Chypre : bombe à retardement financière ?
« Du soleil, la mer Méditerranée, des impôts mesurés, des Russes, une bulle immobilière en pleine implosion, des réserves de gaz naturel prometteuses, un cocktail détonnant digne des plus vibrants épisodes d'Enquête exclusive», résume drôlement le site Margincall à propos de cette petite île méditerranéenne au secteur bancaire survitaminé. En effet, la crise chypriote, comme la crise irlandaise, est avant tout bancaire.
Chypre en faillite
Avec ses 9.000 km², ses 800.000 habitants et un PIB de 18 milliards d’euros, Chypre ne pèse pas bien lourd et pourtant, la zone euro est aujourd'hui rattrapée par les difficultés de l’île, qui semble combiner certains des pires problèmes des dossiers grec, espagnol et irlandais.
Selon les dernières estimations des analystes, Chypre a besoin de 17,5 milliards d'euros d'argent frais, dont 10 pour ses banques. Un montant faible dans l'absolu, mais qui représente près de 100% de son produit intérieur brut (PIB), près de trois fois plus que dans le cas du Portugal.
Bien sûr, la zone euro peut se permettre d'accorder une telle aide. Le problème, c'est que la République de Chypre risque de ne jamais être en mesure de la rembourser.
Les causes de la crise
«Chypre souffre principalement d'une forte exposition de ses banques aux titres grecs, privés ou souverains», selon Margincall. La restructuration de la dette grecque aurait couté 4 milliards d'euros aux banques chypriotes.
Un rapport parlementaire français décrit un «modèle économique à repenser», insistant sur le poids trop grand de son secteur public, l’indexation des salaires, une faible compétitivité.
Résultat, la demande d’aide de Chypre, formulée en juin 2012, entraîne la même réponse habituelle de l’Europe : programme de privatisations, réforme des retraites, un impôt exceptionnel et une restructuration en profondeur du secteur bancaire. Avec les mêmes conséquences néfastes en terme de croissance.
Mais, même appliquées en totalité, ces mesures ne génèreraient pas de recettes ou d'économies suffisantes pour permettre de ramener la dette chypriote à un niveau soutenable.
La principale originalité de l’économie chypriote est le poids de la Russie
«La Russie détient 25% des dépôts bancaires. Les fonds proviendraient de la vente de pétrole ou de minerais. 10% de la Bank of Cyprus sont, par ailleurs, détenus par des Russes. Les investissements russes dans le pays s'élevaient ainsi à 78,2 milliards de dollars en 2011, soit un tiers des investissements. De nombreux fonds d'investissement russes se font domicilier à Chypre pour profiter des avantages fiscaux qui leur sont accordés sur l'île. 1.400 demandes d'enregistrement ont été déposées par des sociétés russes qui souhaitent s'implanter ou développer leurs activités à Chypre au seul mois de janvier 2012. Ces fonds, devenus chypriotes, investissent ensuite en Russie. Chypre est, de la sorte, considérée, comme le premier investisseur en Russie (68,9 milliards de dollars au cours des trois premiers mois de 2012). L'enregistrement à Chypre permet également à ces sociétés d'origine russe d'accéder plus aisément aux bourses européennes», notait le rapport français.
«Essayez donc d'en savoir plus sur quelques sociétés chypriotes, il est très fréquent de trouver des dirigeants ou administrateurs russes. En sus d'être un excellent moyen pour limiter son ardoise fiscale, le pays est une excellente porte d'entrée vers l'UE et tout ce qu'elle procure, à commencer par la sécurité des capitaux», écrit plus méchamment Margincall.
L'idée que Chypre serait une grande lessiveuse d'argent sale russe fait bondir sur l'île. Les responsables chypriotes mettent en avant le bon classement de leur pays par les organisations internationales, comme Transparency, qui note les degrés de corruption des Etats.
Une intervention problématique
«Un renflouement pour des oligarques russes, c'est le pire des titres qu'on puisse imaginer», juge un responsable de l'UE...
«Ce sont surtout les riches Russes, qui ont placé leur argent sale sur l'île méditerranéenne, qui profiteraient de l'aide» européenne, s’inquiétait le Spiegel, soulignant les réticences de l'opposition social-démocrate allemande à approuver un plan de sauvetage de Chypre pour cette raison.
De nombreux hommes d'affaires russes, appâtés par des niveaux de prélèvements fiscaux moindre – même si Chypre a quelque peu perdu sa réputation de paradis fiscal depuis son entrée dans l'UE en 2004 –, ont placé des montants importants dans les banques chypriotes, selon le Spiegel.
«Au total, 21 milliards d'euros ont été investis à Chypre en 2011 par ces oligarques russes, soit plus que le PIB annuel dégagé par l'île (17,8 milliards d'euros)», poursuit le magazine, citant des chiffres du BND (les services secrets allemands), rapportait l’Expansion.
Rien de réglé
Vous avez aimé la crise grecque, vous aimerez la crise chypriote, semblent s’amuser les observateurs qui voient les Allemands se déchirer sur cette question à moins de sept mois de leurs législatives. Berlin et la Banque centrale se sont accrochés sur l'urgence ou non d'intervenir dans la crise chypriote et l'opposition allemande ne semble pas vouloir voter un plan de refinancement de l'île.
Et si il y a de l’eau dans le gaz entre la position de Berlin et celle de la BCE sur l’urgence de régler la question chypriote, la solution pour l’île viendra peut être du gaz qui serait dans le sous-sol de sa zone maritime. Si Chypre devenait un gros producteur de gaz, sa crise bancaire ne pourrait être qu’un mauvais souvenir.
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