Cet article date de plus de neuf ans.
Quelle «compréhension» pour la charia? (3e partie)
Charia. Pour les musulmans, ce terme désigne «une voie indiquée par Dieu que les croyants sont invités à suivre corps et âme», explique Eric Chaumont, chargé de recherches au CNRS. Le mot suscite passions et incompréhensions en Occident. Nous avons déjà consacré deux articles à ce dossier. Dans une dernière partie, nous revenons sur l’interprétation qui en est faite de nos jours.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Y a-t-il une charia unique ? Ou plusieurs, liées aux traditions des différents pays musulmans ?
Oui, la sharia est unique mais celle-ci n’étant pas praticable telle que révélée, c’est-à-dire de manière le plus souvent très vague, il en existe plusieurs «compréhensions» légitimes. Le mot arabe fiqh que nous traduisons par «droit» signifie en fait «compréhension», sous-entendu «de la sharia». Tout comme dans le judaïsme, la légitimité de l’interprétation plurielle de la sharia est chose admise en islam. Ce qui est unique en islam est que la reconnaissance de la légitimité de l’interprétation plurielle de la sharia s’est traduite sur le plan institutionnel. Plusieurs «Ecoles» (madhhab) de compréhension de la sharia, plusieurs droits en somme, se sont développées et jouissent d’une égale reconnaissance.
Quatre Ecoles en sont nées - d’autres ont fait long feu - et il fut un temps où, dans les tribunaux, siégeaient quatre juges représentant chacun l’une des quatre Ecoles. Tout musulman est, en principe, libre d’adhérer à l’Ecole de son choix. Les choses ont évolué différemment puisque, avec le temps, ces Ecoles sont devenues régionales, chacune ayant son territoire.
Ces quatre Ecoles sont, par ordre d’ancienneté des imâms qui ont donné leur nom à chacune d’entre elles : le hanafisme - implanté en Turquie et en Asie centrale (mais quasiment doctrine d’État durant le califat ottoman) - ; le mâlikisme au Maghreb ; le shâfi‘isme en Égypte, au Yémen et en Indonésie ; et le très minoritaire hanbalisme, puissant un temps à Bagdad et à Damas mais qui n’a connu d’enracinement territorial que plus tardivement, dans la péninsule arabique avec l’introduction et l’imposition de l’idéologie wahhabite qui, légalement, s’en réclamait.
Activisme politique
On considère habituellement, mais de manière parfois un peu forcée, qu’outre certaines différences sur le plan du droit positif (la loi en tant que telle, les articles de la loi), un «état d’esprit» spécifique caractérise chacune de ces Ecoles, la plus «libérale» et la plus «souple» étant le hanafisme et la plus «rigoriste» le hanbalisme.
La réputation du hanbalisme n’est pourtant pas usurpée. Il est en effet plus rigoriste - dans l’Histoire, les hanbalites ont souvent fomenté des émeutes dénonçant le laxisme des autorités quant au respect de la sharia -. Et il l’est d’autant plus lorsqu’il est revisité par un théologien-juriste du XIVe siècle, Ibn Taymiyya, qui est aujourd’hui l’un des maîtres à penser de l’activisme politique musulman.
C’est un tribunal de cette mouvance qui a condamné le jeune Saoudien ‘Ali Muhammad al-Nimr à cette peine si sévère. On ne peut nier que, comme telle, elle soit sharaïque mais on ne peut pas douter non plus qu’elle a été prononcée d’une part avec un zèle foncièrement étranger au droit musulman, et, d’autre part, qu’elle a été prononcée pour des raisons «extra-sharaïques», clairement politiques. Ou, plus précisément, théologico-politiques : pour un grand nombre d’hommes de religion wahhabites, le principal ennemi de l’islam sunnite, celui qu’il faut combattre en priorité, c’est le shiisme, plus que toutes les autres formes de «mécréance». Lorsqu’en plus s’en mêlent des facteurs d’hégémonie régionale politique au sens étroit et prosaïquement économique, on assiste alors à de telles condamnations particulièrement iniques.
