Au Kurdistan irakien, comment le bureau de sauvetage des otages yézidis aide femmes et enfants à fuir l'Etat islamique
Piloté depuis Dohuk, au Kurdistan irakien, un réseau travaille sans relâche pour délivrer les otages yézidis détenus par des jihadistes de l'État islamique.
Alors que Baghouz, l'un des derniers bastions de l'État islamique en Syrie, est sur le point de tomber, un peuple a particulièrement souffert de ce califat : les Yézidis. C'est une minorité kurdophone installée dans le Sinjar, au nord de l'Irak. Plusieurs milliers d'entre eux, essentiellement des hommes, ont été massacrés par les jihadistes de Daech. Plus de 6 000 femmes et enfants ont été capturés et transformés en esclaves sexuels ou en soldats du califat.
Dans cette horreur, un groupe de huit personnes travaille sans relâche pour venir en aide à ces victimes : le bureau de sauvetage des otages yézidis. Situé au Kurdistan irakien, à Dohuk, il a arraché des griffes de l'État islamique plus de la moitié des Yézidis détenus. Franceinfo a pu rencontrer des acteurs de ce réseau, ce sont des témoignages rares.
Des dossiers "top secret"
Hussein El Qaidi, le directeur du bureau nous accueille, costume impeccable, drapeau kurde accroché au mur derrière lui. Une fois les otages délivrés, ils sont emmenés ici et sont interrogés par l'un des agents dans une salle spécifique. "Nous avons un document top secret dans lequel nous enregistrons toutes les informations depuis le premier jour de l’enlèvement de l’otage, jusqu’à sa libération. Voilà, il est fait de cette manière-là : avec la photo de l’otage et son empreinte." On y consigne toutes les informations recueillies sur les geôliers des otages : leurs noms, leurs habitudes. Un véritable travail de fourmi que mènent les huit fonctionnaires de ce bureau créé en octobre 2014 à l'initiative du Premier ministre kurde, Netchirvane Barzani.
Ils sont épaulés par des passeurs qui s'occupent de la partie opérationnelle. Des hommes de l'ombre qui ont tissé de nombreux réseaux sur le terrain. Grâce à leur détermination et à leur courage, plus de 3 000 otages ont déjà été libérés, essentiellement des femmes et des enfants. Mais presque autant manquent encore à l'appel. Alors où sont-ils ? "Les otages sont répartis dans trois endroits principaux : tout d’abord en Syrie, puis en Turquie et en Irak. Les jihadistes qui ont fui Mossoul, Tel Afar et la Syrie se sont réfugiés en Turquie. Nous avons des informations selon lesquelles ils ont pris des otages avec eux", explique Hussein.
Un scénario de libération à la James Bond
Le directeur vient d'ailleurs tout juste d'apprendre la libération d'une mère et de ses deux enfants. C'est Idriss qui s'en est chargé et son réseau de passeurs. Des commerçants, des agriculteurs, des médecins, qu'il rémunère souvent via le bureau. Ce sont des habitants des zones occupées par le califat. Depuis cette nuit d'août 2014 où il a survécu au massacre de son village avec quatre balles dans le corps, ce père de famille s'est juré de délivrer d'abord sa famille de l'emprise de l'État islamique, puis tous les Yézidis qu'il pouvait.
Sa méthode ? C'est un scénario à la James Bond qu'Idriss a bien voulu nous livrer. Quand il reçoit l'appel d'un otage, il tente de le localiser, puis lui donne rendez-vous : "Après avoir récupéré son adresse, je lui demande de sortir et de tenir par exemple un sac blanc à sa main droite. Si elle a un enfant avec elle, je lui dis 'tiens ton enfant de la main gauche et il doit porter un tee-shirt bleu ou rouge'. J’appelle 'le sauveur', c’est comme ça qu’on appelle le passeur, je lui dis 'tu vas t’arrêter là-bas'. Je dis 'tu vas voir une femme qui tient de la main gauche un enfant avec un tee-shirt bleu et qui tient un sac blanc de la main droite. Tu t’arrêtes, tu gares la voiture devant elle et tu dis 'Idriss'."
C'est comme ça qu'il y a un an et demi, Noura a pu fuir l'enfer dans lequel elle vivait, avec ses trois enfants. "Une voiture blanche s’est garée devant moi, il y avait deux hommes à l’intérieur, ils ont dit : 'Allez monte !' Je suis montée avec mes trois enfants", témoigne-t-elle aujourd'hui.
Dieu merci, on est montés dans la voiture à 9 heures le matin, à midi nous étions arrivés au checkpoint des combattants kurdes syriens.
Nouraà franceinfo
Cette trentenaire au regard triste, qui cache son corps sous une longue robe noire, raconte avoir été interrogée plusieurs jours au checkpoint par les combattants kurdes syriens avant de pouvoir franchir la frontière. À chaque étape, le passeur concerné tient Idriss informé. "Je lui demandais 'elles sont arrivées où ?' Alors pour me donner les preuves et pour ne pas que je le soupçonne, le passeur m’envoyait la vidéo pour me montrer qu’elles étaient dans le désert", explique Idriss qui nous montre la vidéo. "Voilà regarde, elles marchent dans le désert. Là on les voit sous une tente."
Sur son téléphone, Idriss nous montre aussi la photo d'une petite fille, le regard vide, le visage cerné d'un voile noir. C'est sa fille, âgée de 11 ans. "C'est un jihadiste qui m'a envoyé cette photo. Il sait qui je suis, c’est pour ça qu’il complique les choses. À chaque fois qu’on essaie il répond 'non, j’ai un trésor, on ne va pas le laisser filer.' Comparé à tout ce que je fais depuis le début, ça c'est le pire du pire, parce qu'elle est là-bas", confie Idriss.
Noura, elle, vit maintenant avec ses trois enfants dans le camp de Zakho, au nord de la Syrie. Son mari a été tué par Daech. Aujourd'hui, elle dit aller mieux : "Moi j’ai quatre enfants et je n’oublierai jamais ce que j’ai vécu. Même si je commence une nouvelle vie, il y aura toujours un malheur dans mon cœur." Ses enfants sont aujourd'hui suivis par une psychologue. Les cauchemars sont moins fréquents, les sourires reviennent. Soufiane, l'un d'entre eux, a même appris à chanter et à jouer de la musique. Noura rêve à présent d'Australie.
Ma vie n’a pas été belle, j’espère que celle de mes enfants le sera.
Nouraà franceinfo
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