: Récit Disparition de Maddie en 2007 : comment les enquêteurs allemands ont, treize ans après, remonté la piste de Christian B.
La petite Madeleine McCann, dite "Maddie", s'est volatilisée, le 3 mai 2007 à Praia da Luz, au Portugal. Cette nouvelle piste outre-Rhin a relancé l'enquête de manière spectaculaire.
L'espoir ne les a pas quittés. Treize ans après la disparition de leur fille Madeleine, le 3 mai 2007 dans la station balnéaire de Praia da Luz dans l'Algarve, au sud du Portugal, Gerry et Kate McCann "n'ont jamais abandonné l'espoir qu'elle puisse être retrouvée vivante, mais ils sont réalistes", a déclaré leur porte-parole Clarence Mitchell, le 3 juin. L'identification d'un nouveau suspect en Allemagne, ce jour-là, a relancé de manière spectaculaire une affaire devenue internationale, puisqu'elle a mobilisé les polices portugaise, britannique et désormais allemande.
Le suspect, Christian B., âgé de 43 ans, a un lourd casier judiciaire et compte 17 condamnations. Il purge actuellement une peine de prison pour une affaire de trafic de drogue. Grâce à son téléphone portable, les enquêteurs ont pu établir sa présence près de l'hôtel où résidait la famille McCann, peu avant la disparition de la fillette. "Nous avons de graves soupçons, que nous ne pouvons révéler", annonce, sans en dire plus, le procureur de Braunschweig, Hans Christian Wolters, dans Paris Match.
"Tout le monde avait peur de lui"
En mai 2007, la famille McCann est à Praia da Luz pour passer une semaine de vacances entre amis. Le 3, les adultes dînent dans un bar à tapas de l'hôtel Ocean Club. Tout près de là, à quelques dizaines de mètres, les enfants McCann – Madeleine, 3 ans, et les jumeaux Sean et Amelie, âgés de 2 ans – sont dans leurs chambres de l'appartement 5A. A 21 heures, Gerry constate que tout va bien et que les enfants dorment. Une heure plus tard, Kate vient à son tour vérifier et découvre, blême face au lit vide, l'absence de Maddie.
Treize ans plus tard, la petite fille, qui aurait aujourd'hui 17 ans, n'a jamais été retrouvée. Les pistes se sont multipliées depuis, la police portugaise allant jusqu'à mettre en examen ses parents en septembre 2007. Elle les suspectait d'avoir maquillé un accident domestique – ils auraient administré à la fillette une trop forte dose de somnifères – en disparition. Ils seront finalement relaxés en juin 2008. Malgré les années, Gerry et Kate n'ont jamais abandonné. Ils ont médiatisé leur combat pour retrouver leur fille, allant jusqu'à rencontrer le pape Benoît XVI, multipliant les déclarations médiatiques et les apparitions sur les plateaux de télévision.
Cette piste allemande est une surprise. "Au cours des treize dernières années, il n'y avait eu aucune piste pour Maddie menant en Allemagne", abonde auprès de franceinfo Kai Feldhaus, journaliste pour le quotidien allemand Bild, qui a suivi l'affaire depuis le départ.
Un retour en arrière s'impose. Né en Bavière en 1976, Christian B. est adopté après avoir été abandonné par ses parents. En 1994, il est condamné à deux ans de prison pour "abus sur un enfant" et pour "avoir commis des actes sexuels devant un enfant", assure Der Spiegel (en allemand). A 19 ans, il quitte l'Allemagne et s'installe avec sa petite amie de l'époque au Portugal, à Lagos, ville située à une dizaine de kilomètres de Praia da Luz. "Nous ne savions rien du Portugal. Nous sommes allés à Lagos car nous aimions le nom", expliquera-t-il à la justice lors d'un de ses procès au Portugal, précise Le Parisien. Car dans l'Algarve, il ne mène pas une vie rangée. S'il collectionne les petits boulots (entretien de piscines, restauration), il enchaîne aussi les activités illicites comme le cambriolage des propriétés, "à bord d'un van Volkswagen T3 Westfalia" et "la vente de drogues aux estivants", au volant d'une Jaguar, écrit Paris Match. Il est même condamné à neuf mois de prison début 2006 pour vol de carburants. Il sort de prison en décembre de cette même année et séjourne quelques mois plus tard à Foral, à 60 kilomètres à l'est de Praia da Luz, chez un couple d'Allemands s'occupant d'enfants en difficulté. "C'était un gars effrayant, a confirmé auprès de nombreux médias Lia Silva, la fille des propriétaires de la maison louée à l'époque par les Allemands. Tout le monde avait peur de lui car il portait une arme", écrit le quotidien.
