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Yémen: la démocratie à la croisée des chemins

Après le départ du président yéménite Ali Abdallah Saleh, en février 2012, à l’issue d’un processus marqué par la violence, le pays s'attelle à une politique de réconciliation avec une conférence tous azimuts qui doit durer six mois. Mais les intérêts personnels, tribaux et religieux, la volonté centrifuge du sud sont à même de contrarier cette évolution.
Article rédigé par Jean-Claude Rongeras
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des manifestants pro-démocratie criant des slogans à Saana, le 17 mars 2013. (AFP/MOHAMED HUWAIS)

Le Yémen fait exception dans le morne tableau des lendemains des «printemps arabes». Après la répression violente des manifestations pacifiques, ce pays a su ensuite éviter les écueils de la violence et compte sur la conférence pour tracer les voies d’un avenir positif. Dans le même temps, des élections sont prévues en 2014.
 
Cette situation relativement favorable n’était pas acquise d’avance dans un pays qui a connu une guerre civile dans les années 90 entre un nord pro-occidental et un sud marxiste.

Le président par intérim Abd Mansour Hadi, successeur d’Ali Abdallah Saleh, dont il était le Premier ministre, assure la période de transition de deux ans. Il a exhorté lors de l’ouverture de la conférence «les différentes forces politiques à faire des concessions pour assurer un tournant» dans l'histoire du pays. De son côté, l’ONU estime que «le pays revient de loin» et que si des défis restent à relever, «un processus est en marche et les acteurs ont la volonté de parvenir à un consensus».
 
Et les défis qui attendent les autorités yéménites sont nombreux: la corruption, les clivages politiques, l’exercice de l’autorité de l’Etat sur tout le territoire. Sans oublier les problèmes économiques, car la principale ressource de ce pays très pauvre, le pétrole (70% de ses revenus), voit chaque année sa production baisser.
 
L’Etat face aux volontés séparatistes
Le sud reste agité de mouvements qui contestent le pouvoir central. En cause, la discrimination dont sont l’objet les habitants de la région en matière d’emploi, la confiscation de terres et des ressources naturelles. Une partie des contestataires demande l’indépendance. Mais d’autres groupes, favorables à l’autodétermination, doivent participer aux discussions en cours. Depuis le 21 février 2013, des matinées de «désobéissance civile» sont organisées régulièrement pour protester contre les violences policières qui ont fait plusieurs morts dans les rangs des manifestants.
 
D’autres forces centrifuges créent des troubles, notamment, les rebelles houthis, des zaydistes (une branche du chiisme) qui opèrent dans le nord du pays. Ainsi qu’al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) qui, bien que combattu par l’armée, conserve une forte capacité de nuisance dans le sud et l’est. Le groupe terroriste concentre ses attaques contre des cibles militaires, les installations pétrolières et les étrangers.
 
Face à cette menace, les Etats-Unis fournissent une aide militaire à Sanaa. Comme au Pakistan, ils utilisent notamment des drones pour surveiller et abattre des activistes radicaux. Ces actions, qui font aussi des victimes civiles, sont très critiquées par la population.
 
Le président Abd Mansour Hadi, préoccupé par les problèmes de sécurité qui risquent de compliquer la transition politique, s’est déclaré prêt à engager le dialogue «sous condition» avec la branche locale d’Al Qaida.

 
Saleh s'incruste
Mais le plus grave des menaces pesant sur le processus politique reste l’activisme de l’ex-président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir durant 32 ans (entre 1979 et 2011). Chassé par la révolte du Printemps arabe, l’homme est revenu dans sa belle maison de Saana à la faveur de l’accord négocié à Ryad (Arabie Saoudite) par le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe. Accord qui prévoyait la démission du président Saleh en échange de son immunité. Une fin de règne souhaitée par les Saoudiens, toujours actifs pour influer sur les affaires de leur voisin du sud, leur intérêt étant d’empêcher l’émergence d’un Etat central puissant à l’extrémité de la péninsule arabique. 
 
Toujours à la tête du Parti populaire général (CPG), l’ex-président  peut compter sur des réseaux toujours actifs. Ainsi, même si les nouvelles autorités ont dissout les unités de sécurité dirigées par sa famille, il pourra toujours compter sur l’appui d’un de ses anciens alliés, le général Ali Mohsen, qui dirige en sous-maison une grande partie de l’armée.
 
L’habile politicien critique son successeur qu'il décrit comme un partisan de la sécession du sud et dit bénéficier de l’aide de l’Iran. L’ONU le menace de sanctions.

Les étudiants insatisfaits  
Face au paysage politique resté figé, les étudiants qui ont mené le soulèvement populaire contre l’autocrate ne décolèrent pas. Ils s’estiment trahis par la feuille de route d’un processus de transition qui a ménagé une fausse sortie à Ali Abdallah Saleh. Ils réclament qu’il soit jugé pour les abus commis lors de la répression sanglante du soulèvement en 2011.
 
De son côté, la prix Nobel de la paix Tawakkol Karman, a annoncé à l'AFP qu'elle boycotterait la conférence pour protester contre la marginalisation des jeunes ayant animé le soulèvement populaire et la participation de ceux qui ont orgganisé la répression. 
 
Une certitude, les jeunes seront les premiers à évaluer le résultat des discussions qui ont commencé. En cas d’échec, l’«acte II de la révolution risque de ne pas être du tout pacifique», comme ils ont expliqué.

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