Qui peut encore faire pression sur la Syrie ?
Un mois après leur arrivée, les observateurs de la Ligue arabe sont confrontés à leurs limites. Au point que six pays du Golfe ont annoncé leurs départs ces derniers jours. Des défections qui sonnent comme un échec.
En trois jours, six pays du Golfe ont rappelé leurs observateurs en Syrie, estimant qu'ils n'avaient pas les moyens d'accomplir leur mission. En effet, la répression contre les opposants au régime de Bachar Al-Assad se poursuit. Le décompte des victimes ne cesse d'augmenter, atteignant 5 400 morts. Un journaliste français a péri à Homs dans des tirs dont ses confrères accusent le régime d'être l'auteur. Or, l'envoi, fin décembre, d'une délégation de la Ligue arabe dans le pays devait signer l’arrêt des violences, la libération de prisonniers, le retrait de l’armée et l’ouverture à la presse.
Ces récentes défections d'observateurs entérinent ainsi un peu plus l’échec de la mission alors que le régime a décidé de refermer ses portes entrebaîllées ces dernières semaines. "Fini les solutions arabes !", a affirmé Walid Al-Mouallem, le ministre syrien des affaires étrangères mardi 24 janvier. Alors, quels moyens de pression reste-t-il contre la dictature ?
• La Ligue de plus en plus désunie
Les départs se sont accélérés parmi les observateurs missionnés par la Ligue arabe. Oman, le Koweït, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Qatar ont annoncé mardi 24 janvier le retrait de leurs hommes de Syrie. Deux jours après la décision de l’Arabie saoudite, leur chef de file. Quelques jours auparavant, deux observateurs, dont un Algérien interviewé par Libération, avaient, les premiers, prévenu de leur démission pour des raisons personnelles.
Les démissionnaires fustigent les conditions d’investigation et le non-respect par le régime de ses engagements : ils travaillent sous étroite surveillance des autorités et peinent à prouver leur indépendance. La frilosité de leur premier rapport est très critiquée. "Ils ont été un peu baladés", résume Didier Billion, spécialiste du Moyen-Orient à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Mais, pour Didier Billion, les raisons sont aussi géostratégiques. L’Arabie saoudite cherche à asseoir son influence dans la région et "ne veut pas se compromettre dans une Ligue impuissante. Cette décision est aussi à lire comme le signe d’une volonté de faire pression sur le pouvoir syrien. Mais, au contraire, la Syrie s’en frotte les mains".
Au sein de la Ligue arabe, deux camps se font face. D’une part, les pays démissionnaires qui attendent la fin du régime. D’autre part, des pays plus prochesde Damas comme le Liban ou l’Irak qui refusent de taper trop fort sur leur voisin. Au mois d’août 2011, le ministre des Affaires étrangères libanais déclarait encore : "Le Liban se tient aux côtés de son frère syrien." Du côté irakien, on craint que le pays ne fasse partie des premières victimes collatérales si un conflit venait à éclater, analyse Le Figaro.
Quant au Qatar, dans deux mois et demi, il cédera la direction du comité ministériel de la Ligue arabe à l'Irak, moins hostile à la Syrie, réduisant encore la marge de manœuvre de l’organisation.
• Trois leviers d'action plus ou moins crédibles
Les initiatives successives des observateurs n’ont jamais été suivies d’effets. Lundi, Damas a rejeté catégoriquement une proposition de la Ligue arabe qui prévoyait un départ de Bachar Al-Assad. Cependant, malgré les défections et les désaveux, l'organisation conserve quelques moyens d’action qu’elle n’a pas encore utilisés.
Un embargo économique C’est l’hypothèse la plus crédible. Les conclusions des observateurs pourront éventuellement amener les 22 pays de la Ligue à réduire leur commerce avec la Syrie. Un levier de taille car, comme le rappelle Didier Billion, "50 % des échanges de la Syrie se font avec le monde arabe".
La fermeture des frontières Autre option : interdire l'accès aux territoires arabes pour certains ressortissants syriens. Une proposition retenue par l'Union européenne sur laquelle revient Le Monde, mais dont les conséquences restent très limitées.
L’attaque militaire Si elle reste possible en théorie, Didier Billion ne croit pas à une éventuelle opération armée. Le 14 janvier, l'émir du Qatar s'est pourtant dit favorable à l'envoi de troupes arabes afin de "mettre fin à la tuerie", explique Le Figaro.fr. Mais Didier Billion, de l'Iris, souligne que la plupart de ces pays sont "loin d’être des parangons de la démocratie" et se mettraient en danger en punissant trop fermement les dérives du régime syrien. "Accepter une intervention pourrait se retourner contre leurs propres intérêts."
• Une relève onusienne peu convaincante
De nombreuses voix plaident pour que la Ligue arabe passe la main à l'ONU. L'organisation internationale s'impose logiquement comme une caution à l'action des observateurs qui ont annoncé que leurs propositions seraient soumises au conseil de sécurité des Nations unies pour leur "donner plus de poids", selon les termes du secrétaire général de la Ligue.
Il se pourrait cependant que l’ONU elle-même soit impuissante. D’une part, il convient de rappeler qu’une partie de la population syrienne soutient toujours le régime."Il ne faut pas se leurrer. Il n’y a pas d’instance internationale qui soit capable d’infléchir les décisions du pouvoir syrien, pour Didier Billion. S’il était si faible, il serait déjà mort."
D’autre part, le conseil de sécurité de l’ONU est lui aussi divisé. La Syrie y compte des soutiens importants, comme la Russie, qui a décidé d’y réhabiliter une base navale, ou la Chine. L’organisation internationale se retrouve à son tour paralysée par ces vetos et le conseil de sécurité n'a encore pris aucune résolution au sujet de la Syrie.
"On est loin d’un dénouement. La communauté internationale est impuissante. La Ligue arabe, le pouvoir en place, et les opposants aussi", constate Didier Billion, de l'Iris. A moins d’un événement imprévisible, comme l’assassinat du dictateur, le chercheur n’envisage qu’un long chemin passant par la voie diplomatique. "Il va falloir inventer un moyen de pression pour infléchir les positions de la Chine et de la Russie car ces pays n’appliqueraient pas d’éventuelles sanctions économiques et, à mon avis, toute option militaire est exclue."
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