Damas est-elle la clé du conflit syrien ?
Les rebelles syriens ont affirmé mardi que la "bataille pour la libération" de la capitale avait commencé.
Damas n'est plus épargnée. Les rebelles syriens ont affirmé mardi 17 juillet que la "bataille pour la libération" de la capitale avait commencé et qu'elle ne prendrait fin qu'après sa conquête. La veille, les blindés sont entrés pour la première fois dans le quartier historique de Midane, dans le sud de Damas. Des quartiers de la périphérie, comme Kafar Soussé, Jobar et Al-Tadamone sont en proie aux bombardements ou aux affrontements, à quelques kilomètres du centre névralgique du pouvoir de Bachar Al-Assad. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), ces combats ont fait 105 morts, dont 48 civils, 16 rebelles et 41 soldats pour la seule journée de dimanche.
Tandis que le médiateur Kofi Annan rencontre le président russe, Vladimir Poutine, pour tenter d'infléchir l'indéfectible soutien russe au régime syrien, FTVi revient sur les enjeux que recèle Damas.
• Pourquoi les combats se sont-ils rapprochés de la capitale ?
"Depuis quinze jours, le régime a décidé d'éradiquer les postes rebelles de la périphérie de Damas, comme il l'a fait en juin dans d'autres villes comme Douma, foyer de la rébellion, aujourd'hui déserté, explique à FTVi Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à l'université Lyon-II et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo). Là, il attaque les poches insurrectionnelles de la première couronne de la capitale pour faire fuir les habitants et bombarder les rebelles regroupés dans ces zones."
En janvier, des combats avaient déjà fait rage près de Damas. A l'époque, les rebelles avaient avancé aux abords de la capitale avant de se retirer, racontait Libération. Or, cette fois, les combats sont à l'initiative du régime, selon "une logique contre-insurrectionnelle classique", décrypte Fabrice Balanche.
• Les opposants ont-ils les moyens de prendre la capitale ?
Pour le géographe, "c'est peu probable". Et pour cause : "Le régime dispose toujours de la supériorité militaire." Dans les pages de Libération, un diplomate en poste à Damas confirme. Réveillé chaque nuit par des bombardements provenant de la périphérie de la ville, il ne sent "pas vraiment le régime malmené par l'opposition. Embarrassé, certainement, nuance-t-il, mais guère plus."
Comme Alep, dans le nord du pays, la capitale reste fidèle au régime. "Dès les années 1970, le régime a favorisé l'émergence d'une administration qui lui est favorable, en nommant des Alaouites à des postes clés : des adjoints de directeurs mais aussi des concierges, capables de rapporter ce qui se passe aux services secrets", relate Fabrice Balanche. Damas, ville "multicommunautaire" à majorité sunnite, explique-t-il dans son article "Géographie de la révolte syrienne"*, tient aussi son hostilité à l'opposition à sa composition sociologique. "Damas est une ville de commerçants, explique l'expert. Bien que majoritairement sunnites, ils sont favorables au régime car ils ne veulent pas d'une révolte populaire. A ce titre, Damas illustre les diverses problématiques que l'on retrouve à l'échelle du pays."
• Faut-il prendre Damas pour remporter la Syrie ?
"Qui tient Damas, tient la Syrie", résume Fabrice Balanche. Ainsi, "Hafez Al-Assad [père de l'actuel président] a tout fait pour sécuriser la capitale, dès son accession au pouvoir dans les années 1970, raconte le géographe. Il a d'abord établi des camps militaires autour de la ville, essentiellement sous influence alaouite. La décennie suivante, de grands axes routiers ont été construits, alors même que le régime importait très peu de voitures. Cela visait en fait à contrôler les manifestations : en cas de troubles, les manifestants sont exposés aux tirs. C'est pourquoi les combats sont encore cantonnés aux quartiers informels de la périphérie."
Pourtant, un plan censé assurer une éventuelle fuite de Bachar Al-Assad n'est pas exclu, selon certains experts. Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, interrogé par le site Géopolis, évoque notamment une "zone autour du port de Lattaquié (au nord-ouest, sur la Méditerranée) pour protéger les Alaouites". Il explique que "le jour où le clan Assad sera obligé de quitter Damas, il s’installera dans la zone" en accord avec ses alliés iraniens et russes, conscients que "la minorité alaouite ne peut pas se maintenir indéfiniment au pouvoir". C'est dans cette logique que le régime aurait attaqué Treimsa et les localités du nord de la province de Hama, non loin de Lattaquié et du pays alaouite, explique Libération (article payant).
• Quels autres paramètres entrent en compte dans la stabilité de Damas ?
Pour que la situation à Damas lui reste favorable, le régime doit par ailleurs maîtriser les frontières par lesquelles peuvent transiter les armes destinées aux rebelles. "Pour Bachar Al-Assad, il est primordial de maintenir le pays en vase clos", rappelle Fabrice Balanche. Ainsi, au début du conflit, il y a seize mois, "l'armée s'est employée à contrôler les frontières afin de bloquer toute intervention étrangère. Quand elle a eu l'assurance qu'aucune intervention extérieure n'aurait lieu, à l'automne 2011, elle a privilégié la reprise des grandes villes tombées aux mains des rebelles, comme ce fut le cas de Hama et de Homs en février."
Si les frontières libanaises et jordaniennes sont bel et bien fermées, des armes continuent de circuler via la Turquie. Quant aux Occidentaux, vont-ils pouvoir continuer à exercer une pression ? "A l'approche des élections américaines, Barack Obama veut éviter une escalade. Si les Etats-Unis interviennent, cela lui sera reproché. Même chose s'ils n'interviennent pas", note le géographe. Quant à la Russie, "les journalistes ont beau chercher dans les discours de Poutine des signes d'ouverture, Alain Juppé - qui n'est plus ministre des Affaires étrangères - a confirmé aujourd'hui que la Russie n'entendait pas changer de position", poursuit-il.
Enfin, l'évolution de la situation va dépendre de la capacité du régime à reprendre le contrôle des territoires tombés aux mains des rebelles. "Dans les villages, les habitants pourraient finir par chasser les opposants, par crainte des représailles", indique Fabrice Balanche, pour qui "la majorité silencieuse se rangera derrière celui qui suscitera le plus de craintes". La clé du conflit dépend en réalité de facteurs nombreux et imprévisibles. "Et si le régime ne reprend pas la périphérie de Damas, les forces rebelles et loyalistes pourraient se retrouver face à face, conclut le géographe, convaincu que les combats de Damas ne sont qu'une étape. Une situation qui pourrait durer des mois."
* Paru dans la revue Outre-Terre n°29, novembre 2011.
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