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Attaques de pétroliers dans le Golfe : pourquoi toutes les conditions sont réunies pour un regain de tension

Deux tankers ont été la cible jeudi d'une attaque d'origine indéterminée en mer d'Oman, dans le Golfe. Qui a intérêt à un regain de tension, dans un contexte hautement inflammable entre les Etats-Unis et l'Iran qui s’accusent mutuellement ? 

Article rédigé par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le pétrolier Front Altair en feu, dans le Golfe d'Oman, le 13 juin 2019. (STRINGER / ISNA NEWS AGENCY)

Qui attaque des pétroliers en mer d'Oman ? Deux tankers, norvégien et japonais, ont été la cible jeudi 13 juin d'attaques d'origine indéterminée en mer d'Oman, un mois après le sabotage de quatre navires, dont trois pétroliers, au large des Emirats arabes unis. Washington avait alors déjà montré du doigt Téhéran. L'Iran, où se trouvait jeudi le Premier ministre japonais Shinzo Abe, a démenti toute implication dans ces différentes attaques.

Ces attaques interviennent dans un contexte inflammable, sur fond de tensions croissantes entre l’Iran et les Etats-Unis. Le 19 mai, Donald Trump avait menacé l'Iran d'une "fin officielle" s'il attaquait les intérêts américains. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a répondu que les "provocations" américaines ne "détruiraient pas l'Iran".

La tentation de l'escalade, aux Etats-Unis comme en Iran

À qui profite le crime ? Aux Etats-Unis, nombreux sont ceux, militaires ou membres de l'administration, qui défendent une ligne dure. "Depuis longtemps, les faucons dans l’entourage de Donald Trump à Washington ont envie d’en découdre avec l’Iran et souhaitent que le régime s’effondre pour laisser la place à un régime plus propice aux intérêts américains", explique François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran. À leur tête, John Bolton, le conseiller américain à la sécurité nationale. "Les Français le connaissent bien, poursuit le diplomate. C’est lui qui les asticotait déjà dans les années 2000 alors que les Européens discutaient avec les Iraniens pour trouver une issue à la crise nucléaire, en fervent opposant de la construction de centrifugeuses et du développement du moindre programme d'enrichissement."

C'est John Bolton et les faucons de Washington qui ont poussé pour que Donald Trump, sitôt élu, dénonce l’accord de 2015  sur le programme nucléaire iranien. Et c'est eux qui entretiennent une stratégie de la tension quand le président Trump, de son côté, pencherait plutôt pour la négociation. "Trump est un négociateur, indique François Nicoullaud. Lui, au fond ce qu'il aime, c'est le deal, c’est passer des juteux contrats, des bonnes affaires qui le mettent en valeur auprès de son électorat, alors que s’annonce la prochaine campagne présidentielle." "Au fond, conclut-il, ces gens autour de Trump essaient de le coincer dans une solution où il ne pourra plus faire machine arrière."

En Iran, d’autres faucons ont intérêt à ce que la tension monte. "Vous avez des faucons à Washington et des faucons à Téhéran, commente Christian Chesnot, grand reporter à Radio France, spécialiste du Moyen-Orient. L’explication de ces incidents peut se retrouver chez certains éléments incontrôlés du régime iranien qui veulent saper toute réconciliation entre l'Iran et le reste du monde." Deux camps s'opposent en effet à Téhéran : d’un côté les réformateurs, comme le président Rohani, ou le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, partisans de l’accord nucléaire. De l'autre, les gardiens de la Révolution, qui ne souhaitent pas que l'Iran se raccroche au monde et refusent tout net les négociations. 

Une production de gaz et de pétrole sous haute surveillance

L’affaire se résoudrait donc en une dangereuse tentative de déstabilisation initiée par les va-t’en guerre de l’un ou de l’autre côté des camps ennemis ? "Beaucoup des acteurs qui sont autour du Golfe, ainsi que les Etats-Unis, auraient intérêt aujourd'hui à ce que le cours du baril remonte, développe Mathieu Auzanneau, directeur du Shift Project, think tank de la transition énergétique et auteur de Or noir, la grande histoire du pétrole, paru aux éditions La Découverte, en 2015. Depuis le début des années 1980 et la révolution iranienne, un maelström se déploie autour de cette zone où bat le cœur de l’économie mondiale et où chacun affirme sa puissance."

"Le Golfe persique, précise Christian Chesnot, est une région stratégique pour l'économie mondiale. C'est la principale veine jugulaire énergétique de la planète, dont le verrou est le détroit d'Ormuz contrôlé par le sultanat d'Oman et l'Iran, une zone à très haute valeur stratégique." C’est en effet par cet étroit et sinueux couloir maritime que les monarchies arabes du Golfe exportent leur pétrole et leur gaz vers l'Asie et l'Europe. Une véritable autoroute énergétique empruntée chaque jour par une noria de tankers transportant plus de 10 millions de barils de brut, ce qui représente environ un tiers du commerce pétrolier mondial.

"C'est aussi par cette route maritime que le Qatar exporte son gaz naturel liquéfié, le GNL, via sa flotte de méthaniers, poursuit Christian Chesnot. Ce n'est pas un hasard si ce coffre-fort énergétique est puissamment défendu par les Occidentaux : les Américains ont installé le QG de leur cinquième flotte à Bahreïn et leur principale base aérienne au Qatar avec 10 000 hommes sur place." La France dispose de son côté d'une base aéronavale à Abou Dhabi dans les Emirats arabes unis où sont stationnés des Rafale et des navires militaires. Et sur l'autre rive, l'Iran dispose aussi de bases militaires navales. Bref, un environnement géopolitique hautement inflammable.

Des Iraniens asphyxiés économiquement

Aussi, si les accusations de Washington ne sont pas plus convaincantes a priori que celles de Téhéran, et si la vidéo américaine censée montrer  des soldats iraniens retirant une mine magnétique de la coque d'un bateau n’a pas de caractère probant, elle laisse flotter une présomption. "Il faut se souvenir que les Iraniens ont répété sur tous les tons pendant la période récente : si on nous empêche d'exporter notre pétrole ça ne sera pas sans conséquences, l'Amérique en paiera le prix, rappelle François Nicoulleau. Or actuellement, l’Iran souffre énormément." "Jusqu'à encore récemment, poursuit l’ancien ambassadeur de France en Iran, les Américains avaient autorisé un certain nombre d'exemptions qui permettaient aux Iraniens d'exporter une partie de son pétrole. Ils ont ensuite fermé totalement le robinet. À peine l'avaient-ils fermé qu’avaient lieu les premiers attentats contre des tankers, au large des Emirats arabes unis, à l'extérieur du détroit d'Ormuz."

Il y a quelques jours, les Etats-Unis introduisaient une série de sanctions durcies sur les exportations de pétrochimie contre la principale société productrice et exportatrice de produits pétrochimiques. "Là, vraiment, les Iraniens sont étranglés", indique François Nicoulleau. Jusqu’au point de risquer un conflit ouvert avec la première puissance de la planète ? Ce n’est pas exclu. "On est en train d'étrangler l'Iran économiquement, souligne Christian Chesnot. Il y a un an, l'Iran exportait trois millions de barils. On est aujourd’hui à moins de 500 000, 700 000. Si les Iraniens sont asphyxiés économiquement, ils mettront en place des structures de contournement des sanctions mais ce ne sera pas suffisant." "À force de coincer l'Iran dans un coin, avertit le spécialiste du Moyen-Orient, il peut y avoir des dérapages. Peut-être est-on en train de les vivre en ce moment."

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