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L'économie britannique: les faiblesses d'une croissance retrouvée

«Croissance la plus rapide de toutes les économies majeures», chômage au plus bas, les clignotants semblent tous au vert au Royaume-Uni pour David Cameron à la veille des législatives du 7 mai. Pourtant, le bilan doit être nuancé, notamment au vu des chiffres du premier trimestre 2015 qui étaient beaucoup moins positifs. Recettes d’un succès contesté.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Londres à l'heure des choix économiques lors des élections du 7 mai 2015. (FABRICE COFFRINI / AFP)

Pas de chance pour David Cameron. A quelques jours des législatives, les chiffres du 1er trimestre 2015 sont moins bons.  Le PIB n’a progressé que de 0,3 % au premier trimestre en Grande-Bretagne, selon l’Office for National Statistics. C’est moitié moins qu’au dernier trimestre 2014. Un chiffre que le pays n’avait pas connu depuis fin 2012.

Une mauvaise nouvelle pour les conservateurs qui promettent le «chaos» si les travaillistes reviennent au pouvoir. Ces derniers, au contraire, se sont fait une joie de noter que l’économie ne progressait pas suffisamment.

Le parti conservateur vante les succès de la croissance au Royaume-Uni. (Parti conservateur)


Les bons indices du gouvernement Cameron
Pourtant, sur les dernières années, le gouvernement Cameron peut se targuer de bons résultats et notamment une croissance à faire pâlir celle de la zone euro. En effet, en jouant sur la variabilité de la monnaie, le déficit public et la libéralisation du marché du travail, Londres a réussi à afficher une croissance nettement supérieure à celle de la zone euro. Avec une hausse du PIB de 2,6% en  2014, le Royaume-Uni fait un meilleur résultat que l’Allemagne (1,6) ou l’Espagne (1,4).

Autre succès sur lequel peut s’appuyer le premier ministre sortant : la baisse du chômage qui est passé de plus de 8% lors de son arrivé à 5,6% aujourd’hui. David Cameron clame d’ailleurs : «Nous avons créé 1,8 million d’emplois en cinq ans, plus que tous les autres pays d’Europe réunis». Un succès indiscutable mais qui s'appuie sur une politique très libérale (contrats zéro heure, temps partiels, développement de l'auto-entreprenariat). 

Les recettes du succès
«Le pari britannique a été de confier le retour de la croissance aux entreprises : baisse des impôts sur les sociétés (en faisant porter l'effort fiscal via l'IR (impôt sur le revenu) sur l'ensemble des ménages), flexibilité du marché, du temps et du coût du travail, facilitation des procédures de création d'entreprises», se félicite le très libéral think tank Ifrap

Promesse des travaillistes sur le salaire minimum. (Labour)


D’autres économistes mettent aussi en avant le rôle de la politique monétaire et de l’intervention publique dans le succès britannique. Les taux ont baissé plus rapidement au Royaume-Uni qu’en Europe, entrainant la livre sterling à la baisse qui a perdu un quart de sa valeur avant de se redresser. «En procédant à des achats d’actifs massifs, la Banque d’Angleterre a injecté dans l’économie une quantité de monnaie équivalente à 9 points du PIB», pointe Denis Ferrand, directeur au COE-Rexecode.

Même chose dans la politique budgétaire : l’ampleur du déficit public a toujours été nettement supérieur à celui de la France depuis le début de la crise. Celui de 2013 affichait encore un 5,8% alors qu’il avait dépassé les 10% après la crise. Résultat la dette britannique est largement équivalente à la dette française (plus de 90% du PIB), même si la dépense publique a fortement reculé.  Cependant, selon l'OCDE, «l’effort structurel (la baisse de la dépense publique) cumulé sur la période 2010 à 2013 a atteint 2,7 point de PIB au Royaume-Uni, moins que la France sur la même période (3,9 point de PIB)».

Tous les économistes ne sont pas d'accord entre eux sur l'ampleur et l'effet de la politique budgétaire restrictive britannique. Si certains y voient une des raisons du succès de la politique de Cameron, d'autres relativisent. «En 2012, l’austérité budgétaire a été fortement atténuée», note ainsi l’OFCE qui ajoute qu'il est important de noter que David Cameron a dès le départ exclu la santé du plan de réduction des dépenses. 

L'OCDE résume ainsi la politique économique britannique:  «on peut citer une politique monétaire très accommodante et des mesures destinées à soutenir les activités de prêt et à redynamiser le marché immobilier. En matière de politique budgétaire, quelques mesures d’assainissement supplémentaires ont été prises, mais les stabilisateurs automatiques ont continué à jouer à plein».

Les limites du succès
La croissance est là, le chômage baisse mais l'économie anglaise conserve des faiblesses. Ainsi dans le domaine du commerce extérieur. Londres a su attirer les capitaux étrangers et reste un grand exportateur de services, notamment financiers. Mais le confortable excédent dans ce domaine «n’est pas suffisant pour compenser le déficit dans le commerce des biens, qui s’est encore creusé l’an dernier. La part du Royaume-Uni dans les exportations mondiales est passée de 5,2 % en 1995 à 2,4 % en 2013», explique Les Echos

La productivité du pays est une des principales faiblesses soulignée par les économistes. «Depuis 2007, la faiblesse de la productivité de la main-d’œuvre pèse sur les salaires réels et le bien-être. La viabilité de l’expansion économique et la poursuite des progrès dans les niveaux de vie dépend de la capacité à stimuler la hausse de la productivité, qui va rester un défi de taille pendant les années à venir», note l’OCDE.

A la veille des élections, les statistiques ne font pas tout. Le ressenti de la population sur la situation du pays (inégalités, études, logement, immigration, l'adhésion à l'UE...) peut jouer beaucoup plus fortement que les chiffres présentés par le gouvernement. Il faut d'ailleurs noter que «la France est ainsi le seul grand pays avec l'Allemagne à avoir retrouvé puis dépassé son PIB d'avant-crise, si l'on en croit Eurostat», rappelait le magazine Challenges, soulignant ainsi l'effet rattrapage de l'actuelle croissance britannique. 

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