Vladimir Poutine en conférence de presse : perles et approximations
En trois heures de conférence de presse devant 1400 journalistes russes et étrangers le 17 décembre 2015, Vladimir Poutine a eu le temps de sortir quelques «perles». Les plus grosses ont immédiatement «fait le buzz» dans les médias internationaux et sur Twitter.
Donald Trump, aspirant à la présidence américaine connu pour ses prises de position ultraréactionnaires (il veut par exemple exclure les musulmans du pays), s'est vu qualifier d'«homme brillant et plein de talent». On pense à la vision de cauchemar de Gideon Rachman, journaliste britannique du Financial Time, pour 2017... «Trump président (aux Etats-Unis), Marine Le Pen présidente (en France), Poutine président (en Russie)». En retour, l'homme politique américain a aussitôt déclaré sa flamme au président russe.
«Le plus terrible pour Poutine : devenir drôle»
Sepp Blatter, le président démissionnaire de la Fifa, impliqué dans plusieurs scandales de corruption (y compris sur l'attribution du Mondial 2018 à la Russie), mérite pour sa part le Nobel de la Paix. «Il a fait un travail considérable pour le football mondial. Sa contribution dans le domaine humanitaire est colossale», a déclaré le président russe.
Le Premier ministre de l'ennemi du moment, la Turquie, a sauté sur l'occasion pour pointer que chaque sortie de Vladimir Poutine fait ricaner le monde entier (lien en russe). Une nouvelle facette de Poutine remarquée aussi sur Twitter (en russe) : «Le plus terrible pour Poutine : devenir drôle», tweete Tatiana Stanovaïa, de l'Observatoire franco-russe.
Sujets qui fâchent
La Turquie, justement. Elle a agi «de manière hostile» et le président russe en est «révolté». Il est revenu sur le «coup de poignard dans le dos» du Soukhoï-24 abattu par l'armée turque le 24 novembre 2015. «Si c'est vraiment un accident, comme le prétend le gouvernement turc (...), alors on prend son téléphone et on s’explique», juge Vladimir Poutine, qui ne voit pas, dans l'immédiat, comment pourraient s'améliorer les relations russo-turques. Selon lui, la Turquie «cachée derrière l’Otan» a abattu cet avion pour que la Russie quitte la Syrie, où elle mène des frappes aériennes depuis le 30 septembre.
La Syrie était bien évidemment l'un des grands thèmes de cette conférence. Depuis ses premières frappes, la Russie est accusée de viser l'opposition à Bachar al-Assad – rejointe par un certain nombre de ressortissants russes, en particulier caucasiens – et non Daech. Le président russe a à nouveau affirmé «soutenir» cette opposition.
A côté de ces «nouveaux» thèmes internationaux, l'Ukraine était toujours inscrite au menu de la conférence présidentielle annuelle. La Russie «n'a pas l'intention de bouder» à cause de l'accord d'association entre Kiev et Bruxelles, qui entre en vigueur le 1er janvier 2016. Pourtant, pour les produits venant d'Ukraine, les droits de douane sont relevés (ils passent de 0 à 7% en moyenne) par un décret en date du 16 décembre. L'Ukraine bénéficiait jusque-là des tarifs préférentiels accordés aux anciennes Républiques soviétiques.
Début d'aveu ?
Sur l'Ukraine toujours, une «petite phrase» très commentée : «Nous n'avons jamais dit qu'il n'y avait pas de Russes sur le territoire ukrainien, notamment dans la sphère militaire.» Un début d'aveu ? «Cela ne veut pas dire qu'il s'agisse de troupes régulières, vous saisissez la différence?» a nuancé aussitôt le président russe.
Une «révélation» qui fait partie des infos délivrées pendant cette conférence fleuve, ironisait le média d'opposition Slon: «Une heure s'est écoulée, et voici ce que l'on a appris : Il y a des hommes à nous dans le Donbass; Erdogan fait de la lèche aux Etats-Unis et abat un Soukhoï-24; Tchaïka (Artem, fils d'un procureur général, accusé d'enrichissement illégal – homonyme du mot «mouette» en russe) est un oiseau, et Platon (celui de la taxe poids lourds qui met les routiers russes en colère) un philosophe.»
Politique intérieure
Le mouvement de protestation contre la nouvelle taxe Platon dure depuis plus d'un mois. Et les routiers ne vont pas être contents de la réponse du président. Les chauffeurs de poids lourds accusent le gouvernement de les racketer, notamment au profit du fils de l'oligarque Arkadi Rotenberg. Igor Rotenberg est en effet propriétaire à 50% de la société perceptrice de la taxe. Le président russe a prétendu que les sommes perçues allaient en totalité au Fonds routier de la Fédération russe. Ce qui est faux, a relevé TV Dojd' : sur les 40 millions de roubles par an que devrait rapporter cette taxe, la société RTITS, en contrat avec l'Etat pour treize ans, en percevra 10.
L'abaissement de l'âge du départ en retraite des citoyens russes, un projet très controversé, a aussi été évoqué. A ce propos, une analyse relayée par le centre Carnegie relève que Poutine ne se donne plus la peine de choyer les «Russes moyens» ou peu favorisés qui forment le cœur de son électorat. Pour Tatiana Stanovaïa, le président russe est ouvertement passé du côté des oligarques comme Rotenberg. Exit le «Poutine du peuple» (lien en anglais) le nouveau Poutine (en plus d'être devenu drôle) s'affiche comme le président de l'élite.
Nouveau Poutine, vieux scandales
Pour sa part, l'ex-oligarque en exil Khodorkovski, qui a livré son analyse, estime que Vladimir Poutine ne préside pas la Russie, mais une sorte d'Etat parallèle peuplé de sbires – les Rotenberg, le président tchétchène Kadyrov, le gouverneur Tourtchak (qui serait impliqué dans l'agression du journaliste Oleg Kachine en 2010) - où ne s'appliquent pas les lois de la constitution russe.
Le président russe est-il satisfait de son gouvernement ? «Vous avez pu remarquer que je traite les gens avec beaucoup d'égards», a commencé Vladimir Poutine – une autre phrase qui a bien «buzzé». Et sur le scandale du dopage), «attendons la fin de l'enquête, et nous verrons qui est coupable».
Un père «fier de ses filles»
La «fille cachée de Poutine», Katerina Tikhonova, et son gendre supposé, l'homme d'affaires Kirill Chamalov (actionnaire de la société pétrolière Sibur et fils du richissime directeur de la banque Rossia), qu'elle aurait épousé en 2013 (lien en russe), ont fait l'objet de quelques questions. «Est-ce ma fille ou non ? Je ne le dirai pas» fait partie de «45 phrases les plus stupides prononcées par Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse» qu'un internaute russe s'est donné la peine de relever. Le président russe s'est par ailleurs déclaré «fier» de ses deux filles légitimes.
«Fiers» de leur président, ces 2.000 jeunes qui lui ont dédié un flashmob-portrait en élevant des feuilles de papier au-dessus de leurs têtes le sont sans doute. Ainsi que, bien sûr, le site pro-Kremlin Sputniknews, qui met en avant le titre d'«homme de l'année» décerné à Vladimir Poutine par un magazine allemand (moins prestigieux tout de même que le Time, qui le lui avait accordé en 2013).
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