Législatives britanniques : à Douvres, le Ukip marque des points avec sa campagne anti-immigrés
Symbole de l'afflux de migrants au Royaume-Uni, Douvres est une cible privilégiée pour le parti europhobe et populiste qui s'est imposé aux dernières européennes. Reportage aux côtés de son candidat local, David Little.
A Calais, impossible de ne pas voir les migrants. Par dizaines, ils font la course autour des poids lourds qui embarquent sur les ferries à destination de Douvres dans l'espoir d'arriver à se cacher dans l'un d'entre eux. Ils traversent l'autoroute à pied... Leur but : gagner le Royaume-Uni. Arrivés de l'autre côté de la Manche, dans la station balnéaire de Douvres, aux célèbres falaises blanches, ils sont presque invisibles.
Pourtant, c'est Douvres que le leader du Ukip, parti europhobe et populiste, a choisi pour dénoncer l'afflux d'immigrés au Royaume-Uni lors de la campagne pour les législatives britanniques du jeudi 7 mai. Nigel Farage, grand vainqueur des élections européennes de mai 2014, y a dévoilé, en mars, une affiche choc : des escalators géants installés sur les falaises blanches, et ce slogan : "L'immigration est trois fois plus importante que ce que les Tories [conservateurs] avaient promis".
Du pain béni pour David Little, candidat local du Ukip pour ces législatives. A la veille du scrutin, mercredi 6 mai, il serre des mains et distribue son programme, installé avec son équipe sur High Street, la principale rue commerçante de Douvres. L'accueil des passants est chaleureux et enthousiaste. David Little, cheveux grisonnants et petites lunettes, arbore un large sourire.
"C'est un enfant du pays"
Susan, la soixantaine, l'embrasse. "C'est un enfant du pays ! Tout le monde le connaît, il ne détruira pas la ville, contrairement aux autres. Lui n'est pas clientéliste", explique-t-elle. Les autres, ce sont les travaillistes et les conservateurs, accusés d'être les responsables du déclin de cette ville portuaire du comté du Kent, porte d'entrée du Royaume-Uni pour les touristes et les migrants qui arrivent par ferries. Le visage d'High Street illustre ce déclin : des magasins à vendre, des rideaux baissés, des trottoirs déserts et des façades défraîchies rendent le centre-ville de Douvres morose et peu accueillant. "Ils nous ont ruinés et nous sommes là pour que cela change", promet David Little.
Ce commerçant de 51 ans joue la carte locale et pointe du doigt l'immigration, légale et illégale. "Il n'y a pas tant d'immigrés que ça à Douvres, reconnaît-il. Mais nous devons contrôler et limiter les flux de migrants. Nous ne pouvons plus supporter le coût de leur accueil." Si les migrants sont peu visibles à Douvres, c'est à la fois que Calais est devenue une barrière difficilement franchissable et que, une fois sur le territoire britannique, ils sont répartis dans des centres disséminés dans tout le pays. Calais sert d'ailleurs d'épouvantail dans l'argumentaire de David Little : "C'est une belle ville gâchée par tous ces migrants, le mauvais exemple."
"Ici, c'est le désespoir"
Un discours qui fait mouche auprès de Martyn. Sa boutique de tatouages a ouvert il y a seize ans dans le centre de Douvres. Il va voter Ukip "en raison de l'immigration", un sujet qui se classe parmi les premières préoccupations des électeurs dans les sondages. "Il y a trop de problèmes, de la criminalité, mais pas seulement. Que ce soit avec des Européens, des Polonais, des Africains, des Afghans, des Syriens..." lance cet homme âgé de 47 ans. Jeudi, il veut sanctionner les conservateurs et les travaillistes : "A cause d'eux, on donne une pension aux étrangers, on finance leur Sécu, on leur donne du travail. Mais on ne peut pas se le permettre !" s'emporte-t-il.
Douvres, c'est des falaises blanches, un château et des rues désertes, beaucoup de magasins fermés pic.twitter.com/WzJczrEhMz
— Vincent Daniel (@VincentDanie_l) 6 Mai 2015
"David est un gars du coin, il est de la classe ouvrière, comme nous tous. Je sais qu'en votant pour lui, je vote pour moi, pas pour des politiciens", confie aussi Martyn devant sa boutique, qui affiche fièrement la couleur sur sa vitrine : "I'm voting Ukip" ("Je vote Ukip"). Sur High Street, Ben, 30 ans, arrive pour donner un coup de main à la campagne de David Little. Il n'a jamais voté et vient de s'engager au Ukip. "Je veux accompagner le changement. Depuis vingt ans, rien n'a changé. Ici, c'est le désespoir. Des gens de mon âge dorment dans la rue", explique cet agent de sécurité.
Son candidat a tout d'un "pro" de la politique. David Little serre des mains à la chaîne, donne volontiers l'accolade, demande des nouvelles de la famille à ceux – nombreux – qu'il reconnaît. Le candidat Ukip dénonce pêle-mêle le clientélisme des travaillistes et des conservateurs, l'Europe et bien sûr l'immigration. Graham, 53 ans, acquiesce. "Il est temps d'arrêter". "Il faut contrôler l'immigration, ce n'est pas xénophobe, c'est du sens commun, se justifie-t-il. Le problème, ce n'est pas les étrangers, mais leur nombre qui a explosé."
L'Afrique, "bongo bongo land"
Lorsqu'on s'éloigne de la rue principale de Douvres, rien ou presque ne laisse penser que le Royaume-Uni est à la veille d'un scrutin déterminant pour son avenir. Seules des affiches gouvernementales appellent les électeurs à ne pas "oublier d'aller voter le 7 mai". "Le Ukip a un boulevard ici, regrette la patronne d'un salon de thé. C'est comme si les travaillistes et les conservateurs avaient déserté." Au niveau national, les deux partis se sont pourtant engagés à mieux contrôler les flux d'immigrés et leurs droits, sous la pression du Ukip. Mais "plus personne n'y croit", estime David Little.
Ne lui parlez pas des similitudes entre son discours et celui du Front national. "Je ne connais pas la politique française", esquive-t-il pour couper court à la conversation. Pourtant, les parallèles entre le parti de Marine Le Pen et le Ukip existent. Les deux partis réclament la sortie de l'Union européenne, souhaitent réguler l'immigration et ont parfois des candidats qui dérapent. En novembre dernier, David Little s'est fait remarquer en postant sur Facebook une "carte caricaturée" sur laquelle l'Afrique est désignée comme "bongo bongo land". Pas de quoi inquiéter le candidat Ukip de Douvres, qui a plaidé "l'humour", "plus confiant et optimiste que jamais".
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