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Pourquoi l'Arabie saoudite surveille de près les cheveux de ses footballeurs

Le royaume surveille de près les coupes de cheveux de ses footballeurs et interdit toute excentricité capillaire sur le rectangle vert.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le gardien saoudien Waleed Abdullah se fait ratiboiser par des arbitres, en 2012. (AL JAMAHEIR6)

La vidéo a fait le tour du monde, mais pour de mauvaises raisons. On y voit le gardien de l'équipe saoudienne d'Al-Ittihad se faire couper les cheveux en plein match, parce que sa coiffure est "anti-islamique". Le malheureux Waleed Abdullah, gardien international, voit sa coiffure façon "US Marine", assez sage, disparaître sous les coups de ciseaux des arbitres. Une scène surréaliste, qui fait écho à la parution d'un décret de l'organisation royale de la jeunesse interdisant les coiffures excentriques sur les terrains de foot. Souci : la vidéo date de 2012. Mais illustre un vrai problème pour le pouvoir saoudien. 

Les Saoudiens coupent les cheveux en quatre

Ce week-end encore, trois joueurs se sont vu interdire l'accès au terrain en raison de leur coupe de cheveux "qaza", rapporte le site Al Bawaba*. Certains prédicateurs musulmans – notamment ceux liés au wahhabisme, version rigoriste de l'islam en vigueur en Arabie saoudite – affirment que les hommes doivent être coiffés de manière régulière, avec les cheveux de la même longueur sur tout le crâne. Une règle bien spécifique qui suscite des torrents de questions sur internet de la part de jeunes qui s'apprêtent à se rendre chez le coiffeur (quelques exemples ici, ici, ou encore ici). 

Dans un pays où les hommes n'ont pas le droit de porter les cheveux longs ou des bijoux, la fashion police est un souci constant pour les autorités, qui craignent que les usages venus d'Occident ne pervertissent leur jeunesse. En témoigne cet article hallucinant de la Saudi Gazette, en 2015, qui vole au secours des parents dont les enfants portent des jeans troués ou s'enduisent les cheveux de gel chaque matin. "Interdire cela serait contre-productif et braquerait encore plus les jeunes, affirme le docteur Saud Al-Dhayan, de l'université King Saud. La meilleure chose à faire est de mener des études sociologiques dans le royaume, et renforcer l'identité des classes sociales les plus sensibles à l'occidentalisation, pour qu'ils cessent." En 2012, le site Emirates247 relayait la volonté de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, forte de 5 000 agents, de mettre en place une tournée des écoles pour repérer les récalcitrants. 

Un débat anecdotique, s'amusent les internautes saoudiens sur Twitter. "Les factures d'eau deviennent incroyablement chères, le gouvernement ne recrute plus, les aides gouvernementales à l'achat immobilier ou à la famille ont été suspendues, et on organise des séminaires gouvernementaux sur le qaza !" s'énerve l'un d'eux (en arabe). "La prochaine étape, c'est quoi, une épreuve de mémorisation du Coran et la barbe obligatoire pour les joueurs ?" ironise un autre (en arabe). "De toute façon, quand on est coiffé qaza, on a l'air de ça", s'amuse @violet_24.

Le football vu comme une menace pour le régime

C'est peut-être un détail pour vous, mais le gouvernement prend très au sérieux toute forme de mécontentement. Comme le note l'universitaire James Dorsey, qui fait référence pour les questions de football asiatique, ce sport fait figure de (rare) exutoire pour les opposants au régime. Problématique, quand on sait que chaque club est détenu par un membre de la famille royale, et que le classement peut être lu comme un baromètre déterminant quel prince a la cote à la Cour. 

"Les Saoudiens sont extrêmement inquiets. Le point de départ d'une éventuelle révolution sera probablement un club de foot plutôt qu'une mosquée", explique au blog The Turbulent World of Middle East Soccer Ali Al-Ahmad, directeur du Gulf Institute, basé à Washington. On a déjà entendu des slogans hostiles au prince Turki Al-Faisal, dans les tribunes de son propre club, Al-Nassr.

Les autorités avaient ainsi tout fait pour limiter les conséquences de la Coupe du monde 2010 sur la pratique religieuse, un des instruments majeurs de contrôle des masses dans cette théocratie autoritaire. Le régime avait interrompu la retransmission télévisée des matchs pour diffuser des appels à la prière, et empêché l'accès aux cybercafés quand le muezzin battait le rappel de ses ouailles.

Pour contrer l'influence décadente du ballon rond sur la jeunesse saoudienne, les autorités ont opéré un changement de politique en misant sur des sports moins glamour – l'athlétisme ou le handball. Des disciplines également susceptibles de rapporter plus de médailles dans des compétitions moyennes comme les Jeux asiatiques. Depuis l'épopée des footballeurs saoudiens, éliminés en huitième de finale du Mondial 1994, l'équipe nationale affiche un bilan mitigé.

Pour la petite histoire, sachez qu'il n'y a pas que l'Arabie saoudite ou l'Iran qui se mêlent des poils de leurs sportifs. L'équipe de baseball des New York Yankees interdit à ses joueurs de porter la barbe depuis les années 1970. Les moustaches qui ne descendent pas sous les lèvres sont à peine tolérées. Le fait du prince… pardon, d'un ancien président du club.

* Sauf indication contraire, tous les liens de cet article sont en anglais.

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