Les réponses ont été rédigées par Eric Chaumont, chargé de recherche au CNRS, IREMAM-MMSH, Aix-en-Provence
Oui, la sharia est unique mais celle-ci n’étant pas praticable telle que révélée, c’est-à-dire de manière le plus souvent très vague, il en existe plusieurs «compréhensions» légitimes. Le mot arabe fiqh que nous traduisons par «droit» signifie en fait «compréhension», sous-entendu «de la sharia». Tout comme dans le judaïsme, la légitimité de l’interprétation plurielle de la sharia est chose admise en islam. Ce qui est unique en islam est que la reconnaissance de la légitimité de l’interprétation plurielle de la sharia s’est traduite sur le plan institutionnel. Plusieurs «Ecoles» (madhhab) de compréhension de la sharia, plusieurs droits en somme, se sont développées et jouissent d’une égale reconnaissance.
Quatre Ecoles en sont nées - d’autres ont fait long feu - et il fut un temps où, dans les tribunaux, siégeaient quatre juges représentant chacun l’une des quatre Ecoles. Tout musulman est, en principe, libre d’adhérer à l’Ecole de son choix. Les choses ont évolué différemment puisque, avec le temps, ces Ecoles sont devenues régionales, chacune ayant son territoire.
Ces quatre Ecoles sont, par ordre d’ancienneté des imâms qui ont donné leur nom à chacune d’entre elles : le hanafisme - implanté en Turquie et en Asie centrale (mais quasiment doctrine d’État durant le califat ottoman) - ; le mâlikisme au Maghreb ; le shâfi‘isme en Égypte, au Yémen et en Indonésie ; et le très minoritaire hanbalisme, puissant un temps à Bagdad et à Damas mais qui n’a connu d’enracinement territorial que plus tardivement, dans la péninsule arabique avec l’introduction et l’imposition de l’idéologie wahhabite qui, légalement, s’en réclamait.
Activisme politique
On considère habituellement, mais de manière parfois un peu forcée, qu’outre certaines différences sur le plan du droit positif (la loi en tant que telle, les articles de la loi), un «état d’esprit» spécifique caractérise chacune de ces Ecoles, la plus «libérale» et la plus «souple» étant le hanafisme et la plus «rigoriste» le hanbalisme.
La réputation du hanbalisme n’est pourtant pas usurpée. Il est en effet plus rigoriste - dans l’Histoire, les hanbalites ont souvent fomenté des émeutes dénonçant le laxisme des autorités quant au respect de la sharia -. Et il l’est d’autant plus lorsqu’il est revisité par un théologien-juriste du XIVe siècle, Ibn Taymiyya, qui est aujourd’hui l’un des maîtres à penser de l’activisme politique musulman.
C’est un tribunal de cette mouvance qui a condamné le jeune Saoudien ‘Ali Muhammad al-Nimr à cette peine si sévère. On ne peut nier que, comme telle, elle soit sharaïque mais on ne peut pas douter non plus qu’elle a été prononcée d’une part avec un zèle foncièrement étranger au droit musulman, et, d’autre part, qu’elle a été prononcée pour des raisons «extra-sharaïques», clairement politiques. Ou, plus précisément, théologico-politiques : pour un grand nombre d’hommes de religion wahhabites, le principal ennemi de l’islam sunnite, celui qu’il faut combattre en priorité, c’est le shiisme, plus que toutes les autres formes de «mécréance». Lorsqu’en plus s’en mêlent des facteurs d’hégémonie régionale politique au sens étroit et prosaïquement économique, on assiste alors à de telles condamnations particulièrement iniques.
Les réponses ont été rédigées par Eric Chaumont, chargé de recherche au CNRS, IREMAM-MMSH, Aix-en-Provence
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.