L'article à lire pour comprendre les élections législatives britanniques
Les Britanniques votent jeudi pour renouveler la Chambre des communes au terme d'une campagne morne. Mais le suspense n'a jamais atteint une telle intensité outre-Manche. Et les enjeux ne manquent pas. Francetv info vous propose cet article pour y voir un peu plus clair.
Le Royaume-Uni de nouveau au centre de l'attention. Après la naissance royale de Charlotte, les Britanniques se rendent aux urnes, jeudi 7 mai, dans le cadre des élections législatives. Le premier événement a légèrement éclipsé le second. Mais les médias britanniques ont reproché aux candidats une campagne ennuyeuse. Pourtant, suspense, enjeux et tractations sont au rendez-vous. Francetv info vous dit tout ce qu'il faut savoir à ce sujet.
Ah bon, il y a des élections ?
Cela vous a peut-être échappé. Les Britanniques vont renouveler les 650 élus de la Chambre des communes. Ces élections législatives se tiennent tous les cinq ans. Cette fois, la campagne a été marquée par un paradoxe : elle a été d’un ennui mortel. Pourtant, le suspense est total dans ce scrutin aux enjeux très importants pour le Royaume-Uni ainsi que pour l’Union européenne. L’attente – insoutenable – et l’arrivée – tardive – du Royal Baby ont éclipsé la campagne électorale. Les résultats de ces élections vont être examinés à la loupe : ils détermineront la couleur politique du prochain gouvernement britannique. Et c’est là que l’incertitude est totale.
Quelles sont les tendances dans les sondages ?
Une constante tout au long de cette campagne électorale : les sondages ont été très serrés entre les conservateurs et les travaillistes. Aucune des deux formations, qui se partagent le pouvoir depuis des décennies au Royaume-Uni, ne semble en mesure de décrocher la majorité absolue. Les petits partis se retrouvent donc en position de "faiseurs de roi" en vue de la formation d’une coalition.
"Ce degré de suspense et d’incertitude est totalement inédit", affirme Sarah Pickard, maître de conférences et chercheuse en civilisation britannique à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. "On assiste à la fin du bipartisme. Il y a deux générations, 95% des électeurs votaient pour les conservateurs ou pour les travaillistes", explique-t-elle à francetv info. "Aujourd’hui, c’est totalement fragmenté." Les sondages donnent environ un tiers des voix aux Tories, le camp de David Cameron, Premier ministre conservateur sortant, et un autre tiers au Labour, le parti des travaillistes mené par Ed Miliband. Les petits partis se partagent le dernier tiers.
Et qui fait face à David Cameron ?
Le Premier ministre conservateur est loin d'être sûr de retrouver le 10 Downing Street qu'il occupe depuis cinq ans. "Durant la campagne, on a reproché à David Cameron son manque d'envie", constate Sarah Pickard. Son rival le plus sérieux est le leader des travaillistes. Au cours de la campagne, Ed Miliband semble avoir "fendu l'armure". Réputé peu charismatique, gaffeur, "il a pris de l'ampleur et est désormais crédible pour le poste de Premier ministre", précise la chercheuse britannique. Surnommé "Red Ed" (Ed le Rouge), il s'est fait remarquer à l'aile gauche de son parti. Miliband a fait campagne contre les inégalités et a tenté de rassurer les milieux économiques.
Autre force en présence, le Ukip. Ce parti populiste et europhobe a remporté les élections européennes de mai 2014. Crédité d'environ 14% des intentions de vote, le Ukip et son leader, Nigel Farage, véritable animal politique, ne devraient remporter que quelques sièges, car ils sont désavantagés par le mode de scrutin (le principe du "first-past-the-post", le candidat arrivé en tête dans la circonscription est élu en un tour).
Les libéraux-démocrates (centristes) sont emmenés par Nick Clegg. Déçus par leurs cinq ans d’alliance au sein du gouvernement de David Cameron, les "lib-dems" laissent planer le doute et pourraient cette fois s’allier aux travaillistes. Le risque pour eux est de ne pas réaliser un score suffisamment significatif pour peser dans le jeu politique.
Signalons aussi les indépendantistes écossais du Scottish National Party (SNP), qui pourraient détenir les clés du scrutin (lire ci-dessous), les nationalistes gallois du Plaid Cymru, les Verts du Green Party...
