Attentat de Nice et sentiment antimusulman en France : "l’objectif de Daech est presque atteint"
Chems Akrouf, expert en renseignement et en intelligence stratégique, estime que la montée du rejet des musulmans en France est une victoire pour le groupe Etat islamique.
Expert en renseignement et en intelligence stratégique, Chems Akrouf a travaillé à la direction du renseignement militaire de 2002 à 2011 et est désormais enseignant à l'université Panthéon-Assas. Pour francetv info, il aide à mieux cerner les motivations du tueur de Nice.
Comment caractériseriez-vous le profil du tueur de Nice ?
Chems Akrouf : Depuis janvier 2015, j’ai constaté une récurrence de trois profils type de terroristes ayant agi sur le sol français.
Tout d’abord, le "convaincu idéologique". Il ne présente en général aucune pathologie mentale, peut présenter quelques troubles de la personnalité mais il est relativement intégré dans la réalité. Son passage à l’acte par les armes est, pour lui, légitime et donc une continuité logique de son engagement qui passe par la mort.
Ensuite, les profils présentant des troubles de la personnalité, voire même des troubles psychiatriques lourds. Ce sont des personnalités vulnérables psychologiquement, elles ont donc pu facilement être manipulées et se retrouvent idéologisées. Ce profil est donc identifié par des recruteurs afin de l’employer comme arme une fois conditionnée.
Enfin, dernière catégorie : les copycats. Ce sont des personnalités très fragiles, à la limite du trouble psychiatrique et qui n’ont aucun contact réel avec une organisation terroriste. Ils présentent eux-mêmes une incapacité à s’organiser et à être en lien avec un groupe. Ce qui les conduit à agir seuls, dans la reproduction d’actes terroristes qu'ils ont vu dans les medias. Et ceci afin de signer leur appartenance à une mouvance terroriste, en passant à l’acte.
Mohamed Lahouaiej Bouhlel dont on découvre peu à peu le profil peut être classé soit dans le groupe 2, soit dans le groupe 3.
Comment s'organise la propagande de Daech et peut-on s'en servir pour lutter contre l'organisation terroriste ?
Les propagandistes sont devenus si importants au sein de l’Etat islamique qu'ils ont même acquis un statut très enviable, au cœur de l’organisation. Les responsables de ces cellules médiatiques sont traités comme des émirs et les égaux des chefs militaires du groupe terroriste. Un ancien caméraman de l’EI a expliqué qu’il était payé 700 dollars par mois (sept fois plus que le salaire d’un fantassin), voyait ses frais pris en charge, et était exempté d’impôts…
Nous entendons régulièrement des gens dire qui nous conseille d'écouter ce que nous dit Daech, afin de savoir comment répondre de manière appropriée et stratégique… Le faut-il vraiment ? Nous savons tous que l’état-major de Daech est constitué d’anciens militaires baasistes issus de l’armée irakienne de Saddam Hussein, qui était tout sauf islamistes, voire même très laïcs. Ces militaires intégrés dans les troupes de Daech utilisent la religion musulmane et le califat comme un "pot de miel" grâce auquel ils légitiment leur combat et promettent la terre sainte.
Aussi, l’idée que la solution est dans l’écoute attentive de la revendication des communicants de l’Etat islamique, pourrait être comparé au fait d’écouter une marionnette déguisée en djihadiste, sans savoir ce que veulent vraiment ceux qui tiennent les ficelles…
N'y a-t-il pas un risque que les actions de Daech créent un sentiment de rejet vis-à-vis des musulmans ?
C’est exactement ce que recherche cette organisation. Pour déstabiliser les sociétés occidentales, elle tente de diviser les populations et monter les communautés les unes contre les autres. Le rejet de l'islam ne cesse de monter en Europe et aux États-Unis. Cela a commencé en 1989 avec l'affaire Salman Rushdie au Royaume-Uni et avec le débat sur le port du foulard en France.
La défense de la laïcité est associée à une réponse de stigmatisation conditionnée par la propagande de Daech et qui permet à la classe politique de surfer sur du populisme latent. Aujourd'hui, les partis politiques qui prospèrent sur le rejet de l'islam représentent partout entre 20 et 30% de l'opinion.
L’objectif de Daech est presque atteint. Le sentiment antimusulman progresse fortement en France et la hausse des indicateurs de racisme est pour le moins préoccupante.
La question posée aux musulmans, après chaque attaque, par cette organisation est simple et ressemble à la question posée à l’époque par Georges W. Bush lui-même : êtes-vous pour ou contre nous ?
La mauvaise perception de la religion musulmane qui menacerait la laïcité et un certain modèle d’intégration sociale en difficulté est perceptible au quotidien. Rarement la défiance envers l'islam aura été aussi clairement exprimée par la population française. Daech semble donc en passe de parvenir à ses fins.
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