Royaume-Uni: le Brexit va-t-il tuer le fromage de Gloucester?
Le Royaume-Uni ne dispose pas d'un système national de labels comparable à celui qui existe en France avec l'appellation d'origine contrôlée (AOC) ou l'appellation d'origine protégée (AOP), développées par l’Institut national d’origine et de la qualité. Un dispositif censé garantir le processus de fabrication ou la provenance des produits.
C'est pourquoi Charles Martell (à ne pas confondre avec le Charles Martel, avec un seul l, de nos livres d’Histoire) s'est tourné il y a deux décennies vers les autorités européennes. Dans sa ferme du Gloucestershire (sud-ouest de l’Angleterre), il produit le Single Gloucester cheese, qui s'apparente à la tomme de Savoie, selon une recette de 1931. Et se différencie du Double Gloucester, apparemment plus répandu que son compère Single. La tradition fromagère dans la région remonte au XVe siècle.
«Dégagez !»
Au-delà de la tradition, Charles Martell entendait au départ protéger des copieurs son produit, fabriqué à partir de lait cru et pasteurisé. «Certains commençaient à faire le même fromage à l'étranger et je me suis dit en mon for intérieur: ‘‘dégagez, ce n'est pas votre fromage!’’», explique-t-il au milieu de ses vaches à Dymock, dans le comté de Gloucester, un jour glacé du mois de février.
Il a alors postulé avec succès pour recevoir le label européen d'appellation d'origine protégée. Qu’il a obtenu en 1994. Celui-ci défend des spécialités locales produites, transformées et élaborées dans une aire géographique déterminée, «en mettant en œuvre le savoir-faire reconnu de producteurs locaux et des ingrédients provenant de la région concernée», selon la définition de Bruxelles.
Nombre de fromages français (le camembert de Normandie, le munster, le chabichou du Poitou, l'époisses…) et de multiples autres produits de l’Hexagone, comme le raisin Muscat du Ventoux, la pomme de terre de l’île de Ré, le miel de Corse ou la volaille de Bresse figurent sur la liste des AOP. Ailleurs dans l’Union européenne, on trouve le jambon de Parme italien ou la féta grecque. Le Royaume-Uni compte, lui, 77 produits protégées par ce label. A commencer par le fameux et très British fromage cheddar, le West Country Farmhouse Cheddar. Mais aussi la crème fraîche des Cornouailles, le saumon sauvage d'Écosse, le Scotch whisky…
Selon les chiffres de la Commission européenne, les produits sous appellation d'origine protégée se vendent 2,3 fois mieux que des produits équivalents ne bénéficiant pas de ce label. Et les producteurs peuvent demander des financements à Bruxelles pour les promouvoir.
En clair, ces labels sont une belle opportunité pour développer les produits de terroir de qualité. Ce n’est d’ailleurs pas Charles Martell qui dirait le contraire…
Il exporte dans 30 pays…
Lorsqu'il a commencé à ressusciter le Single Gloucester cheese en 1976, le producteur de Dymock trayait ses trois vaches à la main et vendait quelques meules sur le marché local. Aujourd'hui, il possède son site internet. Et exporte dans trente pays.
Ce succès est d’autant plus européen que la fromagerie Martell emploie notamment du personnel… originaire d’Europe de l’Est : un Roumain expert en matière de traite des vaches, ainsi que des employés venu de Pologne et de Bulgarie. Daniela Welch, une Bulgare qui fabrique du Single Gloucester cheese à Dymock depuis 13 ans, se veut positive. En pratiquant la méthode Coué. «Je suis sûre qu'on va continuer à avoir accès (avec nos fromages) au marché européen», même sans le label de l'UE, dit-elle.
Pour autant, l’afflux de migrants, notamment est-européens, dans le royaume entre 2004 et 2017, a été l’une des principales causes du vote anti-UE de juin 2016… Aujourd’hui, certains agriculteurs craignent d'avoir du mal à embaucher à l'avenir si le Brexit a pour effet de fermer la porte du marché du travail britannique aux travailleurs venus du continent.
… mais il est pour le Brexit
Fort paradoxalement, et malgré son succès, le fabricant du fromage de Gloucester ne cache pas sa satisfaction de voir le Royaume-Uni quitter l'UE. L’UE à qui il doit pourtant une grande partie de sa bonne fortune ! Selon lui, le Brexit pourrait être une opportunité d'avoir une meilleure protection de l'environnement et de mettre fin aux subventions «trop généreuses versées aux grandes exploitations agricoles».
De leur côté, les producteurs labellisés disent «nager dans l’incertitude».
Pour l'instant, le gouvernement de Sa Majesté n'a pas annoncé de solution pour remplacer les labels européens par un mécanisme similaire propre à Albion. Mais «ces produits sont très importants pour cimenter notre réputation de grand pays culinaire et nous allons œuvrer pour qu'ils continuent à être protégés à l'avenir», assure une porte-parole du ministère de l'Agriculture.
De son côté, Charles Martell dit ne pas imaginer «que le gouvernement n'élabore pas une version britannique» de label. «Ce serait fou qu'ils ne le fassent pas», dit-il. Mais il dit ne pas être dupe quant aux priorités de Londres. «Le gouvernement a du pain sur la planche avec 40 ans de coopération européenne à défaire. Je ne pense pas que notre dossier sera sur le haut de la pile», explique-t-il.
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