est prescrit principalement pour traiter le trouble déficitaire de l'attention, de la narcolepsie et comme psychostimulant. 

Les effets de la fénétylline sont similaires à ceux de l'amphétamine et des dérivés amphétaminiques. Ces stupéfiants sont connus pour dissiper la sensation de fatigue et de faim, prodiguer un sentiment d’euphorie, d’hyperconcentration et de confiance en soi. Le Captagon a été utilisé durant la période 1970-1990 comme produit dopant dans les milieux sportifs, en raison de ses propriétés psychostimulantes. On parle même d'"une folie du Captagon" parmi les footballeurs dans les années 1990.

Le Captagon sera interdit en France par un arrêté d'octobre 1995. Concernant la fabrication et la vente du médicament et de toute autre préparation contenant de la fénétylline, cette substance est inscrite sur la liste des stupéfiants par arrêté du 22 février 1990. L'interdiction de cette drogue entraîne un commerce de contrebande à partir des années 1990, explique le journal La Croix.

2 Qui a vendu cette drogue ?

La drogue appelée captagon n'a pas grand-chose à voir avec le médicament, rappelle l'OFDT. Même s'il lui ressemble, avec des comprimés estampés d'un logo imitant les deux demi-lunes, les stocks interceptés en 2010 montrent que le captagon illicite est composé le plus souvent d'amphétamine mélangée avec d'autres substances, comme la caféine ou de l'éphédrine.

Le marché est d'abord alimenté principalement depuis la Turquie et l'Europe balkanique, notamment la Bulgarie. Mais cette production de captagon se tourne ensuite vers le Moyen-Orient et notamment vers la Syrie et le Liban, après l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne dans les années 2000. Cette drogue est très prisée par une jeunesse aisée en Arabie saoudite et les pétromonarchies du golfe Persique, souligne Le Monde

 

À la faveur de la guerre civile syrienne, le trafic de cette drogue va devenir l'une des ressources des groupes armées rebelles et jihadistes, mais aussi des forces loyalistes. Un terrain propice, car la Syrie était le deuxième pôle pharmaceutique de la région. Le pays sera surnommé "la république du captagon".

En 2015, le captagon est présenté en France - à  tort - comme la "drogue des terroristes" après les attentats du 13-Novembre. Les terroristes du Bataclan étaient soupçonnés d’avoir agi sous l’emprise de la substance. Même si la consommation d’amphétamines par des membres de l'État islamique a été prouvée, aucune trace de drogue n'a été détectée après les autopsies des corps des terroristes, rappelle l'OTDH.

3 Comment la Syrie est devenue un "narco- État" ?

En reprenant le contrôle en 2018 sur une large partie de la Syrie, le régime de Bachar al-Assad va industrialiser la production de captagon. La contrebande prend une nouvelle ampleur, souligne dans un rapport le think thank américain New Lines Institute. Le régime syrien utilise ce commerce comme un moyen de survie politique et économique face aux sanctions internationales. Le Monde souligne que le captagon est devenu la première source de devises du régime, alors que le PIB du pays s'effondre. Le régime s'appuie d'ailleurs sur des alliances locales avec des groupes armés comme le Hezbollah.

Pour tenter d'enrayer ce narcotrafic, plusieurs responsables syriens sont frappés par des sanctions américaines et européennes. Les États-Unis votent en 2022 le "Captagon Act" pour "interrompre et démanteler le trafic de captagon du régime de Bachar al-Assad". Des sanctions sont prises notamment contre Maher Al-Assad, le frère de Bachar, à la tête de la 4e division de l'armée qui supervisait des laboratoires de production de cette drogue et contrôlait les routes du trafic. Le conseil de l'Union européenne a ciblé en 2023 des membres du clan Assad, responsables de la production et du commerce du captagon. 

Ces dernières années, les saisies de cette drogue se sont multipliées dans les pays limitrophes de la Syrie. En Irak, les autorités ont "saisi un nombre record de 24 millions de comprimés de captagon" pour la seule année 2023. En Turquie, ce sont près de dix millions de comprimés qui ont été saisis dans le pays au cours des dix premiers mois de l'année 2024. Les États du golfe Persique restent la destination privilégiée pour la revente du captagon. Au point qu'en 2023, ils ont conditionné les aides à la reconstruction de la Syrie à l'arrêt de ce trafic.

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