Cet article date de plus de huit ans.

Hypothétique visite de Poutine à Paris: étendre l'influence de Moscou en Europe

Le Kremlin a annoncé le 11 octobre 2016 que Vladimir Poutine «souhaite reporter» sa visite à Paris le 19 octobre. «Je me pose la question» de savoir s’il faut le recevoir, avait déclaré son homologue français, François Hollande, dans une interview. Et ce alors que la France fustige les «crimes de guerre» commis à Alep en Syrie. Interview du correspondant de France 2 en Russie, Dominique Derda.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
François Hollande et Vladimir Poutine au Kremlin, à Moscou, le 26 novembre 2015. (AFP - POOL - ALEXANDER ZEMLIANICHENKO)

Vladimir Poutine devait se rendre à Paris le 19 octobre 2016. Il devait participer à l’inauguration du centre spirituel et culturel orthodoxe du quai Branly, visiter l’exposition Chtchoutkine à la fondation Louis Vuitton, mais il devait aussi rencontrer François Hollande pour parler de la Syrie et de l’Ukraine… 
La diplomatie a ses règles, ses usages. D’habitude, c’est le pays qui reçoit qui, le premier, annonce la visite d’un dirigeant étranger. En ce qui concerne celle de Vladimir Poutine à Paris le 19 octobre, c’est Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, qui l’a annoncée à l’occasion de sa rencontre avec Jean-Marc Ayrault le 6 octobre dernier à Moscou. «Cette visite aura une grande importance», disait le chef de la diplomatie russe. Sergueï Lavrov savait évidemment que son pays allait opposer son veto, deux jours plus tard, à l’ONU au projet de résolution française qui réclamait l’arrêt des bombardements à Alep. Alors pourquoi griller ainsi la politesse à son homologue français? Pour lui montrer que c’était la Russie qui dictait ses règles. En Syrie comme ailleurs. Et faire porter à François Hollande, le cas échéant, la responsabilité de l’annulation de la rencontre.
 
Quel intérêt pour le président russe de rendre visite à un chef d’état français affaibli?
L’intérêt premier, c’est d’abord de montrer que quelles que soient les tensions autour de la Syrie, la Russie n’est pas isolée sur la scène internationale, que son président est reçu avec les honneurs comme le chef du plus grand pays du monde. Et vous pouvez compter sur la télévision russe pour donner à l’événement bien plus d’ampleur qu’il en aura réellement. Ça, c’est d’abord à destination de son opinion publique.

En réalité, quoi qu’en ait dit Sergueï Lavrov, je suis convaincu que la priorité pour Vladimir Poutine ce n’est pas sa rencontre avec François Hollande. C’est l’inauguration du «centre spirituel et culturel orthodoxe» du quai Branly. Un ensemble de plus de 4700 mètres carrés en plein cœur de Paris. Avec, comme pièce maîtresse, une cathédrale dont les coupoles argentées se verront à des kilomètres alentour. Une antenne du patriarcat, très conservateur, mais aussi et surtout du Kremlin qui cherche à étendre son influence un peu partout en Europe, et notamment en France. Même de façon aussi symbolique. Car ce symbole, lui, restera.
 
Poutine et Hollande à l'Elysée, à Paris, le 2 octobre 2015. (AFP - Etienne Laurent)

Vu de Moscou, quel est l’état actuel des relations Russie-France après le véto russe au projet de résolution française à l’ONU sur la Syrie?
La préoccupation N°1 du Kremlin en matière de relations internationales, c’est de rendre à la Russie la place de superpuissance qu’elle a perdue avec l’effondrement de l’URSS il y a vingt-cinq ans. Traiter d’égal à égal avec les Etats-Unis. Profiter du désengagement, tout relatif, des Américains de certaines régions du monde comme le Moyen-Orient, pour pousser ses pions. Toute la machine militaire et la machine de propagande russe sont tournées vers cet objectif. La France n’est qu’un «partenaire», comme on dit ici, de second ordre. Sa voix compte un peu plus que d’autres parce qu’elle siège au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais, franchement, ce n’est pas ce projet de résolution française qui allait empêcher Vladimir Poutine de dormir.
 
Les relations franco-russes sont plutôt meilleures que celles qu’entretient la Russie avec d’autres pays européens, mais elles restent tendues. Elles le sont particulièrement depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014. Avec des périodes où les choses semblaient s’arranger un peu et d’autres où, au contraire, ça s’est dégradé. La non-livraison des Mistral, dont on a laissé entendre en France qu’elle n’avait pas eu de conséquences fâcheuses entre Paris et Moscou, revient dans la plupart des conversations que l’on peut avoir ici avec des militaires ou des officiels russes. Nul doute donc que le pouvoir russe suivra avec la plus grande attention l’élection présidentielle du mois de mai prochain en France. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.