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"On sentait la mort partout" : des civils irakiens racontent la vie à Mossoul, sous le joug de l'Etat islamique

Les forces irakiennes sont entrées mardi dans Mossoul, au seizième jour d'une vaste offensive visant à reprendre la deuxième ville d'Irak au groupe Etat islamique. Des milliers d'habitants ont déjà pris la fuite. Ils témoignent de la vie sur place.

Article rédigé par franceinfo - Alice Maruani
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Temps de lecture : 6 min
Un Irakien agite un drapeau blanc de sa voiture, à 40 kilomètres de Mossoul (Irak), alors qu'il fuit la région avec sa famille à l'approche des forces gouvernementales.  (AHMAD AL-RUBAYE / AFP)

Pendant deux ans, les membres du groupe Etat islamique ont forcé Musar et ses voisins à porter la barbe. Après l'arrivée des forces irakiennes dans son village, il a tout de suite attrapé un rasoir pour retrouver un visage glabre. "Je suis redevenu un jeune homme", s'enthousiasme cet homme de 41 ans, interrogé par le New York Times (en anglais). Comme lui, ils sont plus de 17 900 à avoir fui leur foyer depuis le lancement de la bataille de Mossoul, selon l'Organisation internationale pour les Migrations.

Les forces irakiennes sont entrées, mardi 1er novembre, dans la ville, la deuxième d'Irak, où vivent encore 1,5 million de personnes selon l'ONU. Des habitants sous le joug des jihadistes, retranchés dans une prison à ciel ouvert, à en croire les témoignages des réfugiés. "Il n'y avait pas de cigarettes, pas de portables, a raconté Saddam face à la caméra de l'AFP. Ils nous ont obligés à porter la barbe et les pantalons longs."

[Les jihadistes] nous ont privés de tout. La vie était terrible. Seulement se lever, prier, et c'est tout.

Saddam, réfugié

à l'AFP

"Les gens devenaient hystériques"

Cet Irakien a été l'un des premiers à arriver dans l'un des camps humanitaires destinés aux réfugiés de Mossoul, dans la région du Kurdistan. Les lieux sont encore à moitié vides. Saddam a pu s'y installer avec sa femme et ses trois enfants. "Même si c'est une tente, on est mieux que chez nous, explique-t-il. On n'entend plus les avions, les bombardements, les obus, les enfants qui crient, qui ont peur et qui pleurent. On était inquiets, on sentait la mort partout."

Dans la ville, les conditions de vie des habitants, déjà difficiles, ont empiré ces dernières semaines. Les prix de la nourriture et des biens de base ont dramatiquement augmenté. "J'ai préparé un abri dans la maison avec un peu de blé seulement pour faire du pain et quelques kilos de riz, raconte au Guardian (en anglais)  Amina, 45 ans, restée à Mossoul "pour ne pas se faire tuer en essayant de fuir". "La plupart des habitants n'ont pas d'argent parce que le gouvernement a arrêté de payer les employés il y a deux ans, et toutes nos économies sont épuisées."

Au rationnement s'ajoute la crainte des bombardements, qui pousse certains comme Abu, 47 ans, à choisir le chemin de l'exil. "Mes enfants n'ont pas quitté la maison pendant des semaines parce qu'ils avaient peur des bombardements américains, confie-t-il au Guardian. Ils bombardaient les quartiers résidentiels, près de chez nous. Le bruit était horrible, les fenêtres éclataient, toute la maison tremblait, les gens devenaient hystériques."

"La route était parsemée de mines"

Mais partir de Mossoul est de plus en plus compliqué. D'après certains réfugiés, cités par Lemonde.fr, il était encore possible, il y a quelques semaines, d’acheter son passage pour l’équivalent de 1 400 à 1 800 euros. A l’approche de l’assaut, ce prix a pu atteindre 9 000 euros. Autant dire une véritable fortune dans ce pays.

Aujourd'hui, c'est bien simple : toute sortie est interdite. Les combattants de l'Etat islamique ont placé des checkpoints aux portes de la ville pour empêcher les habitants de la quitter. Ils ont miné les routes et des snipers traquent ceux qui fuient. Hassan a tout de même pris son courage à deux mains pour partir en voiture, profitant d'un moment où les jihadistes se battaient au sud de Mossoul. "Il y avait deux voitures devant nous, la route était parsemée de mines, explique cet ancien policier à France Inter. Celle de devant a explosé, avec des enfants et des femmes... Et nous, on a réussi à passer.