Le 3 mai 2007, Christian B. était à Praia da Luz
Les jours s'écoulent en ce printemps 2007. Le 2 mai, la veille de la disparition de Maddie, l'homme, alors âgé de 30 ans, aurait confié à une ex-petite amie, citée par le tabloïd anglais The Sun (en anglais), qu'il avait "un travail à faire à Praia da Luz". Il poursuit : "Un travail horrible, mais je dois le faire, cela va changer ma vie. Vous ne me verrez plus pendant un moment.". Le lendemain, entre 19h32 et 20h02, peu avant la disparition de la petite fille, il a passé un mystérieux coup de fil avec un portable portugais. Le téléphone borne à sept kilomètres de l'hôtel Ocean Club où réside la famille McCann.
Nous savons formellement que le 3 mai 2007, le jour de la disparition de Madeleine, à Praia da Luz, c'est-à-dire le lieu même de la disparition de Madeleine et à une heure déterminante, le suspect a passé un coup de téléphone depuis son mobile.
Christian Hoppe, enquêteur allemanden conférence de presse
Le destinataire de ce coup de téléphone est actuellement activement recherché par les enquêteurs, qui ont même diffusé le numéro pour obtenir des informations, rapporte Der Spiegel (en allemand). "A l'époque, au Portugal, n'importe qui pouvait acquérir une carte SIM sans que son identité soit vérifiée. C'est la raison pour laquelle nous avons communiqué le numéro lors de notre appel à témoins", précise le procureur Hans Christian Wolters dans Paris Match.
Enfin, le lendemain, le 4 mai, il prend le temps de faire enregistrer sa Jaguar sous un autre nom en Bavière. Ce véhicule et le van Volkswagen ont depuis été retrouvés et analysés par les enquêteurs. "Je ne peux pas commenter les résultats de l'enquête, mais je ne démentirai pas cette info non plus", a répondu le procureur à l'hebdomadaire qui avançait que ces analyses n'avaient "rien révélé de particulier".
Très vite, un portrait-robot d'un suspect aperçu errant à proximité de l'hôtel Ocean Club circule. Il évoque un homme blond, d'environ 1,80 m, la trentaine et plutôt mince, écrit Libération. Une description qui colle avec celle donnée par la police britannique lors d'une conférence de presse le 3 juin 2020, jour de l'annonce de l'identification du suspect : un "homme blanc", qui en 2007 avait "les cheveux blonds courts", mesurait environ 1,80 m et était mince. Il aurait eu l'air "d'avoir entre 25 et 30 ans" au moment des faits. "C'est possible qu'il soit passé à travers les mailles du filet à l'époque car il est probable que son signalement ait été donné", estime auprès de franceinfo Arnaud Bizot, le journaliste de Paris Match ayant suivi l'affaire depuis le commencement.
"Un mec paumé difficile à suivre"
Alors que les parents de Maddie sont mis en examen en septembre 2007, le suspect semble faire des allers-retours entre son pays d'origine et le Portugal, avance Der Spiegel (en allemand), même s'il est difficile d'établir une chronologie exacte de ses déplacements. "C'est un genre de mec paumé qui habitait nulle part pendant des années, bossait un peu ici, un peu là, souvent dans des milieux criminels. Sa piste est effectivement difficile a suivre", étaye à franceinfo la journaliste basée en Allemagne Sarah Mabrouk, qui a travaillé sur l'affaire. Il faut attendre le 16 octobre 2013 et la diffusion de l'émission de télévision de la chaîne ZDF, Aktenzeichen XY… ungelöst ("Dossier XY... non résolu"), à laquelle participent les parents, pour retrouver la trace de Christian B. "C'est une émission très connue outre-Rhin, dont le but est de récolter des témoignages pour des enquêtes, parfois des 'cold cases'", détaille Sarah Mabrouk.
