Quatre questions pour comprendre la polémique sur la fin des deux plus prestigieux corps diplomatiques français
Un décret destiné à diversifier les élites du ministère des Affaires étrangères fait craindre à de nombreux professionnels et responsables politiques une diplomatie au rabais. Et le sujet s'est invité dans la campagne présidentielle.
Deux corps à la mer. Le gouvernement a acté, dimanche 17 avril, au Journal officiel, la "mise en extinction" des plus prestigieux corps diplomatiques de la France. Les postes d'ambassadeurs ou de consuls généraux vont être plus largement ouverts aux hauts fonctionnaires n'ayant pas fait leurs armes au sein du ministère des Affaires étrangères, ce qui suscite des inquiétudes sur la qualité et le prestige de la future diplomatie tricolore. Franceinfo vous explique les dessous de ce décret sensible, publié au milieu de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle.
1Quels sont les corps diplomatiques concernés ?
Le décret signé par Jean Castex met fin aux corps des "conseillers des Affaires étrangères" et des "ministres plénipotentiaires". Il s'agissait jusqu'ici des deux plus hauts grades du personnel diplomatique français. Ils constituaient la voie royale pour accéder à la dignité d'ambassadeur à l'étranger.
Pour intégrer ces grades, les quelque 900 fleurons du Quai d'Orsay devaient être issus de l'Ecole nationale d'administration (ENA) ou du très sélectif concours des "cadres d'Orient", organisé par le ministère des Affaires étrangères. A partir du 1er juillet, les deux corps vont être "mis en extinction", avant une disparition définitive au profit du corps des "administrateurs de l'Etat". Ce dernier est le nouveau vivier interministériel de hauts fonctionnaires, peuplé également de préfets ou d'inspecteurs généraux des finances.
2Pourquoi le gouvernement les supprime-t-il ?
Cette suppression s'inscrit dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, portée par Emmanuel Macron. Après le remplacement de l'ENA par l'Institut national du service public, en janvier, l'exécutif entend à présent secouer le Quai d'Orsay. Son objectif est de lutter contre le "corporatisme", de diversifier le profil des hauts diplomates et d'encourager la mobilité entre les ministères. "Aujourd'hui, nos diplomates désirent varier les expériences, assure le ministère de la Transformation publique au Parisien. Au Quai d'Orsay, vous pouvez avoir envie d'aller au ministère de l'Agriculture, puis revenir."
Les Affaires étrangères s'ouvriront davantage aux cadres venus du secteur privé ou de la société civile. Une telle orientation avait déjà été défendue en 2018, lors de la polémique sur la nomination éphémère de l'écrivain Philippe Besson comme consul à Los Angeles. Le gouvernement avait alors vanté les bienfaits de "profils différents venus de la société civile, du monde de la culture, du monde des arts, du monde de l'entreprise".
3Pourquoi cette réforme est-elle critiquée ?
Les crispations sont apparues dès l'an dernier chez les diplomates. "Cette disparition va affecter l'ensemble des carrières diplomatiques, construites au fil du temps en multipliant les expériences et les affectations, s'inquiétait alors la CFDT-MAE, majoritaire, dans Le Monde. C'est une façon de nier notre métier." Cette crainte d'une "perte de compétence" et de "mémoire" au Quai d'Orsay a été relayée, mardi, par l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin, sur Twitter.
"Cette réforme est une erreur", a enfoncé l'ancien ministre des Affaires étrangères Michel Barnier, lundi, sur Twitter, y voyant un danger pour "une diplomatie efficace et influente". Un collectif de 150 jeunes diplomates avait déjà alerté sur ce point dans une tribune publiée en novembre dans Le Monde : "La victime de cette réforme sera la diplomatie française, et l'influence à l'international de notre pays à travers elle. Notre capacité à venir en aide à nos concitoyens est aussi mise en danger."
Une diplomatie moins expérimentée, moins influente, mais aussi moins méritocratique ? L'ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis Gérard Araud a jugé, lundi, sur Twitter, que "la porte est désormais ouverte aux nominations à l'américaine". Emmanuel Macron "veut remplacer des serviteurs de l'État impartiaux par du copinage", a accusé, dans la foulée, Marine Le Pen, sur Twitter. La candidate RN à la présidentielle a promis, en cas d'élection, de "rétablir un statut de diplomate fondé sur le mérite". "Les copains de promo vont pouvoir être nommés", a ironisé le troisième homme de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, sur Twitter.
4Comment l'exécutif se défend-il ?
Le Premier ministre, Jean Castex, a assuré, mardi, sur France Inter, que les diplomates "conserveront un corps, un statut, une impartialité, une formation, un recrutement par concours". "La différence, c'est qu'il faut que tous ces corps [de la haute fonction publique] s'ouvrent davantage, qu'il y ait plus de diversité, plus de transversalité, qu'ils aillent davantage sur le terrain", a-t-il défendu.
"Il y aura toujours des diplomates professionnels. Ne confondons pas le statut et le métier."
Jean Castex, Premier ministresur France Inter
Ces derniers mois, l'exécutif a tenté de minimiser les effets de cette réforme. "La France aura toujours des ambassadeurs, des consuls, aura toujours d'ailleurs un réseau diplomatique qui est l'un des plus importants au monde", assurait la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, au Monde, en novembre.
Dans le détail, pour permettre un minimum de continuité, le corps des secrétaires des Affaires étrangères, l'échelon inférieur aux deux corps supprimés, survit. Sans nier son hostilité initiale au projet, le ministre Jean-Yves Le Drian a assuré, au Sénat, en janvier, avoir obtenu de Matignon le maintien du "concours d'Orient". Il a également sauvé "la possibilité pour les agents ayant fait le choix de la diplomatie, quel que soit leur statut ou leur concours, de pouvoir faire toute leur carrière au Quai d'Orsay s'ils le souhaitent".
Face aux risques cités en matière de copinage, l'entourage d'Amélie de Montchalin déplore "de la récupération politicienne". Les nominations d'ambassadeurs sont déjà une prérogative du président de la République, inscrite dans l'article 13 de la Constitution. Que va vraiment changer cette réforme ? Selon Public Sénat, une mission d'information sénatoriale a été lancée, en février, pour permettre de mesurer les conséquences de la suppression des deux corps. Son rapport est attendu d'ici cet été.
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