Pour lui, partir était une question de vie ou de mort. Il craignait d'être pris en otage par le groupe Etat islamique. Selon l'ONU, les jihadistes ont enlevé près de 8 000 familles, vraisemblablement pour les utiliser comme "boucliers humains""Ils commencent à se servir de nous, les civils, comme protection, confirme Hassan. Les combattants [de l'Etat islamique] ont peur, ils sentent que la population peut se retourner. Du coup, ils deviennent paranoïaques... Les conditions de vie empirent chaque matin."

Enceinte de neuf mois, Iman a pris la fuite à pied. Pendant dix heures, elle a marché avec son mari et ses deux enfants en bas âge, la peur au ventre, avant d'être récupérée en voiture par les forces irakiennes puis emmenée dans un camp. Les médecins ont estimé qu'elle devrait subir une césarienne dans un hôpital de la région. Pourquoi a-t-elle pris la route dans un tel état ? "J'avais peur pour ma fille", répond-elle à CNN (en anglais). Les récits de viols ou de mariages forcés à des combattants de l'Etat islamique sont nombreux dans la région, où la condition des femmes, enfermées et humiliées, est terrible. "J'avais aussi peur pour mon fils, poursuit Iman. Ils lui auraient lavé le cerveau et, un jour, forcé à combattre avec eux."

"Ils me répétaient que c'était facile d'être kamikaze"

Car le groupe Etat islamique fait campagne à Mossoul pour que les civils les rejoignent. "Ils me répétaient que c'était facile d'être kamikaze, raconte Marouan, 17 ans, approché par des jihadistes, à France Inter. C'était des Irakiens, avec de longs cheveux, habillés bizarrement, et j'avais peur d'eux. Il y a quelques jours, j'étais dans le centre-ville pour acheter un vélo. [Le groupe Etat islamique] était en train de fouetter et de pendre quatre personnes pour impressionner."

Pour éviter les représailles, la sœur d'Abdul, réfugié à Erbil, ne l'appelle qu'après minuit, "de peur que les jihadistes la voient avec un téléphone". Elle lui a raconté, dit-il au Guardian (en anglais) qu'ils "utilisent des mégaphones dans les mosquées et les marchés pour presser les gens à rejoindre le jihad et défendre leur ville". D'autres civils ont relaté que les jihadistes utilisaient des techniques de guérilla urbaine, et creusaient des tunnels dans la ville. Mais aussi qu'ils cherchaient à se fondre parmi les habitants, en se rasant la barbe par exemple. Un habitant a expliqué à l'AFP "avoir vu des membres de [l'Etat islamique] qui ne ressemblaient plus du tout à ce qu'ils étaient la dernière fois que je les ai croisés."

"Ils attendent que l'armée vienne les sauver"

Ceux qui ont décidé de rester vivent dans la crainte de l'assaut à venir.

D'une certaine façon la guerre est devenue une partie de notre vie.

Abdul, réfugié à Erbil

au "Guardian"

"Mais les habitants de Mossoul sont vraiment terrifiés de cette bataille en particulier, parce que le monde entier vient combattre [le groupe Etat islamique] dans notre ville, poursuit Abdul. Les gens creusent des abris dans leur maison pour essayer de se cacher pendant les bombardements, mais si la guerre dure longtemps il y aura des pillages, parce que personne n'a beaucoup de réserves" Les jihadistes auraient déjà exécuté 250 personnes la semaine passée, selon l'AFP.

"Ces guerres ont volé nos vies, résume Mohammed, interrogé par le Guardian (en anglais). Cet homme de 36 ans avait d'abord fait allégeance au groupe Etat islamique, avant de fuir vers la Turquie. "Les habitants ne veulent plus [des jihadistes] après la sale expérience qu'ils ont eue avec eux, ils attendent que l'armée vienne les sauver". La délivrance est peut-être pour bientôt. A en croire un commandant irakien, cité par l'AFP, l'entrée des troupes dans la ville mardi marque "le début de la vraie libération de Mossoul".

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