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Qui est John Cantlie, porte-parole malgré lui de l'Etat islamique ?

Les jihadistes ont diffusé une nouvelle vidéo dans laquelle l'otage britannique est mis en scène dans un "reportage" dans les rues de Mossoul, en Irak. L'occasion pour l'EI de diffuser sa propagande. 

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Capture d'écran de la vidéo diffusée le 2 janvier 2015 sur YouTube montrant l'otage John Cantlie.  (FRANCETV INFO )

Pas de chaîne, ni de bâillon pour John Cantlie, journaliste britannique pris en otage par le groupe Etat islamique, mais une caméra. Grimé en "envoyé spécial" de l'EI, John Cantlie apparaît dans une nouvelle vidéo de propagande jihadiste, diffusée samedi 2 décembre par Al Hayat, le centre de presse du califat autoproclamé. Intitulé A l'intérieur de Mossoul, le faux reportage montre le journaliste déambulant dans les rues de la deuxième ville d'Irak, tombée aux mains des jihadistes depuis le mois de juin 2014.

Dans le souk, le prisonnier s'arrête au gré des stands pour sentir les produits, sous les regards des badauds. La réalisation est léchée. Les plans-séquences, le phrasé : tout laisse croire à un reportage d'un magazine touristique. Sauf que le message est bien celui de l'Etat islamique.

"Les médias se plaisent à expliquer que la vie sous l'Etat islamique est dure, que les gens y sont enchaînés comme des sujets, sous le joug d'une loi impitoyable et totalitaire, explique l'otage au volant d'une voiture. Mais franchement, à part un mois de décembre frisquet et ensoleillé, la vie à Mossoul suit son cours." CNN, Al Arabiya et le Guardian sont accusés de véhiculer de fausses informations sur le quotidien des populations qui vivent sous le drapeau noir des jihadistes. Comment John Cantlie en est-il arrivé à distiller la propagande de ses ravisseurs ?

"Deux années dans une cave sans voir le jour"

Son calvaire commence en novembre 2012, lorsqu'il est capturé dans la province d'Idleb, dans le nord de la Syrie, aux côtés de James Foley, décapité en août 2014. Journaliste freelance envoyé sur le front, Cantlie travaillait "pour quelques-uns des plus grands journaux et magazines au Royaume-Uni", comme il l'explique dans la première vidéo de l'EI qui le met en scène.

Celle-ci est diffusée en septembre 2014. Assis dans une salle sombre, le journaliste de 43 ans est vêtu d'un tee-shirt orange, calqué sur ceux des Irakiens détenus dans la prison américaine de Guantanamo. "Il a passé les deux dernières années de sa vie dans une cave sans voir la lumière du jour. Il a eu plusieurs mois de traitements extrêmement durs", raconte son ancien compagnon de geôle Nicolas Hénin sur France Info.

Capture d'écran de la vidéo diffusée le 18 septembre sur YouTube montrant l'otage britannique John Cantlie. (  FRANCETV INFO )

"L'EI veut faire croire qu'il n'est plus prisonnier"

Depuis, l'homme est apparu dans sept autres clips de l'EI, indique le Guardian (en anglais). Le style des vidéos évolue, tout comme l'apparence de Cantlie. D'abord habillé en orange, il apparaît ensuite vêtu d'un long vêtement noir à la manière des jihadistes, notamment dans une vidéo qui le montre à Kobani, où les combats font rage. A Mossoul, il porte désormais un jean et un blouson, comme n'importe quel reporter occidental sur le terrain. "Ils veulent faire croire que ce n'est plus un prisonnier, mais un journaliste invité. C'est là qu'est le piège", décrypte Nicolas Hénin.

Dans le faux-reportage, le journaliste-otage apparaît même aux commandes d'une moto de police. "Ça fait un moment que je n'ai pas conduit de bécane", s'exclame-t-il tout sourire. Dans son autre vie, avant de s'envoler pour le chaos syrien, John Cantlie avait présenté une émission sur les deux-roues pour la télé britannique, ce qui l'a amené à rencontrer les princes Harry et William, rappelle le Daily Mail (en anglais)Cette fois, c'est un homme vêtu de noir et armé qui l'accompagne sur la moto. Ces étonnantes images remplissent leur but : faire réagir dans la twittosphère jihadiste.

"Il a adopté une stratégie de survie"

Est-il victime de menaces ou son attitude est-elle l'expression du syndrome de Stockholm ? Ce retournement de situation, ses ex-compagnons l'imputent surtout à une volonté de rester en vie. "C'est quelqu'un de pragmatique, raconte à francetv info le journaliste français Didier François, avec qui il a partagé une cellule pendant huit mois en Syrie. Il avait la certitude que son gouvernement ne négocierait pas sa libération. Il a donc rapidement adopté une stratégie de survie."

Le Royaume-Uni, à l'instar des Etats-Unis, se refuse à négocier avec les jihadistes. "Etant donné que j'ai été abandonné par mon gouvernement, mon destin est entre les mains de l'Etat islamique. Je n'ai plus rien à perdre", affirmait John Cantlie dans la première vidéo qui le met en scène. Comme beaucoup d'otages, le Britannique s'est converti à l'islam. Une information communiquée par ses anciens codétenus, mais que les jihadistes se gardent de faire savoir. Ils préfèrent le présenter comme un journaliste occidental qui raconte librement comment vivent les gens sous le califat. 

"C'est la forme la plus aboutie de la vidéo de propagande. Mais il ne faut pas que la forme nous fasse oublier le fond, rappelle Didier François. Dans ces vidéos, ce n'est pas un journaliste, ni un propagandiste qui s'expriment, mais un otage. Un homme privé de liberté et soumis à la contrainte. En orange ou habillé en reporter, sur le fond, c'est pareil. L'objectif des ravisseurs, c'est de faire pression sur nos gouvernements et nos opinions."

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