Otages du Hamas : comment la France a tenté de peser dans les négociations
Jusqu’au dernier moment, les autorités françaises ont retenu leur souffle. Depuis ce vendredi 24 novembre et le début de l’accord de trêve entre Israël et le Hamas, chaque jour, les responsables français en lien avec le Qatar attendaient le coup de téléphone ou le texto qui leur annoncerait la bonne nouvelle : la libération d’otages français détenus par le Hamas. Le message est finalement arrivé lundi 27 novembre au matin, quelques heures avant la libération effective, et après des jours d’échanges réguliers avec Israël mais aussi avec le Qatar, médiateur incontournable dans les négociations.
L’attente a été longue et pavée d’incertitudes. Il y a une quinzaine de jours, Emmanuel Macron identifie plusieurs risques : que les négociations pour une trêve patinent et que les otages français ne soient pas prioritaires. Le chef de l’État décide alors de missionner son ministre des Armées Sébastien Lecornu pour une tournée, dont l’un des objectifs sera de peser en faveur des otages français. La France, qui n’a rien à offrir, n’est pas au cœur des négociations menées entre Israël et Hamas par l’intermédiaire du Qatar, avec l’appui des États-Unis. En envoyant un de ses proches, Emmanuel Macron a donc choisi de se livrer à une lutte d’influence et de maintenir la pression sur l’ensemble des parties prenantes pour obtenir des libérations.
À Doha, jeudi 16 novembre en fin de journée, Sébastien Lecornu rencontre Mohammed ben Abderrahmane Al-Thani, Premier ministre et ministre des affaires étrangères de l’émirat. Celui qui négocie avec le Hamas d’un côté et Israël de l’autre donne des informations sur les otages français et en particulier sur les trois mineurs français aujourd’hui libérés : on comprend alors que ces trois jeunes pourraient figurer parmi de potentielles libérations. Car déjà s’esquisse l’accord qui verra le jour par la suite : la libération de 50 femmes et enfants, en échange d’une trêve et de la libération de Palestiniens détenus par Israël. C’est une confirmation aussi côté français : les mineurs et les femmes seront prioritaires. L'enjeu est alors de savoir combien de Français peuvent espérer être libérés, alors que trois enfants comptent parmi les disparus français. Mais la délégation s’inquiète : l’offensive à Gaza ne donne pas l’impression de décélérer et les Qataris apparaissent lassés de ces négociations qui patinent. "Ils en ont ras le bol", lâche un conseiller. Si rien ne semble encore gagné, la tendance semble positive, ce qui fera dire au ministre un peu plus tard dans la soirée à franceinfo qu’il a de "l’espérance" en vue de la libération d’otages français.
Une lutte d'influence
La fausse insouciance qui règne au bord de la plage Frishman dans le centre de Tel-Aviv, vendredi 17 novembre au matin, contraste avec la rencontre qui se déroule à quelques mètres de là. Dans une salle de réunion d’un grand hôtel, Sébastien Lecornu échange avec plusieurs familles d’otages français détenus par le Hamas. Le ministre leur fait part des informations obtenues la veille auprès du Qatar. Les familles écoutent, répondent, interrogent, comprennent que la nationalité française de leurs proches peut contribuer à leur donner l’espoir de les revoir. Mais pour cela, les efforts français doivent être utiles. À distance, en visite d’État en Suisse, à quelques minutes du début des rencontres de Saint-Denis, le président guette chaque avancée, au téléphone avec son ministre. S’assurer que le message passe bien, la veille à Doha, quelques heures plus tard à Tel-Aviv.
Tout le vendredi après-midi, Sébastien Lecornu et ses conseillers le passent enfermés au ministère de la Défense israélien. Ministre de la Défense, ministre des Affaires stratégiques, directeur du renseignement intérieur… Les entretiens se succèdent. Le Français tente de faire pression sur les autorités israéliennes. Les discussions sont intenses, presque physiques, et surtout, il ressort que les positions israéliennes divergent. Si certains conseillers du ministre décèlent une prise de conscience d’un risque de changement de pied de l’opinion publique israélienne, lassée d’attendre ses otages depuis 40 jours, d’autres officiels se montrent plus durs et jugent que plus l’armée israélienne aura avancé à Gaza, plus le Hamas sera disposé à négocier, moins "le coût de libération des otages sera élevé". Quitte à attendre. À la sortie des entretiens, les visages de la délégation française sont fermés. Malgré les désaccords apparents, la tension du moment, on comprend que les négociations ont avancé, qu’une trêve est possible à court terme, mais que le moindre mot, le moindre faux pas peut faire basculer les choses d’un côté ou de l’autre. Surtout, il apparaît désormais indispensable de retourner au Qatar pour s’assurer que l’avancée ressentie existe réellement dans les négociations.
Vérifier que les interlocuteurs sont fiables
À quelques minutes du décollage pour Doha, témoignage de la tension ambiante s’il en fallait, l’avion gouvernemental qui transporte le ministre est évacué. Des points orange s’élèvent dans le ciel, une alerte aux roquettes. Sébastien Lecornu est exfiltré dans une voiture blindée, la délégation et les équipes de l’ambassade se précipitent hors du tarmac et s’accroupissent derrière des blocs de béton. Un décollage à la verticale plus tard, l’ultime rendez-vous qatari se prépare. Il s’agit de vérifier "le paquet" : en clair, confirmer que les éléments qui entrent en négociation sont les mêmes entre toutes les parties, à commencer par la place des Français. Une façon de vérifier que cet accord qui semble se dessiner passe bien par les bons canaux de négociation, que tout le monde parle de la même chose et que les interlocuteurs sont fiables.
"Y retourner, cela met aussi la pression aux deux camps, on ne veut pas se faire avoir, ni dans un sens, ni dans un autre", confie le ministre à franceinfo. Le lendemain matin, samedi 18 novembre, à la sortie de ce nouveau rendez-vous avec le Premier ministre qatari, personne ne triomphe, mais un constat : "les choses se recoupent", lâche Sébastien Lecornu. La liste des possibles libérations apparaît stabilisée. Mais la prudence reste plus que jamais nécessaire : "On ne sait pas quand ça se fera, dit un proche du ministre , mais on sent qu’on a parlé aux bonnes personnes." D’autant que la conclusion de l’accord n’est pas entre les mains de la France. Le même jour, selon Reuters, à quelques mètres de là, à Doha, une ultime rencontre a lieu entre l’émissaire américain, le Premier ministre qatari et directeur de la CIA, William Burns, pour régler les derniers détails de l’accord.
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