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Liban : "Il faut faire peser une épée de Damoclès" au-dessus des têtes des dirigeants libanais, estime le politologue Karim-Emile Bitar

Un an après l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth, le Liban n'a toujours pas formé de gouvernement ni entamé les réformes nécessaires pour obtenir les aides promises.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants défilent à Beyrouth avec une guillotine pour dénoncer la corruption des dirigeants du Liban, le 4 août 2021, un an après les explosions qui ont dévasté une partie de la capitale. (JOSEPH EID / AFP)

"Il faut faire peser une épée de Damoclès" au-dessus des têtes des dirigeants libanais, a martelé sur franceinfo le directeur du département de sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) Karim-Emile Bitar mercredi 4 août, alors qu'Emmanuel Macron a ouvert mercredi une visioconférence internationale d'aide au Liban, un an après l'explosion du port de Beyrouth. Le président français a condamné de nouveau sévèrement les "dysfonctionnements injustifiables" des dirigeants libanais et en promettant 100 millions d'euros de "nouveaux engagements, en appui direct à la population".

Pour Karim-Emile Bitar, il ne suffit pas de "remontrances verbales" envers la classe politique libanaise, mais il faut "les frapper au portefeuille". Le politologue estime par ailleurs qu'il faut sortir d'"un système de type sicilien" pour aller vers "un système fondé sur la citoyenneté démocratique", comme le réclame la population.

"La classe politique libanaise fait preuve de beaucoup de roublardise."

Karim-Emile Bitar

à franceinfo

franceinfo : Est-ce que les coups de semonce, les remontrances, la pression mise par la France, sont utiles ?

Karim-Emile Bitar : C'est utile si l'on ne s'en tient pas à des remontrances verbales et si l'on accompagne cela de sanctions. Il faut les frapper au portefeuille. Il faut geler leurs avoirs en France et en Europe, il faut les interdire d'accès au territoire européen. Il faut les délégitimer à l'approche des élections législatives qui doivent se tenir en mai 2022. Pendant trop longtemps, on s'est montré un peu trop naïf. Ils ont berné le président Macron l'an dernier. Ils l'ont bercé de promesses. Aujourd'hui, il faut faire peser au-dessus de leurs têtes une épée de Damoclès. Il faut se montrer beaucoup plus ferme envers eux. Il ne faut plus croire en leurs promesses. Il faut véritablement les sanctionner et leur mettre une pression extrêmement intense.

Est-ce que, d'après vous, il sera impossible d'obtenir un jour la vérité sur ce qui s'est passé ce 4 août 2020 ?

Il est toujours difficile au Liban de faire la lumière sur les assassinats politiques ou sur les explosions de ce type. Il n'y a toujours pas de loi sur l'indépendance judiciaire. La caste politique a tendance à faire bloc pour se protéger et l'impunité est la règle. Toutefois, il y a une pression très forte des familles des victimes. Et la population libanaise est déterminée à aller au bout, à exiger la justice et à en finir avec cette oligarchie coupable de négligence criminelle.

"On est véritablement dans un système de type sicilien où l'on écarte les dissidences et où les gêneurs sont liquidés physiquement."

Karim-Emile Bitar

à franceinfo

La nomination d'un Premier ministre, Najib Mikati, considéré comme l'homme le plus riche du Liban, n'est intervenue que la semaine dernière. Et pourtant, aucun gouvernement n'est formé. Pourquoi ?

Il y a toujours des incompatibilités d'humeur entre le président de la République, Michel Aoun, qui est un homme ombrageux, et le Premier ministre. Il y a aussi des considérations régionales. Le président de la République est allié au Hezbollah. Le Hezbollah, selon certains analystes, préfère attendre que les négociations de Vienne sur le nucléaire entre les États-Unis et l'Iran se débloquent avant que les Iraniens ne lâchent du lest sur le territoire libanais. C'est toujours des considérations régionales qui viennent se greffer sur une situation locale qui est elle-même très complexe.

Est-ce que la solution est de sortir du système communautaire qui est au pouvoir ?

C'est un système qui n'est plust une démocratie libérale, consultative, où les communautés se répartissaient le pouvoir. C'est devenu une oligarchie de type mafieux, où les chefs des communautés et se partagent les postes et les prébendes et où il n'y a pas de démocratie intracommunautaire. Ce que réclament une très large frange de la population, notamment une jeunesse qui veut transcender le système communautaire, c'est d'aller vers un système fondé sur la citoyenneté démocratique, sur un nouveau contrat social, sur une justice sociale, sur un développement économique, sur un système laïc.

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