La Russie perfectionne ses techniques de "soft power" en Afrique
Moscou entend accroître son influence sur le continent africain.
Le 11 juin 2019, le quotidien britannique The Guardian publiait des documents secrets, révélant que la Russie cherche à renforcer sa présence dans au moins 13 pays d'Afrique. Et ce par l'intermédiaire, notamment, d'une coopération militaire, politique et économique. Les documents indiquent un lien fort avec Evgueni Prigogine, oligarque patron du groupe Wagner, "pourvoyeur de mercenaires russes en Centrafrique", comme l'expliquait franceinfo Afrique en janvier 2019. Surnommé le "chef cuisinier" de Vladimir Poutine, l'homme est surtout connu pour sa "fabrique de trolls". Il est notamment soupçonné d’avoir aidé l’équipe de Donald Trump pendant l'élection américaine de 2016.
Objectif de Prigogine et de son équipe: diminuer l'influence occidentale sur le continent. A travers le groupe Wagner, il possède des moyens variés pour atteindre ses objectifs stratégiques et militaires. D’après les documents qui ont fuité, ce dernier a effectué des opérations en République centrafricaine, au Soudan, à Madagascar, en Libye, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, au Soudan du Sud, en RDC, au Tchad et en Zambie. Ces documents indiquent que Prigogine et ses partenaires auraient aussi des projets en Ouganda, en Guinée équatoriale, au Mali et en Ethiopie.
En République centrafricaine, les Russes affirment avoir neutralisé le gouvernement qu'ils estiment pro-français. Ils affirment également avoir renforcé l’armée et avoir développé de nouveaux médias. Au Soudan, un courrier échangé entre Prigogine et l’ex-président Omar al-Bashir prouve que la Russie a essayé de protéger le régime de l'ancien dictateur.
"Soft power" russe
Le "soft power" russe en Afrique n’est désormais plus un secret. La Fondation de la protection des valeurs nationales, une organisation à but non lucratif liée également à Prigogine, vise à "protéger les intérêts nationaux de la Fédération de Russie". Mais elle entend aussi aider à "préserver la culture traditionnelle" d’autres pays du monde avec des tables-rondes, des études et des échanges culturelles, a expliqué à franceinfo Afrique son directeur, Alexander Malkevitch. L'Afrique est l'un de ses principaux centres d'intérêt.
Cette fondation a commencé à se faire connaître ailleurs qu'en Russie en juin 2019, quand deux ressortissants russes, employés de la fondation, ont été arrêtés en Libye. Ils étaient accusés de vouloir "influencer le cours des prochaines élections". Alexander Malkevitch reconnaît avoir été surpris par les réactions qu'a suscitées cette affaire: "Nous ne nous attendions pas à ce qu’elle soit perçue aussi défavorablement et que la couverture par les médias étrangers soit si négative”.
Alexandre Malkevitch lui-même est un personnage qui éveille la curiosité. Il est journaliste, responsable de USA Really, un "projet médiatique" russe qui vise à "promouvoir des informations et des problèmes essentiels qui sont dissimulés par les médias américains conventionnels contrôlés par l'establishment et l’oligarchie des États-Unis." L'accès du site a été bloqué à plusieurs reprises par Google, Facebook, Twitter et Linkedin. USA Really est également lié à Evgeni Prigogine et sa “fabrique de trolls”.
Depuis début 2019, Alexandre Malkevitch dirige la "Fondation de la protection des valeurs nationales". Celle-ci, explique son site, entend collaborer "avec la communauté médiatique mondiale et les organisations de défense des droits de l’Homme dans le domaine de la protection des droits des journalistes et des associations patriotiques afin de préserver et de promouvoir le patrimoine culturel".
"Identité africaine"
Un des documents, qui a fuité, intitulé "Le monde africain", aborde la question de "l’identité africaine". Alexander Malkevitch, bien qu’il nie l’authenticité de ces papiers et les considère comme des "fake news", a confirmé à franceinfo Afrique qu’un des buts principaux de son organisation est de protéger "les valeurs nationales de chaque pays contre les interventions et les influences étrangères".
Etant journaliste lui-même, Alexander Malkevitch a de grands projets liés au médias en Afrique. “Nous sommes prêts à apprendre à nos collègues africains comment lutter contre les 'fake news', comment vérifier les informations, comment travailler dans les nouveaux médias”, dit-t-il. Par contre, le directeur de la Fondation de la protection des valeurs nationales avoue qu’il évite de citer toutes les actions de l’organisation car parfois "cela provoque une réaction étrange de la part de certains médias étrangers", comme dans le cas de Libye.
Financement
La Fondation dit avoir plusieurs sources de financement. "Nous avons un crowdfunding (système de financement participatif, NDLR) et nous vendons aussi des services de consulting" à des entreprises et à des gouvernements en Afrique, explique Alexander Malkevitch. Ce dernier dit organiser lui-même des conférences, des cours de formation et des sessions de coaching. Dans le même temps, "nos dépenses ne sont pas énormes", poursuit-il, “nous n'avons pas besoin de grand-chose”. Selon lui, la fondation ne fait pas travailler des dizaines d’employés et ne possède pas de siège au dernier étage d'un gratte-ciel au cœur de Moscou.
En octobre 2019, Alexander Malkevitch et sa fondation participeront à la conférence "Russia-Africa Summit" (Sommet Russie-Afrique) à Sotchi, ville du sud de la Russie connue pour avoir hébergé les Jeux olympiques les plus chères de l'histoire et aussi pour un scandale de dopage au sein de l’équipe russe. Plus de 35 dirigeants africains, le président Vladimir Poutine et des hommes d’affaires sont attendus à ce sommet. La Fondation de la protection des valeurs nationales y jouera un rôle fondamental. Selon son directeur, "il y a un grand intérêt pour les entreprises russes en Afrique. (Ceux qui veulent investir sur le continent) auront besoin de nos conseils, de notre accompagnement".
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