Funérailles de Mikhaïl Gorbachev : la cérémonie "n'est pas à la hauteur de l'histoire", pour un spécialiste
Pour Bertrand Badie, on peut voir dans les funérailles réduites de Gorbatchev une volonté de Vladimir Poutine "de symboliser son désir de restauration de la puissance russe en humiliant Mikhaïl Gorbatchev".
Les funérailles de Mikhaïl Gorbachev qui ont lieu samedi 3 septembre ne sont "pas à la hauteur de l'histoire" ni de "la stature du personnage", selon le professeur émérite à Sciences Po et spécialiste des relations internationales Bertrand Badie, sur franceinfo. Le dernier dirigeant de l'URSS, mort à 91 ans, et dont l'héritage est controversé, n'aura qu'une cérémonie a minima, sans Vladimir Poutine et sans jour de deuil national.
franceinfo : Les funérailles de Mikhaïl Gorbatchev sont-elles à la hauteur de qui il a été et du rôle qu'il a joué pour la Russie ?
Bertrand Badie : Ce n'est certainement pas à la hauteur de l'histoire. (…) Il y a un déphasage entre ces obsèques quasiment anonymes et la stature du personnage. Chacun sait que rien n'est gratuit chez Vladimir Poutine. C'est un double message lancé, signifiant d'une part que Gorbatchev est couvert de louanges par l'Occident qui étrangle la Russie aujourd'hui [depuis le début de la guerre en Ukraine], et d'autre part Vladimir Poutine n'est pas du tout l'homme de l'URSS. Gorbatchev incarne le dernier stade de l'Union soviétique. Poutine lui impute cet affaiblissement de la Russie à travers l'échec de l'URSS. Donc il n'y a aucun atome crochu entre les deux personnages. Au contraire, [on peut y voir] la volonté de l'actuel maître du Kremlin de symboliser son désir de restauration de la puissance russe en humiliant, en tous les cas en marginalisant, Mikhaïl Gorbatchev.
Les Russes perçoivent-ils Mikhaïl Gorbachev comme le fossoyeur de l'empire soviétique ?
Historiquement, ce n'est pas lui. Le vrai fossoyeur, c'est Boris Eltsine, l'homme que l'Occident soutenait contre Gorbachev. C'est la raison pour laquelle il y a une sorte d'hypocrisie à toutes ces louanges bien tardives adressées à l'ancien maître du Kremlin. Il ne faut pas oublier que c'est Boris Eltsine qui, avec ses homologues ukrainien et biélorusse, avait déclenché la fin de l'URSS que Gorbatchev a dû accepter passivement.
Quel est l'héritage de Mikhaïl Gorbachev aujourd'hui ?
Je crois qu'il y a un consensus pour considérer que Mikhaïl Gorbachev a incarné la deuxième partie du XXe siècle, l'histoire de la guerre froide et de son extinction, l'histoire de l'extinction de la bipolarité, et qu'il a peut-être été l'un des initiateurs de la mondialisation dans laquelle nous nous trouvons, dans laquelle l'échange, l'intégration l'emportent sur l'idée de confrontation. Il ne faut jamais oublier ce que Mikhaïl Gorbachev avait dit à George H. W. Bush sur un bateau de guerre où il rencontrait le président des Etats-Unis à Malte en 1989 : "L'URSS n'est plus intéressée par la confrontation avec l'Occident." C'est la phrase qui a tout déclenché, à savoir la fin de la bipolarité.
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