Cet article date de plus d'onze ans.

Syrie : le vrai visage des rebelles

Enlèvements, meurtres... ceux qui combattent le régime d'Al-Assad montrent en ce moment un côté obscur. Qui sont-ils ? Peut-on parler d'un seul et même ensemble ? Luttent-ils tous pour la même cause ?

Article rédigé par Pauline Hofmann
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un ancien soldat du régime, qui a rejoint les rebelles à Alep, en janvier 2013. (AAMIR QURESHI / AFP)

"Des meurtres, des exécutions sans procédure régulière, des actes de torture, des prises d'otages et des attaques contre des objets protégés." Le rapport de l'ONU rendu mercredi 11 septembre n'est pas tendre avec les rebelles en Syrie. Les experts internationaux n'épargnent pas plus le régime de Bachar Al-Assad, accusé de "crimes contre l'humanité".

Qui sont ces rebelles, certains aussi violents que les soldats du dictateur ? Francetv info répond aux questions que vous vous posez sur ceux qui combattent Bachar Al-Assad.

Les rebelles ont-ils commis des crimes ?

Ex-otage d'un groupe d'insurgés, précise La Stampa, le journaliste italien Domenico Quirico évoque des bandits qui profitent du chaos qui règne dans le pays pour "s'emparer de pans entiers du territoire, rançonner la population, enlever des gens et se remplir les poches"raconte-t-il dans une interview au Monde. Cependant, tous ceux qui combattent Al-Assad ne sont bien sûr pas des criminels.

"Ce qui m'étonne, moi, c'est qu'on soit surpris par ces exactions", s'énerve Nora Benkorich, chercheuse à la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe du Collège de France. "Les gens, y compris les soldats, n’ont plus à manger depuis plusieurs mois. Certains font appel à des méthodes crapuleuses pour gagner de l’argent, pour pouvoir manger et s’acheter des munitions, continue la chercheuse pour francetv info. Je ne les excuse pas, j’essaye de les comprendre." 

Des comités locaux, des groupes d'habitants, ont essayé de faire signer des sortes de "chartes de bonne conduite" aux insurgés, sans se faire d'illusions. Ces tentatives se sont en effet révélées infructueuses auprès des éléments les plus cruels de la rébellion.  

Qui est responsable des meurtres de sang-froid, des enlèvements, des pillages ?

Depuis le début du conflit, des vidéos circulent sur internet, montrant des rebelles décapitant, violant, tuant. Le New York Times s’est fait le relais de l'une d'entre elles sur laquelle on voit des insurgés abattre sommairement des soldats loyalistes. Difficile d’en retracer l'origine. Les prises de vue amateures sont parfois remises en cause. Des rebelles accusent des militaires du régime de se faire passer pour des islamistes barbares afin de décrédibiliser leur mouvement, sans que cela puisse être affirmé indubitablement.

Nora Benkorich rappelle aussi qu'au début de la révolution, en 2011, Bachar Al-Assad a ouvert les portes des prisons, laissant s'échapper des détenus peu dangereux, mais aussi des grandes figures de l'islamisme et des meurtriers, qui ont depuis opéré une reconversion dans la rébellion laïque et islamiste. Quirico assure, lui, avoir été enlevé par "des gens du coin, plus bandits qu'islamistes ou révolutionnaires".

Les rebelles sont-ils tous islamistes ?

Depuis quelques mois, le constat est clair : les islamistes infiltrent de plus en plus la rébellion syrienne. Certains sont affiliés à Al-Qaïda. Aron Lund, un expert suédois de l'islamisme en Syrie, explique dans un rapport que les "groupes jihadistes jouent un rôle en Syrie - limité, certes, mais en expansion rapide". "Même des rebelles sans véritable idéologie adoptent la rhétorique islamiste", continue-t-il.

Anciens soldats du régime qui ont déserté, musulmans radicaux, combattants venus de l'étranger... les rebelles ne sont pas un groupe uni, homogène. The Independent (en anglais) résume l'étude d'Aron Lund, qui décrit trois ensembles distincts de rebelles, islamistes ou non, et des dizaines de sous-ensembles, bataillons de quelques centaines d'hommes, ou brigades plus grandes. Chaque brigade, chaque groupe d'hommes a sa propre idéologie, plus ou moins proche de l'islam. Contrairement aux islamistes, les "laïcs", musulmans, ne souhaitent pas instaurer un Etat dont leur religion serait le moteur. 

Pourquoi rejoignent-ils les jihadistes s'ils n'adhèrent pas à leurs idées ?

La raison est simple : pour l'argent. "Une brigade entière s'est laissée pousser la barbe parce que le seul argent qu'ils pouvaient avoir pour se faire payer venait de réseaux religieux", raconte Nora Benkorich. "Mais des rebelles assurent que si demain, une autre source de financement, non-islamiste, se présente, ils tombent la barbe." 

Peut-on pour autant parler d'opportunisme ? "Non, il s'agit d'une question de survie", insiste la chercheuse, alors que les conditions de vie en Syrie sont de plus en plus précaires, selon un communiqué de Médecins sans frontières remontant à mars. 

Pourquoi parle-t-on de la rébellion, comme si elle était unie ?

Malgré toutes leurs différences, les rebelles ont un point commun : ils veulent faire tomber Bachar Al-Assad. Et pour cela, il faut parfois s'allier pour être plus puissant contre le régime.

La guerre en Syrie se joue surtout à l'échelle des villes, des régions. Chaque petite avancée compte, et les grandes branches rebelles ne maîtrisent pas forcément les hommes qui se battent en leur nom. Chaque chef noue donc les alliances qui l'avantagent localement, rappelle Nora Benkorich. Chaque petit bataillon louvoie au gré de ses besoins financiers et stratégiques. Ainsi, l'Armée syrienne libre (ASL), laïque, le Front Al-Nosra et l'Etat islamique d'Irak et du Levant, des islamistes, s'entendent pour gérer Raqqa, dans le nord, et s'écharpent ailleurs dans le pays.

Les rebelles se battent-ils entre eux ?

Chaque groupe a son propre agenda politique, sa propre vision de la révolution et cela mène à des tensions. Jeudi 11 juillet, un convoi de l'ASL, la branche de la rébellion la plus proche des Occidentaux, trouve sur sa route un barrage tenu par l'Etat islamique d'Irak et du Levant. Le chef de l'ASL, connu et craint dans la région, veut savoir qui tient ce barrage et sous quel prétexte. La conversation s'échauffe avec l'émir islamiste et se solde par une balle dans la tête de l'officier de l'ASL. Cette dernière, sous-équipée et pauvre, ne peut répliquer contre les dollars des associations religieuses du Golfe, qui arrosent certains groupes islamistes, selon Nora Benkorich.

Cet épisode montre que les accrochages entre "laïcs" et islamistes existent. Mais les relations ne sont pas au beau fixe non plus à l'intérieur du clan des islamistes, eux aussi divisés. Récemment, le chef d'Al-Qaïda en Irak a unilatéralement décidé de fédérer le Front Al-Nosra, un des groupes islamistes les plus radicaux. Certains, au Front, ont fait sécession : les idées d'Al-Qaïda, qui dépassent les frontières syriennes, sont peu au goût de ces nationalistes, comme le rappelle Libération.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.