Guerre en Ukraine : six questions sur le risque de défaut de paiement de la Russie
La Russie se rapproche du défaut de paiement général. Moscou n'a pas pu régler une dette en dollars cette semaine. L'agence de notation S&P a par conséquent placé samedi le pays en défaut "sélectif".
Soumises à de très lourdes sanctions depuis qu'elle a envahi l'Ukraine il y a un mois et demi, la Russie est dans une position de plus en plus délicate sur la scène financière internationale. L'agence de notation financière S&P Global Ratings a abaissé, samedi 9 avril, la note de la Russie pour ses paiements en devises étrangères au niveau de "défaut de paiement sélectif", dernière étape avant le défaut de paiement général. Cette situation soulève plusieurs questions.
Comment un Etat rembourse-t-il sa dette ?
Lorsqu'un Etat ou une société rembourse un emprunt en devises étrangères ou paye des intérêts liés à un emprunt de ce type, la somme est virée sur un compte ouvert par une banque nationale chez une banque correspondante à l'étranger. Cette dernière doit vérifier s'il est possible ou non de procéder au paiement. Passée cette analyse de conformité, elle dépose l'argent dans un sous-compte qui va être contrôlé par une banque agent payeur, avant que les sommes soient versées aux détenteurs des obligations.
Que signifie un défaut de paiement ?
Un pays est considéré en défaut de paiement lorsqu'il est incapable d'honorer ses engagements financiers auprès de ses créanciers. Ceux-ci qui peuvent être d'autres Etats, mais aussi des institutions financières, comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, ou des investisseurs sur les marchés financiers. Le défaut est qualifié de partiel quand l'Etat ne rembourse pas une partie de ses obligations.
Qui déclare un pays en défaut de paiement ?
Un gouvernement peut de lui-même se déclarer en défaut de paiement, en annonçant qu'il cesse de rembourser ses échéances de dette. C'est ce qu'a fait la Russie en 1998 pour ses dettes intérieures. Le défaut de paiement peut aussi être prononcé par une agence de notation, après un délai de grâce.
Le défaut peut encore être officialisé par un créancier privé révélant publiquement qu'un pays a cessé de le rembourser, ou encore par l'agence américaine ISDA (International Swaps and Derivatives Association), qui régit les crédit default swap, une sorte d'assurance contre le défaut de paiement.
Les trois grandes agences de notation S&P, Fitch et Moody's servent d'arbitres pour déclarer un pays en défaut. Mais Fitch et Moody's ont déjà abandonné l'évaluation de la dette de l'Etat et des entreprises russes, dans le cadre des sanctions décidées contre Moscou. L'agence S&P devait cesser les notations d'ici au 15 avril, mais a finalement annoncé samedi qu'elle arrêtait immédiatement de le faire.
Pourquoi la Russie se retrouve-t-elle dans cette situation ?
Pendant plusieurs semaines, la Russie a écarté le danger d'un défaut de paiement, le Trésor américain ayant permis l'utilisation de devises étrangères détenues par Moscou à l'étranger pour régler des dettes extérieures. En mars, la Russie a ainsi payé plusieurs tranches d'intérêts, démontrant sa volonté et sa capacité à rembourser.
Mais depuis lundi, le département américain au Trésor n'autorise plus la Russie à rembourser sa dette avec des dollars détenus dans des banques américaines. Du coup, JPMorgan, qui servait de banque correspondante, a bloqué un paiement. En conséquence, le ministère des Finances russe a annoncé, mercredi, avoir réglé en roubles près de 650 millions de dollars dus le 4 avril.
A la suite de cette décision, l'agence de notation S&P a abaissé samedi la note de la Russie pour ses paiements en devises étrangères (mais pas pour ses paiements en roubles) au niveau de "défaut de paiement sélectif". Il s'agit de la dernière étape avant le défaut de paiement général. Cela signifie que S&P estime que la Russie sera en mesure de régler d'autres échéances futures à l'heure.
Quel serait l'impact d'un défaut de paiement de la Russie ?
Un défaut de paiement de la Russie aurait "un effet direct sur le reste du monde plutôt limité", a estimé fin mars Gita Gopinath, la numéro 2 du Fonds monétaire international (FMI), et "ne représente pas un risque systémique pour l'économie mondiale". Les montants des échéances de paiements que doit honorer Moscou "sont relativement faibles à l'échelle mondiale". Certaines banques, plus exposées, pourraient toutefois être affectées plus durement.
La Russie peut-elle encore y échapper ?
"Il n'y a pas de fondement pour un réel défaut", a balayé le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, interrogé lors d'un point-presse mercredi. Et d'affirmer que "la Russie avait toutes les ressources nécessaires pour honorer ses dettes". Le ministère russe des Finances a pour sa part mis en garde mercredi les créanciers de pays "inamicaux" : l'argent leur sera remboursé en roubles déposés sur un compte russe et ils ne pourront convertir ces roubles qu'à condition que les fonds de la Russie à l'étranger soient débloqués. Selon Elina Ribakova, de l'Institut de Finance Internationale à Washington, il s'agit pour Moscou de "montrer qu'ils peuvent payer".
"L'Etat russe, comme de nombreuses entreprises russes, sont poussés à un défaut technique, un événement sans précédent", explique à l'AFP Slim Souissi, spécialiste des banques et des défaillances des Etats. "Le remboursement doit se faire dans des conditions qui sont au moins aussi favorables que ce qui a été initialement convenu", précise-t-il. Or, "dans la mesure où le remboursement est en roubles, alors que le contrat obligataire stipulait un remboursement en dollars uniquement, cela peut être considéré comme un défaut de paiement".
"Théoriquement", les créanciers peuvent "intenter une action en justice contre l'Etat russe pour se faire rembourser", selon Slim Souissi. Même si les marges de manœuvre semblent assez réduites. La Russie pourrait également faire contester tout défaut de paiement devant les tribunaux au motif qu'elle a été empêchée d'honorer sa dette étrangère par les sanctions financières prises à son encontre.
En pratique, le sort de la Russie est entre les mains de l'administration américaine. Le Trésor lui a accordé un droit exceptionnel de puiser dans ses réserves en dollars gelées à l'étranger, cette licence pourrait être renouvelée à la fin mai. "Si cela n'était pas le cas, la probabilité d'un défaut serait alors beaucoup plus forte", analyse sur RFI la consultante Anne-Laure Kiechel, une spécialiste de la dette des Etats.
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