Situation extrêmement tendue en Iran : le récit de notre envoyé spécial
G. Philipps : Tard hier soir, pendant que les dernières poubelles et les dernières barricades finissaient de brûler dans les rues du nord de Téhéran, le pouvoir a procédé à une série d'arrestations dans le camp réformateur…une centaine de personnes en tout, dont une dizaine de responsables politiques proches l'ancien président réformateur Mohamad Khatami. Ces responsables auraient été libérés ce matin, mais à la mi-journée la police annonçait parallèlement avoir arrêté 60 "organisateurs des émeutes". On ne sait pas s'il s'agit de responsables politiques ou de manifestants interpellés hier dans les cortèges. Hier on a vu en plein cœur de Téhéran beaucoup de jeunes, notamment, violemment frappés et emmenés dans des véhicules de police, sans qu'on sache où ils étaient emmenés : un jeune homme rencontré hier après-midi à Téhéran nous disait : "c'est sûr, ils les emmènent à Evin", la tristement célèbre prison de Téhéran où en général sont emprisonnés les opposants.
Précisément, qu'est ce qui motive ces gens à descendre dans la rue au risque d'ailleurs de se faire arrêter ?
G. Philipps : Le premier sentiment, c'est qu'on leur a volé cette élection. L'un des slogans entendus hier à Téhéran, c'était "Moussavi, Moussavi, reprends nos votes !" Mais ça va aussi au-delà de la revendication politique. On a l'impression que c'est une énorme colère qui est train de s'exprimer, en tout cas à Téhéran. Pour l'instant nous n'avons pas d'information sur d'éventuelles manifestations dans d'autres villes du pays, que ce soit à Mashad ou Ispahan.
Colère parce que ces quatre dernières années, sous la présidence d’Ahmadinejad, les libertés individuelles ont reculé. Une police spéciale été créée pour traquer les femmes mal voilées par exemple. Colère aussi parce que la situation économique est de plus en plus désastreuse. Colère enfin parce que pour ces jeunes, qui souvent sont diplômés, bien formés (l'Iran a de prestigieuses universités) et bien il n'y a aucun débouché à la sortie. A tel point que certains de ces jeunes gens et ces jeunes filles disent que si Ahmadinejad reste encore quatre ans au pouvoir, et bien ils préfèrent partir, quitter l'Iran. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à être candidats pour aller travailler à Dubaï ou pour aller étudier aux Etats-Unis.
Qu'est ce qui peut se passer maintenant ? Est-ce que les manifestations peuvent encore grossir ?
G. Philipps : En tout cas, la répression est très forte. Hier on a vu les policiers antiémeutes, qui circulent à moto, frapper très violemment certains de ces manifestants. Il y a aussi des miliciens en civils, les bassidjis, qui sont là pour réprimer toute manifestation. Et puis la République islamique peut aussi compter sur ses pasdarans, les gardiens de la révolution. Ce sont eux qui sont véritablement en charge de la sécurité intérieure du pays. C'est une unité très importante, environ 300.000 hommes, qui peut véritablement tenir le pays.
_ Il faut voir enfin comment le camp conservateur va mobiliser cet après-midi et si les "pro Ahmadinejad" seront plus nombreux dans les rues que les "pro Moussavi".
Vous revenez tout juste de Téhéran, la presse n'est plus la bienvenue sur place ?
G. Philipps : Non, autant pendant les trois semaines de la campagne électorale, les journalistes étaient les bienvenues pour couvrir cette extraordinaire mobilisation, les files d'attente interminables devant les bureaux de vote - c’était d'ailleurs une superbe opération de communication pour le régime des ayatollahs - autant, tout ça est maintenant terminé.
Hier à Téhéran, le ministère de la guidance islamique nous a fait savoir que nos visas de presse ne seraient pas prolongés. Autant dire "Dehors !". Dans les manifestations, des miliciens ont volé les caméras de plusieurs journalistes étrangers. Et puis toujours pour essayer de mettre une chape de plomb, le réseau de téléphonie mobile a été complètement coupé hier soir. Impossible d'appeler ou de se faire appeler à Téhéran. Ce matin, le réseau aurait été partiellement rétabli.
Page web : Cécile Mimaut
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