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Crash du MH17: conclusions néerlandaises et contre-arguments russes

Qui, des rebelles pro-russes ou des forces loyalistes ukrainiennes, a abattu le Boeing malaisien ? Les auteurs du tir ne sont toujours pas identifiés, mais le rapport des experts néerlandais du Bureau d'enquête pour la sécurité est formel : c'est un missile de fabrication russe qui est à l'origine du crash du vol MH17. Moscou conteste ces conclusions au moyen d'une batterie d'arguments.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le Bureau d'enquête néerlandais pour la sécurité (OVV) a présenté son rapport final le 13 octobre 2015 sur la base aérienne de Glize-Rizen, aux Pays-Bas.
 (REUTERS/Michael Kooren)

Le 13 octobre, le Bureau néerlandais d'enquête sur la sécurité (OVV), chargé d'éclaircir les circonstances du crash du Boeing de la Malaysia Airlines abattu le 17 juillet 2014 alors qu'il survolait l'Ukraine en plein conflit armé avec la Russie, rendait ses conclusions après quinze mois d'investigations. Elles sont formelles : c'est un missile de fabrication russe, de type Buk, qui a abattu le vol MH17. «Aucun autre scénario ne peut expliquer cette combinaison de facteurs.» Le scénario de l'accident, reconstitué en images d'animation, est visible sur le site du Figaro.

Ce que dit le rapport d'enquête
Le missile à l'origine du crash a explosé, à une vitesse de 2.500 km/h, à un mètre de l'appareil. Ses éclats ont désintégré le cockpit par le haut et la gauche, tuant les pilotes sur le coup, a établi l'enquête. L'appareil s'est brisé en vol. La forme en cube des très nombreux impacts a permis d'identifier un missile sol-air de type Buk 9M68, de fabrication russe. Les mêmes fragments de ce missile ont été retrouvés sur le site du crash et dans les restes de l'avion.

La fiche technique du crash, avec plan de vol, carte du conflit en Ukraine et des débris du vol MH17, fiche technique du missile et inventaire des morts par nationalité.  (L.SAUBADU/V.LEFAI, GAL/TSQ/VM/VL/ABM / AFP)

D'où a été tiré ce missile ? La zone de 320 km² située en Ukraine de l'Est délimitée par le rapport ne permet pas de le préciser. L'OVV était chargé de déterminer les circonstances du crash, non les responsabilités – c'est le travail de l'enquête pénale internationale, coordonnée par le parquet néerlandais, qui rendra ses conclusions en 2016. Le président de l'OVV, Tjibbe Joustra, a néanmoins indiqué à des journalistes néerlandais qu'il s'agirait sans doute de la partie de cette zone contrôlée par les rebelles pro-russes, signale Le Monde. Il a ajouté que certains éléments avaient été maquillés ou avaient disparu avant le début de l'enquête néerlandaise.

D'autre part, le rapport impute une certaine responsabilité à l'Ukraine dans ce crash, en lui reprochant de ne pas avoir fermé son espace aérien, rendu dangereux par le conflit. Seize avions militaires ukrainiens avaient été abattus en quatre mois par les forces pro-russes, dont trois durant les jours précédents. Kiev avait simplement déconseillé de voler en dessous de 9.800 km d'altitude. 

Des conclusions contestées par la Russie 
La Russie, «en désaccord catégorique» avec ces conclusions (sauf sur la responsabilité de l'Ukraine), va poursuivre ses propres investigations, a déclaré le 14 octobre l’Agence fédérale russe de l’aviation, Rosaviatsia. Le ministre néerlandais des Affaires étrangères l'a accusée le lendemain d'être «plus intéressée à semer la confusion que par l'état du rapport final de l'OVV». Bert Koenders a indiqué n'avoir pas réussi à joindre son homologue russe, Sergueï Lavrov. Lequel avait pointé le lundi précédent de «nombreuses choses étranges» dans l'enquête de l'OVV, et regretté que «la Russie (n'ait) pas reçu de réponses à (ses) nombreuses questions».

La partie russe soutient qu'«il est impossible de déterminer exactement les éléments ayant contribué à abattre le Boeing». Selon elle, il ne s'agirait pas d'un missile Buk 9M38-M1 mais d'une version antérieure, le Buk 9M38, «retiré du service depuis la fin des années 90, le dernier en date ayant été fabriqué en 1986». L'Ukraine alors soviétique en disposait – une façon transparente de l'accuser.

