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Russie : une bonne image à tout prix

Le sérieux avec lequel la Russie s’apprête à sélectionner, le 21 octobre 2016, la mascotte qui représentera son Mondial de foot 2018, montre à quel point elle prend soin de son image à l’étranger. Une image qui passe aussi par la mise au pas des médias russes pour diffuser sa bonne parole. Notamment sur la guerre en Syrie. L'analyse de Dominique Derda, correspondant de France 2 à Moscou.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Quelle mascotte pour le Mondial de foot 2018: un chat, un tigre, un loup? Les trois représentations des animaux candidats sont présentées sur la façade de l'université de Moscou le 23 septembre 2016.
Peut-on considérer que l’opinion publique russe est correctement informée sur les actions de l’armée russe en Syrie ?
Non, malheureusement. La plupart des Russes n'ont pour seule et unique source d'information que les grandes chaînes de télévision nationales. Et ces chaînes, qui sont toutes sous le contrôle très strict du pouvoir, suivent au millimètre près la ligne officielle. Laquelle dit que la Russie est intervenue en Syrie pour lutter contre le terrorisme et soutenir le régime, qualifié de «légitime», de Bachar el Assad.

Les médias ici ne font aucune différence entre djihadistes et ceux qu'en Occident, on appelle les rebelles «modérés». Dans les reportages, les commentaires, ils sont tous présentés comme des terroristes. On insiste beaucoup à la télévision sur les victimes civiles, qui subissent, dans les quartiers pro-Assad, des tirs provenant des quartiers insurgés. Et l’on passe le plus souvent sous silence les conséquences des bombardements de l'aviation russe ou des forces armées syriennes sur les populations qui vivent encore dans la zone rebelle.

L'armée russe est souvent présentée comme héroïque dans sa lutte contre le terrorisme. Les frappes de son aviation sont décrites comme étant d'une grande précision. Et on la voit souvent distribuer de l'aide humanitaire aux populations déplacées. Autant dire que lorsqu'un avion ou un drone de la coalition menée par les Etats-Unis largue par erreur ses bombes sur une position de l'armée syrienne, comme ce fut le cas récemment, les médias russes en font des gorges chaudes. 
 
A l’occasion de cette guerre, la propagande a-t-elle fait son retour en Russie ?
La propagande n'a pas attendu l'intervention russe en Syrie pour faire son grand retour. En fait, elle a toujours été là. Même à l'époque de Boris Eltsine. Mais depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, la manipulation de l'opinion publique est devenue en Russie la préoccupation numéro un du pouvoir. Très vite, les chaînes de télévision sont passées sous le contrôle direct du Kremlin. Et la dernière chaîne encore indépendante, la chaîne privée Dojd, a perdu la possibilité d'émettre sur le câble pour se réfugier sur le net. 
 
Avions de chasse russes sur la base de Hmeymim (Syrie) le 18 juin 2016 (REUTERS - Vadim Savitsky - Russian Defense Ministry)

C'est un peu la même chose dans les autres secteurs des médias. Dans la presse écrite, le seul journal qui échappe encore à toute forme de contrôle, Novaya Gazeta, fait figure de dernier îlot de résistance. Six de ses journalistes ont été tués. Parmi eux, Anna Politkovskaya, abattue dans l'entrée de son immeuble le 7 octobre 2006. Le jour de l'anniversaire de Vladimir Poutine. Ses assassins ont été condamnés. Mais le commanditaire n'a jamais été identifié. 
 
En radio, il ne reste guère que la station Echo de Moscou pour donner des informations objectives. Elle a beau être passée sous le contrôle de Gazprom, le monopole gazier en Russie, la charte de sa rédaction protège son indépendance, pour l'instant tout au moins. 
 
C'est avec l'annexion de la Crimée en mars 2014, puis avec la guerre dans le Donbass, à l'est de l'Ukraine, que la propagande du Kremlin est passée à la vitesse supérieure. A destination de l'opinion publique russe en priorité, mais aussi de l'étranger. Le Kremlin a investi beaucoup d'argent dans Russia Today, sa chaîne internationale d'information, ainsi que dans ses agences qui distribuent la bonne parole dans le monde entier. Voilà pour la vitrine officielle. Mais derrière elle se cachent aussi des légions de trolls qui, 24 heures sur 24, chantent les louanges de Vladimir Poutine, s'en prennent à toutes les voix qui, sur internet, critiquent la Russie. 

Quels moyens reste-il aux Russes pour s’informer d’une manière objective ?
Hormis les rares médias que je viens de citer, il existe sur internet de nombreuses sources russes d'information qui échappent à la propagande officielle. Et tant que l'accès à l'internet reste libre, les Russes qui le souhaitent et qui comprennent des langues étrangères, peuvent d'un simple clic consulter tous les sites qu'ils désirent. 
 
Mais cette population éduquée et critique est très minoritaire en Russie. Au point qu'elle ne représente aucune menace pour le pouvoir. On l'a vu encore lors des législatives de septembre 2016. C'est tout le système politique qui est verrouillé et qui ferme à l'opposition les portes de l'Assemblée et, bien entendu, de celles de la présidence. On est bien loin aujourd'hui de la grande vague de contestation de 2011 et de 2012 quand des dizaines de milliers de Moscovites étaient descendus dans la rue pour dénoncer la fraude électorale et réclamer le départ de Poutine. 
 
Des jeunes regardent une conférence télévisée du président russe, Vladimir Poutine, dans la ville de Krasnoïarsk (Sibérie) le 17 avril 2014. (REUTERS - Ilya Naymushin )

Désormais, beaucoup de Russes, désespérés de ne plus pouvoir se faire entendre, ont choisi ce qu'ils appellent un exil intérieur. Ils ne se préoccupent plus de politique et se concentrent sur leur vie de famille, l'éducation de leurs enfants, leur développement personnel. Beaucoup, aussi, continuent à fuir la Russie. Des jeunes gens très qualifiés qui vont chercher en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Australie, une vie meilleure, mais surtout une liberté à laquelle ils ne croient plus dans leur propre pays.  

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