Pourquoi les Ecossais sont-ils au centre du jeu ?
Le SNP n'est présent que dans les 59 circonscriptions écossaises, on lui prédit pourtant une razzia. Les nationalistes écossais devraient remporter une cinquantaine de sièges, privant le Labour de son fief historique. "C'est paradoxal, mais l'échec du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse en septembre 2014 a renforcé le poids des indépendantistes, plus à gauche que le Labour. Ils sont LE phénomène de cette campagne", constate Sarah Pickard. Phénomène renforcé par la leader charismatique et populaire du SNP, Nicola Sturgeon, devenue en 2014 la première femme à accéder au poste de Premier ministre de l'Ecosse.
Tout au long de la campagne, elle n'a cessé de répéter qu'elle pourrait aider Miliband à "sortir David Cameron de Downing Street". Le travailliste a refusé farouchement les propositions de soutien des nationalistes. Mais la donne pourrait changer après le scrutin : si Ed Miliband souhaite prendre la tête du gouvernement britannique, il sera contraint de négocier avec le SNP. Si une coalition avec les travaillistes reste peu probable, une alliance pour un soutien des indépendantistes lors des votes importants n'est pas à écarter.
Que va-t-il se passer le soir du 7 mai ?
En Grande-Bretagne, les bureaux de vote ferment à 22 heures. Et les résultats devraient tomber dans la nuit. Plusieurs camps sont susceptibles de crier victoire, mais tout restera à faire. Des tractations en vue de former une majorité absolue et un gouvernement vont s'ouvrir entre les différents blocs politiques. "Les négociations pourraient prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines", prédit Sarah Pickard.
Pourquoi s'attend-on à un "jeu de massacre" ?
"Contrairement à la France, nos chefs de parti démissionnent après une défaite. 'Ils sautent avant qu’on les pousse', dit-on", explique Sarah Pickard. Potentiellement, plusieurs figures majeures de la politique britannique vont quitter le devant de la scène. C'est le cas du Premier ministre, David Cameron, du chef de file des travaillistes, Ed Miliband, du leader de Ukip, Nigel Farage, et de Nick Clegg, vice-Premier ministre de Cameron, qui est à la tête des Libéraux-démocrates.
Seule Nicola Sturgeon est assurée de sortir victorieuse du scrutin et de rester à la tête du gouvernement de l'Ecosse et du SNP.
De quoi a-t-on parlé dans cette campagne ?
La campagne électorale a été dominée par plusieurs thèmes. Le bilan de la politique économique de Cameron fait débat : un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne et un chômage en baisse, mais une précarité en hausse et un pouvoir d'achat qui stagne, rapporte Slate.fr.
Preuve que le parti Ukip s'est installé dans le paysage politique britannique, il a réussi à imposer ses thèmes dans la campagne. D'une part, l'Union européenne, dont les militants du mouvement populiste veulent sortir. En cas de victoire, David Cameron s'est engagé à la tenue d'un référendum sur le maintien de son pays au sein de l'UE d'ici à 2017. L'immigration et l'identité nationale ont également fait l'objet de débats.
Autres thèmes majeurs de discussion : le système de sécurité sociale britannique en crise, l'éducation (les frais d'inscription à l'université ont bondi ces dernières années), les impôts...
Et quelles conséquences pour l'Europe ?
Comme nous l'indiquions ci-dessus, une victoire des conservateurs ouvrirait une période d'incertitude. Car la possibilité d'un "Brexit" (British exit) inquiète et pourrait avoir des "conséquences vertigineuses", indique Agnès Alexandre-Collier, professeure en civilisation britannique à l'université de Bourgogne. Toutefois, "David Cameron essaie de ne pas trop en parler après en avoir fait un facteur assez clivant dans le débat public britannique", explique à francetv info l'auteure de La Grande-Bretagne eurosceptique ? L'Europe dans le débat politique britannique (Ed. du Temps).
Que pensent les Britanniques d'un "Brexit" ? "Quand on analyse les sondages, on constate qu'ils n'arrivent pas à se positionner sur le maintien de leur pays au sein de l'UE", poursuit-elle. "Ils expriment au départ un euroscepticisme plus ou moins prononcé, mais, en fonction de la formulation de la question qui leur est posée, il n'y a qu'un faible pourcentage de personnes vraiment disposées à quitter l'UE."
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