Démission d'Hariri : "Les leaders libanais n'ont pas la moindre souveraineté, les décisions sont prises à Téhéran ou à Ryad"
Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l'IRIS, a commenté la démission du Premier ministre libanais, Saad Hariri : "Cette décision lui a visiblement été directement suggérée, ou même dictée, alors qu'il était en voyage en Arabie Saoudite."
Un an après être devenu Premier ministre du Liban, Saad Hariri démissionne. Il explique être l'objet de trop de menaces : "J'ai senti ce qui se tramait dans l'ombre pour viser ma vie" a-t-il expliqué samedi 4 novembre. Il estime que la situation est la même qu'avant l'assassinat de son père, l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, en 2005, dans un attentat attribué à l'époque au Hezbollah.
Pour Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l'IRIS, l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques, spécialiste du Moyen-Orient, "Il y a une véritable crise institutionnelle de plusieurs mois qui est en train de s'ouvrir" au Liban.
franceinfo : le gouvernement que dirige Saad Hariri regroupe toutes les tendances, y compris le Hezbollah, soutenu par l'Iran. Comment expliquer cette démission ?
Karim Emile Bitar : Il semble y avoir eu une véritable injonction saoudienne, une volonté de monter le ton, d'endiguer l'influence iranienne aussi bien au Liban qu'en Syrie. Saad Hariri s'est trouvé en porte-à-faux par rapport à ses parrains étrangers : cette décision lui a visiblement été directement suggérée, ou même dictée, alors qu'il était en voyage en Arabie Saoudite quelques jours auparavant.
Cela explique-t-il pourquoi il a fait cette annonce depuis Ryad ?
Absolument, ce qui a été très mal perçu au Liban, y compris parmi ses partisans, car on voit très clairement que les leaders libanais n'ont pas la moindre souveraineté, que les décisions sont prises à Téhéran ou à Ryad. Il y a aussi une volonté semble-t-il de Donald Trump de mettre la pression sur Téhéran : Trump n'a pas réussi à mettre un terme à l'accord nucléaire qu'Obama avait négocié, il souhaite mettre la pression sur Téhéran sur d'autres domaines. Il est parfaitement en ligne avec cette nouvelle politique saoudienne, et les Saoudiens ont le sentiment d'être aujourd'hui en position de faiblesse. Ils paniquent pour plusieurs raisons, et cette panique les conduit parfois à multiplier les erreurs, au Yémen hier, et peut-être demain au Liban.
Quel avenir pour ce pays ? Est-ce qu'on peut craindre une nouvelle guerre civile ?
Le Liban risque encore une fois de payer le prix de cette guerre des axes régionaux, de redevenir un état tampon, une caisse de résonance pour les multiples conflits régionaux. Il avait adopté depuis plusieurs années un politique de distanciation vis à vis du conflit syrien et de ces conflits régionaux. Malheureusement on se retrouve aujourd'hui empêtré à nouveau dans une guerre qui dépasse les Libanais, et cela est riche en menaces, à la fois pour la stabilité financière que pour les élections législatives qui étaient prévues.
Il y a une véritable crise institutionnelle de plusieurs mois qui est en train de s'ouvrir.
Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l'IRIS, spécialiste du Moyen-Orientà franceinfo
Une guerre civile libanaise peut-être pas, mais il y a peut-être des risques d'un conflit qui impliquerait aussi bien Israël que le Hezbollah que le sud de la Syrie. Il y a beaucoup de craintes aussi quant au renforcement de la mainmise iranienne sur le sud de la Syrie. S'il devait y avoir un embrasement, il impliquerait aussi bien le front libanais que le front syrien, et bien évidemment le Liban en paierait le prix plus que tout autre pays.
Que va-t-il se passer dans les prochaines semaines ? Il faut d'abord que cette démission soit acceptée par le président Michel Aoun. Est-ce systématiquement le cas ?
Le Premier ministre restera en place en tant que chargé des affaires courantes, jusqu'à ce que le Parlement désigne un successeur. Mais compte tenu de la polarisation actuelle, des très profondes divisions libanaises, on voit mal comment il pourrait y avoir un consensus sur un autre nom que celui de Saad Hariri. C'est pour cela que cette crise ne se résoudra probablement avant plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.