Syrie : comment sont menées les enquêtes pour savoir si des armes chimiques ont été utilisées ?
Une équipe de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques va se rendre sur place pour enquêter sur un bombardement mené par les forces de Bachar Al-Assad à Douma. Un travail difficile dans un contexte de guerre.
L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé l'envoi "sous peu" d'une équipe en Syrie, mardi 10 avril, afin d'enquêter sur une possible attaque chimique. De nombreux témoignages accusent le régime de Bachar Al-Assad d'avoir utilisé du gaz sarin ou du chlore lors d'un bombardement de la ville de Douma (Syrie), causant la mort de dizaines de personnes dans le dernier bastion rebelle de la Ghouta orientale, située aux portes de la capitale. Mais Damas et Moscou démentent fermement ces accusations.
"L'équipe se prépare à se déployer en Syrie sous peu", a répondu l'OIAC, un organisme dont le mandat est d'enquêter sur une attaque présumée mais qui n'a pas la responsabilité d'en identifier les auteurs. Prix Nobel de la Paix en 2013, l'OIAC est la seule organisation internationale qui est légalement tenue de maintenir en réserve des experts pleinement formés et équipés pour enquêter sur des allégations d'emploi d’armes chimiques. Mais leur travail est évidemment difficile.
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Lorsqu'une enquête est ouverte, son directeur général dépêche une équipe au plus vite, entre 24 et 48 heures après l'éventuelle violation de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, tout en informant le Conseil exécutif et les Etats parties. "Le délai est une première difficulté, explique à franceinfo Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques.
Le sarin, par exemple, est un gaz très volatil. Plus on s'éloigne de l'occurrence, moins il est facile de trouver des indices.
Olivier Lepickà franceinfo
Selon lui, "chaque heure qui passe rend moins plausible une étude indépendante et transparente".
Un long travail de prélèvement sur le terrain
Les équipes, constituées de quatre à six personnes, réalisent alors des prélèvements physico-chimiques et biologiques sur les sites concernés. Dans la mesure du possible, les enquêteurs essaient notamment de réaliser des prélèvements sanguins sur les victimes. "On peut établir de manière fiable le recours au sarin, à partir des métabolites dans la circulation sanguine et les fluides corporels", ajoute Olivier Lepick.
Dès son arrivée sur le territoire de l’Etat, l’équipe d’inspection partie inspecter a le droit d’accéder à n’importe quelle zone qui pourrait avoir été touchée par l’emploi présumé d’armes chimiques, ainsi qu’à d’autres zones, comme les hôpitaux et les camps de réfugiés.
Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC)
L'équipe peut également assister à des autopsies et consulter les rapports. Aucun indice n'est négligé. Des prélèvements sont également réalisés sur les cadavres d'oiseaux et d'animaux. Les analyses sont ensuite faites sur place ou sur un autre site, dans un laboratoire désigné par l'OIAC.
Au-delà de leur course contre la montre, les enquêteurs doivent également composer avec d'autres obstacles. "Après le recours aux armes chimiques, en 2013, la Syrie avait bombardé une zone avec des armes conventionnelles", selon OIivier Lepick. Objectif : tenter de nettoyer la zone. L'OIAC avait tout de même interrogé des survivants du village de Khan Cheikhoun et d'autres témoins sur place, tout en identifiant les munitions utilisées. Quatre ans plus tard, les enquêteurs avaient toutefois fini par établir l'utilisation de gaz sarin dans la zone, confirmant une enquête du journal Le Monde.
Plusieurs Etats mènent également leurs enquêtes en parallèle. Après le bombardement de Khan Cheikhoun, par exemple, les services de renseignement français avaient récupéré une munition non explosée et en avait analysé le contenu, selon une source diplomatique. Ils avaient établi, "de source certaine, que le procédé de fabrication du sarin prélevé est typique de la méthode développée dans les laboratoires syriens". Les rapports s'appuyaient notamment sur la présence d'hexamine, un stabilisant uniquement utilisé par Damas. La "recette" du gaz sarin syrien, en effet, est connue depuis la destruction de ses stocks déclarés, en 2013. "La présence de certains addiditfs signe de manière quasi certaine la nature de ce gaz", résume Olivier Lepick.
Le casse-tête de la sécurité des équipes
Mais les enquêteurs de l'OIAC pourront-ils travailler en toute indépendance ? La zone de Douma, justement, est occupée par le régime syrien. Les accusés peuvent être tentés "de tout laver à grandes eaux, ajoute-t-il, avec des produits comme le chlore ou l'eau de Javel", estime Olivier Lepick. Sans compter les questions de sécurité. Par le passé, les enquêteurs ont notamment travaillé sous la protection des Nations unies, mais le chercheur s'interroge. "Quelle garantie vont offrir les Syriens et les Russes sur leur sécurité ? L'OIAC, elle, voudra avoir des garanties à 100%." Lors d'une précédente enquête, les enquêteurs n'avaient pu se rendre que dans 21 des 23 sites prévus à l'agenda. Des échantillons fournis par des tiers avaient alors été analysés, quand leur origine a pu être corroborée avec des témoignages crédibles.
Quoi qu'il advienne, les enquêteurs ne désignent aucun responsable au terme de leurs investigations mais se contentent d'établir si des armes chimiques ont bien été utilisées. Jusqu'en novembre dernier, ce rôle revenait à une commission réunissant des spécialistes de l'ONU et de l'OIAC : le Joint Investigative Mechanism (JIM). Mécontente du rapport sur Khan Cheikoun, la Russie a toutefois émis son veto lors du renouvellement du mandat. Après le bombardement de Douma, les Etats-Unis sont bien revenus à la charge, avec une nouvelle proposition. En vain. "Si le rapport de l'OIAC conclut à un bombardement aérien, assure malgré tout Olivier Lepick, il n'y aurait quand même plus beaucoup de doute. Même en l'absence du JIM."
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