Biélorussie : Vladimir Poutine soutient-il encore Alexandre Loukachenko ?
Malgré la réélection du président biélorusse, les grèves et les manifestations se succèdent pour réclamer le départ d'Alexandre Loukachenko. Le chef de l'Etat a assuré qu'il avait le soutien du Kremlin pour assurer "la sécurité" de son pays.
"Pars ! Pars !" Sur ces images partagées massivement sur les réseaux sociaux, le regard d'Alexandre Loukachenko traduit son incrédulité. Du haut de sa tribune, le président biélorusse ne s'attendait pas, lundi 17 août, à être hué de la sorte par les ouvriers d'une usine d'Etat à qui il s'adressait.
Pendant ce temps-là, l'interrogation demeure sur la position de Vladimir Poutine. Le président russe soutient-il encore son homologue, dont la réélection à 80% pour un sixième mandat est massivement contestée par une vague de grèves et de manifestations ? Et si oui, jusqu'où est-il prêt à aller ? Eléments de réponse.
Des relations tendues entre les deux hommes
"Ils ne se supportent pas !" lâche en riant Olga Belova, maîtresse de conférence en civilisation russe contemporaine à l'université Bordeaux-Montaigne. La tension entre les deux hommes, rappelle cette spécialiste de la Biélorussie, était d'ailleurs montée d'un cran avant l'élection présidentielle du dimanche 9 août. Alexandre Loukachenko avait alors accusé 33 mercenaires russes, arrêtés fin juillet à Minsk, d'avoir voulu fomenter des émeutes pour le renverser.
Il a aujourd'hui changé d'adversaire. "Les mercenaires ont été rendus à la Russie et le président biélorusse dénonce désormais l'interventionnisme occidental", écrit Le Monde. Un changement de pied dont Alexandre Loukachenko est coutumier. Il a su, par le passé, jouer des dissensions entre l'Union européenne et la Russie pour préserver sa marge de manœuvre et celle de son pays. Echaudé par l'annexion russe de la Crimée en 2014, il a aussi refusé une intégration plus poussée entre la Russie et la Biélorussie qui était souhaitée par Vladimir Poutine.
Le président russe, qu'il appelle à l'aide aujourd'hui, le soutiendra-t-il quoiqu'il arrive ? Les observateurs s'accordent à dire que les signaux sont difficiles à décoder. "Il n'y a pas grand chose qui filtre. Apparemment, il ne le lâche pas, il ne le soutient pas", estime Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférence à Nanterre et spécialiste de l'ex-URSS. Il reste néanmoins quelques principes, dont celui-ci, souligné par Le Monde : "Le Kremlin ne lâche pas un allié en rase campagne, en tout cas pas publiquement."
Des liens étroits entre les deux pays
Le Kremlin peut-il être indifférent à la situation chez son voisin ? Non et vice-versa. La Biélorussie dépend étroitement de la Russie pour ses approvisionnements en gaz et en pétrole à des prix avantageux, qui s'apparentent à une subvention de Moscou. Idem pour ses liens commerciaux. Elle fait d'ailleurs partie de l'Union économique eurasiatique, une zone de libre-échange avec la Russie, le Kazakhstan, l'Arménie et le Kirghizistan instaurée en 2015. Enfin, note Olga Belova, "la Biélorussie est entièrement intégrée dans le système de défense russe".
Autant de liens expliquant qu'aux yeux de Vladimir Poutine, la Biélorussie ne doit pas sortir de l'orbite russe. Mais ces liens offrent aussi, remarque Anna Colin Lebedev, de multiples possibilités d'échanges. "Le dialogue entre Moscou et Minsk passe par une série d'acteurs politiques ou économiques des deux pays qui communiquent entre eux. Y compris au sein de l'opposition qui manifeste dans la rue. Celle-ci n'est pas antirusse. Il y a parmi elle des citoyens qui ont des liens économiques ou amicaux avec Moscou." Elle cite, à titre d'exemple, l'opposant emprisonné Viktor Babaryko, qui dirigeait jusqu'en mai la banque russe Belgazprombank.
Aucune alternative ne se dégage
La Russie aurait-elle un potentiel successeur à Alexandre Loukachenko si le Kremlin était amené à lâcher le président biélorusse. "On n'en est pas là, affirme Anna Colin Lebedev. Pour l'instant, la contestation biélorusse est acéphale, sans leader." Et selon elle, même Svetlana Tikhanovskaia, la candidate d'opposition qui s'est réfugiée en Lituanie, ne jouerait pas ce rôle-là. Elle serait d'abord l'incarnation d'une promesse : celle d'assurer la transition vers de nouvelles élections.
En attendant, Vladimir Poutine soutient officiellement Alexandre Loukachenko tout en lui suggérant de lâcher un peu de lest. Le chef d'Etat biélorusse s'est ainsi dit prêt à organiser une nouvelle élection après l'adoption d'une nouvelle Constitution, sans donner davantage de détails : "Soumettons-la par référendum, adoptons la Constitution et je vous transmettrai le pouvoir. (...) Mais pas sous la pression et pas par la rue."
Une intervention militaire a priori écartée
Dimanche 16 août, Alexandre Loukachenko a indiqué avoir obtenu le soutien de la Russie pour assurer "la sécurité" de la Biélorussie, dans le cadre des accords bilatéraux de défense liant les deux pays. "Mais les experts disent qu'une intervention officielle de l'armée russe est très peu probable", explique Anna Colin Lebedev. Le risque serait trop grand de transformer l'opposition en une opposition antirusse : "Après l'Ukraine, poursuit-elle, la Russie n'a pas besoin d'une autre population antirusse à ses frontières."
"Concrètement, Vladimir Poutine fait face à un dilemme, analyse Olga Belova. Envoyer une armée en Biélorussie, c'est compliqué. On ne peut pas duper les Russes en leur disant que c'est un complot de l'Occident. Ce serait impopulaire aux yeux des Russes comme des Biélorusses." Autre élément dissuasif : le président russe "a commencé des négociations en coulisses pour obtenir la levée des sanctions européennes décidées après la crise ukrainienne".
Intervenir en Biélorussie serait stopper ce processus et Vladimir Poutine n'a pas besoin de ça.
Olga Belovaà franceinfo
Mais quels arguments pourraient néanmoins l'inciter à intervenir militairement ? "Le président russe craint évidemment la contagion d'une contestation populaire qui renverse le pouvoir en place. Pas pour lui pour l'instant, puisqu'il est en place, mais il pense aux élections régionales de septembre, dans un contexte où, par exemple, la contestation en Extrême-Orient russe ne faiblit pas. Il est aussi poussé à intervenir par l'appareil sécuritaire russe qui est très conservateur", analyse Olga Belova.
Il reste des solutions hybrides "de soutien armé qui ne dit pas son nom et dont la Russie a l'expérience, souligne Anna Colin Lebedev. Moscou peut fournir des camions blindés et des troupes sans insigne d'identification. Et c'est ce soutien militaire qui est redouté. D'où les images qui circulent sur les réseaux sociaux avec des mouvements de camions", argue la spécialiste. Une "aide" d'autant plus aisée que la Russie a déjà des bases militaires en Biélorussie.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.