Parmi les 500 témoignages reçus, un attire l'attention des enquêteurs. Une personne assure avoir été son collègue d'entretien de piscines au moment des faits. Sur cette base, la police de Brunswick (nord-ouest de l'Allemagne) convoque immédiatement Christian B. pour l'entendre en tant que témoin, selon Der Spiegel (en allemand). "La police nationale allemande a demandé l'aide de la police locale, qui a envoyé une lettre au suspect lui demandant de se rendre au poste de police local pour une déposition de témoin concernant Maddie McCann, précise Kai Feldhaus. Il a donc été alerté sur son lien avec l'affaire en 2013, sans être un suspect officiel." Cette démarche aurait pu lui laisser suffisamment de temps pour détruire d'éventuelles preuves. "Cela n'aurait pas dû se passer ainsi et ne correspond en aucun cas à la procédure usuelle dans un cas aussi délicat", déplore un policier allemand dans Der Spiegel. L'interrogatoire ne donne rien et Christian B. est relâché. Rebelote quatre ans plus tard : son nom réapparaît lors d'un nouvel épisode de l'émission de télévision, à l'occasion des dix ans de la disparition de la petite fille. Mais la police allemande ne donne pas suite.
Les informations à l'époque n'étaient pas suffisantes pour une enquête, et certainement pas pour une arrestation.
Christian Hoppe, enquêteur à la police fédérale allemandeà la chaîne ZDF
Parallèlement à l'affaire Maddie, "dans le cadre d'un autre dossier", glisse le procureur Hans Christian Wolters à Paris Match, la police découvre, en 2016, lors d'une perquisition au domicile de Christian B., des vêtements d'enfant et une clé USB contenant des images et vidéos pédocriminelles. Recherché par Interpol pour trafic de stupéfiants et un viol commis au Portugal en 2005 sur une touriste américaine de 72 ans, il est finalement arrêté à Milan en 2018. Conduit en Allemagne en mars 2019, il purge depuis, à Kiel (nord de l'Allemagne), "une peine de prison d'un an et neuf mois pour trafic de drogue", affirme le procureur Hans Christian Wolters à Paris Match. Il a également été condamné à sept ans de prison en décembre 2019 pour le viol de la touriste, une trace de son ADN ayant été retrouvée sur les lieux du crime. Christian B. a saisi la Cour fédérale de justice allemande pour contester cette condamnation. La sentence est actuellement suspendue au recours devant la Cour de justice de l'UE, à qui la cour allemande a demandé de se prononcer sur une règle relative au mandat d'arrêt européen. La décision est attendue fin août-début septembre.
Maddie-Inga, deux disparitions, un seul suspect ?
Derrière les barreaux et placé à l'isolement afin d'éviter les agressions de ses codétenus, le suspect garde le silence. "Christian B. ne donne pas d'indications pour le moment sur cette affaire et nous vous demandons de comprendre que nous non plus n'en donnons pas", a expliqué son avocat Friedrich Fülscher sur la chaîne allemande n-tv. Il n'a pas encore été interrogé par les enquêteurs. "Ça n'est pas le bon moment, justifie le procureur à Paris Match, nous n'avons pas encore assez d'éléments pour le mettre sous pression lors d'une audition." Les fouilles entreprises dans un jardin ouvrier près de Hanovre (nord de l'Allemagne) les 28 et 29 juillet n'ont pas encore livré leurs résultats. Mais même sans être en possession de ces conclusions, les enquêteurs ont acquis la certitude que Maddie est morte, tuée par Christian B.
Je ne peux pas, pour l'instant, vous révéler les informations exactes dont nous disposons et qui indiquent que notre suspect a tué Madeleine.
Le porte-parole du parquet de Braunschweiglors d'une conférence de presse
"Ce sont des preuves ou des faits concrets dont nous disposons, et non de simples indications" qui appuient cette conviction, a-t-il ajouté. Une certitude toutefois, il ne s'agit pas de "preuves médico-légales", ce qui indiquerait que le corps ou ses restes n'ont pas encore été retrouvés. Parallèlement au dossier Maddie, les soupçons qui pèsent sur Christian B. ont encouragé les autorités allemandes à rouvrir l'affaire de la disparition, en mai 2015, d'Inga Gehricke, 5 ans, dans une forêt de la région allemande de Saxe-Anhalt, où vivait alors le suspect. Informés par la justice allemande des avancées de l'enquête, les parents de Maddie attendent désormais la suite. "Quel que soit le dénouement, nous avons besoin de savoir pour retrouver la paix", assure le couple dans un communiqué. Christian B., lui, nie toute implication dans la disparition de la petite Britannique.
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