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Syrie. Et si Al-Assad se réfugiait dans un micro-Etat ?

Le président syrien et ses partisans pourraient envisager de se replier dans un "réduit alaouite" si la situation s'envenimait encore.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une photographie transmise par l'agence nationale Sana montre des manifestants favorales à Bachar Al-Assad, le 3 novembre 2011, dans la ville de Tartous, en "pays alaouite". (SANA / AFP)

SYRIE - Panique à Damas. Le 18 juillet, un attentat vient de décapiter une des nombreuses têtes du régime syrien en tuant plusieurs haut responsables, jusqu'au beau-frère de Bachar Al-Assad en personne. Mais d'ailleurs, où est donc passé le président ? Il a quitté Damas pour "son palais de Lattaquié", sur la côte méditerranéenne, affirme une source de l'opposition à l'agence Reuters. Simple rumeur. Le président syrien veut faire taire les racontars : il s'affiche en compagnie de son nouveau ministre de la Défense à la télévision. Reste que si la rumeur a pris, c'est qu'elle n'est pas inconcevable.

Un affrontement qui prend un tour confessionnel

A mesure que la situation s'envenime, le conflit semble tourner à l'affrontement entre sunnites et chiites, les principaux courants de l'islam. D'un côté, le régime a assis son pouvoir sur une coalition tacite des alaouites (branche de l'islam chiite à laquelle appartient la famille Assad et environ 12% des 23 millions de Syriens) avec les chrétiens et d'autres minorités religieuses. Pour maintenir son autorité, il peut compter sur l'armée (40% des militaires sont alaouites) et un allié de poids : l'Iran chiite. De l'autre, les rebelles, qui ne sont unis qu'en apparence, bénéficient du soutien de la majorité sunnite du pays (autour de 80%), mais également de grandes puissances régionales comme l'Arabie saoudite et le Qatar, trop heureuses de déstabiliser l'axe chiite Damas-Téhéran.

Le conflit s'intensifiant, la violence gagne elle aussi. Les rangs rebelles se gonflent de jihadistes quand le régime cherche à inspirer la terreur avec ses "fantômes" chabbiha, milices fanatiques de repris de justice majoritairement alaouites. Chaque camp prend sa part aux atrocités. On ne compte plus les scènes de civils massacrés ou de rebelles exécutés. Mais une vidéo montrant des insurgés exécuter de sang-froid des miliciens de Bachar Al-Assad suggère que les rebelles sont capables de brutalités semblables. Le directeur du groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à l'université Lyon-II, Fabrice Balanche, rapporte dans Les clés du Moyen-Orient les propos du cheikh salafiste syrien Arour, "réfugié en Arabie saoudite depuis les années 1980 et qui dans ses prêches sur une chaine satellitaire saoudienne menace [les alaouites] de les 'passer au hachoir (…) et de donner leur chair à manger aux chiens'".

Créer un "réduit alaouite"

Dans ce contexte, pour le bimensuel américain The National Interest (article traduit par Courrier International), une "transition vers une démocratie multiethnique et multiconfessionnelle" a peu de chances d'aboutir. Esquissant quatre issues à la guerre, il juge que le "scénario le plus probable" serait que "la Syrie éclate en plusieurs enclaves ou mini-Etats, formés en fonction de critères confessionnels ou ethniques".

Pour le clan Assad, le "pays alaouite" de la région de Lattaquié ferait figure d'"ultime recours en cas de perte du pouvoir ou de guerre civile à outrance", analyse dans les colonnes du Figaro Fabrice Balanche. "La minorité alaouite peut défendre un réduit le long de la côte. La population lui est acquise. L'armée alaouite défendrait alors son territoire, et non pas comme aujourd'hui un régime corrompu".

Ce micro-Etat confessionnel ne serait pas inédit. Les Français, durant leur mandat, avaient créé un bref Etat alaouite de 1920 à 1936 avant de le rattacher à la Syrie (lire la notice sur Wikipedia). La région, située dans le nord-ouest du pays, est une bande d'une centaine de kilomètre de long sur une cinquantaine de large. Elle longe la Méditerranée depuis le port de Lattaquié, au nord, près de la frontière turque, jusqu'à celui de Tartous, au sud, à la frontière libanaise. Berceau des Assad, la région n'est pas homogène, mais les alaouites y sont majoritaires. Elle leur a déjà servi de refuge car c'est une forteresse fermement protégée par la zone montagneuse du Djebel Ansarieh, à l'est.

Le "pays alaouite", long d'une centaine de kilomètre et large d'une cinquantaine, s'étend du port de Lattaquié, au nord, non loin de la frontière turque, à celui de Tartous, près de la frontière libanaise, au sud. (GOOGLE MAPS / FTVI)

Un scénario qui serait envisagé par le régime

L'hypothèse n'est pas neuve. En janvier, l'ex-vice-président syrien, Abdel Halim Khaddam, l'a évoquée, dans un entretien au Figaro. Selon lui, le régime a transféré des armes vers "les villes et villages peuplés par leurs compatriotes alaouites". "Je sais qu'il y a un mois, (Al-Assad) s'est confié à l'un de ses affidés libanais et lui a dit son intention de créer un État alaouite d'où il pourrait mener une guerre fratricide et confessionnelle", soulignait-il encore. "Il envisage de s'installer à Lattaquié. Je suis sûr qu'il existe suffisamment d'abris souterrains où lui et son clan pourraient se replier".

Fin juin, sur son blog Un œil sur la Syrie, Ignace Leverrier, ancien diplomate souvent bien renseigné, a repris cette idée : "Depuis des mois, certains au sein du régime syrien estiment qu'il serait prudent de préparer, à l'intention des hauts responsables et des membres de la communauté alaouite, un lieu dans lequel ceux-ci pourraient trouver refuge, au moins à titre provisoire."

A-t-il des chances de réussir ?

"Un Etat alaouite pourrait au demeurant se révéler viable", écrit le journaliste spécialiste du Proche-Orient Xavier Baron sur Slate. "Avec sa façade maritime, ses ports, son terminal pétrolier, son aéroport, ses terres agricoles, et l'homogénéité de sa population estimée à quelque deux millions de personnes. Avec ses conquêtes territoriales récentes, il approcherait de la superficie du Liban." Il explique encore que Bachar Al-Assad bénéficierait toujours du soutien des Russes, qui ont une base navale à Tartous, et arrangerait les Iraniens car, en gardant une frontière avec le Liban, cela "permettrait de continuer à ravitailler le Hezbollah".

Le chercheur américain Joshua Landis est lui plus sceptique (article en anglais). Il remarque que le clan Assad a toujours cherché à intégrer les alaouites au principal courant musulman. Bachar Al-Assad s'est d'ailleurs marié avec une sunnite. Surtout, si le régime perdait Damas, le reste du pays ne lui laisserait pas la façade maritime. "La Syrie ne survivrait pas sans la côte", pointe-t-il, d'autant que les rebelles auraient alors "l'argent, la légitimité et le soutien international" pour reprendre la côte.

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