Une coûteuse contre-enquête russe
Le 13 octobre, le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a attribué le crash à «une opération des services secrets russes». L'Ukraine a mené sa propre enquête, qui conclut que le missile aurait été tiré de Snijine (ou Snijné), près de Donetsk, en territoire contrôlé par les pro-russes. Une version soutenue par la Maison-Blanche, dénonce le média pro-Kremlin Sputniknews.

De son côté, la Russie a mené une coûteuse contre-enquête (10 millions de roubles, soit environ 150.000 euros), prise en charge par le constructeur du missile, l'entreprise (détenue par l'Etat) Almaz-Anteï – l'une des premières visées par les sanctions internationales, précise Le Monde. Son président, Ian Novikov, a tenu une longue conférence le 12 octobre, avec projection sur écran géant. Le constructeur s'apprête à demander à l'UE une compensation (lien en russe) de ces dépenses, notamment sous forme d'annulation des sanctions dont elle fait l'objet.
Ian Novikov, président d'Almaz-Anteï, le constructeur du missile Buk, en conférence de presse à Moscou le 13 octobre 2015. (VALERIY MELNIKOV / RIA NOVOSTI)

La reconstitution a consisté à modéliser l'attaque et à faire exploser une ogive à côté d'un Iliouchine-86, avion retiré du service et présenté comme «très proche». Cette contre-enquête localise elle aussi le tir, mais dans la zone contrôlée par l'armée ukrainienne, à Zaporochtchenskoïé.

Le faisceau d'indices qui accuse les séparatistes pro-russes
Depuis plus d'un an, l'Ukraine et la Russie se renvoient la responsabilité de la catastrophe, qui a coûté la vie à 298 personnes dont quinze membres d'équipage, pour les deux tiers néerlandais. Les soupçons pèsent néanmoins fortement sur les rebelles pro-russes soutenus par Moscou, et ce depuis le jour même de l'accident.

Dans l'après-midi du 17 juillet, avant que la catastrophe ne soit connue, des conversations téléphoniques entre deux officiers russes mentionnaient un avion de ligne abattu. Un post sur Facebook où un commandant séparatiste se vantait d'avoir «descendu» un avion ukrainien a été repéré, avant de disparaître lui aussi des écrans radars... L'hypothèse d'une bévue des forces pro-russes a toujours été prise au sérieux par la communauté internationale.

L'éditorial du Temps daté du 13 octobre rappelle que le périmètre d’où l’arme a été tirée, déterminé par le rapport d'OVV, «était déjà, en 2014, aux mains des miliciens soutenus par Moscou. Il est extravagant d’imaginer des militaires ukrainiens se glisser sans être vus dans ce lieu hostile, avec un blindé lance-missiles, à seule fin d’abattre un avion civil pour incriminer le Kremlin et ses alliés».

Selon l'enquête de Correct!v, site d'investigation allemand partenaire de Mediapart, détaillée dans un article du 30 janvier 2015, «la batterie de missiles sol-air de type Buk a été mise en place par la 53e brigade russe de défense anti-aérienne, opérant en territoire ukrainien»

La Russie campe sur ses soupçons de partialité
Outre apposer leur veto à la création d'un tribunal spécial pour juger les responsables du crash, les autorités russes ont tout fait pour créer «un écran de fumée» sur les investigations, dénoncent la plupart des médias occidentaux. Dans les jours qui ont suivi le crash, rappelle Le Monde, elles se sont ainsi bien gardées d'intervenir pour empêcher les séparatistes de bloquer le travail des enquêteurs.

Les autorités et les médias pro-gouvernementaux russes, de leur côté, accusent l'enquête et, d'une façon générale, le monde occidental, de partialité dans cette affaire. Sur le site de la chaîne proche du pouvoir NTV, un article reprend les conclusions de l'émission Propagande, qui s'attache à dénoncer les coupables de la mauvaise image dont souffre la Russie à l'étranger et (ici) démasque «les experts de salon de l'affaire du vol MH17». En discréditant notamment le travail d'Eliot Higgins, le fondateur de Bellingcat, ce site de journalisme citoyen en pointe sur ce dossier dès le crash.









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