Guerre entre Israël et le Hamas : pourquoi l'armée israélienne tarde à déclencher son offensive terrestre à Gaza
"Nous voulons démanteler complètement le Hamas, ses dirigeants, sa branche militaire et ses mécanismes de fonctionnement", a déclaré le chef d'état-major israélien, Herzi Halevi, dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 octobre, dans une vidéo postée sur X par l'armée israélienne. Depuis l'attaque terroriste sur son territoire, le 7 octobre, Israël s'est juré d'anéantir le mouvement islamiste au pouvoir dans la bande de Gaza. En deux semaines, les frappes aériennes se sont intensifiées et des milliers de soldats israéliens ont été déployés le long de la frontière avec l'enclave palestinienne. Toutefois, l'opération militaire terrestre annoncée par Tel-Aviv n'a toujours pas eu lieu.
Lundi, le quotidien Times of Israël rapportait que l'armée se tenait "prête", mais craint désormais que " le gouvernement ne donne jamais l’ordre de lancer l’offensive terrestre, ou la reporte". Cette attente "met à mal les nerfs de la population, de l'armée et du gouvernement", analyse Haaretz, un autre journal israélien, mardi, estimant que "la crise de confiance s'aggrave entre le gouvernement et l'état-major, et au sein même du gouvernement". Au regard de la détermination affichée par l'État hébreu, comment expliquer que l'opération n'ait pas été lancée ?
Parce que des négociations pour libérer les otages sont en cours
Selon le décompte des autorités israéliennes, environ 220 personnes sont toujours détenues par le Hamas dans la bande de Gaza. Après avoir relâché deux otages américaines, une mère et sa fille adolescente, vendredi, le mouvement islamiste a rendu leur liberté, lundi, à deux femmes de 85 et 79 ans, également enlevées lors de ses attaques du 7 octobre. Ces libérations entretiennent l'espoir au sujet des pourparlers, et contribuent, selon des experts, à maintenir les troupes dans l'attente. "Comment voulez-vous lancer une attaque terrestre quand on vous fait croire qu’une négociation est possible ?", relevait dimanche le général Dominique Trinquand, sur franceinfo, pointant le "machiavélisme absolu" de ce qu'il voit comme une stratégie du groupe terroriste : "Je ne crois pas un moment en l’humanité du Hamas et en sa volonté de libérer les otages".
Cette question reste pourtant un puissant levier diplomatique. Lundi, le Wall Street Journal a ainsi rapporté que, selon des responsables proches des discussions, le Hamas accepterait de libérer 50 otages, dont des ressortissants de pays étrangers, en échange de livraisons de carburant dans la bande de Gaza. Dans le même temps, la pression des familles s'accroît sur le gouvernement israélien pour donner la priorité à ces négociations, par rapport à de potentielles manœuvres terrestres qui fermeraient cette fenêtre de discussion.
Cette pression est aussi exercée par des dirigeants étrangers : "Le premier objectif que nous devrions avoir aujourd'hui est la libération de tous les otages, sans aucune distinction", a ainsi déclaré Emmanuel Macron au côté du président israélien, Isaac Herzog, à son arrivée à Jérusalem mardi.
Parce que ce n'est pas forcément la stratégie militaire la mieux adaptée
Pour le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, cette offensive sur la bande de Gaza sera "la dernière (...) , pour la simple raison qu’après elle, il n’y aura plus de Hamas", a-t-il assuré au centre de commandement de l’armée de l’air israélienne, à Tel-Aviv. " Cela prendra un mois, deux mois, trois mois, mais à la fin, il n’y aura plus de Hamas." Une façon de préparer l'opinion publique à un conflit qui pourrait durer et causer de très lourdes pertes au sein des forces israéliennes.
Or, pour de nombreux experts militaires, cette stratégie coûteuse sur le plan humain n'est pas la plus adaptée, étant donné la structure de l'organisation islamiste, dont les membres sont fondus dans la masse des 2,4 millions de civils palestiniens vivant dans l'enclave. "Le Hamas, c'est ce qu'on appelle dans le langage militaire une 'cible molle'. C'est-à-dire qu'on ne sait pas la détruire avec une invasion terrestre", a analysé l'ancien officier Guillaume Ancel, jeudi, sur franceinfo. "Or, c'est ce qu'ont préparé pour l'instant les Israéliens, faute d'alternative", poursuit l'expert.
"Israël est exactement dans le piège tendu par le Hamas."
Guillaume Ancel, spécialiste des questions de défenseà franceinfo
"L'armée israélienne est très efficace dans les airs. Elle peut causer des destructions, comme nous l'avons vu à Gaza, (...) mais elle ne peut pas garantir le succès de son infanterie", a expliqué dimanche, sur la chaîne qatarienne Al Jazeera, l'expert militaire Elijah Magnier, qui rappelle que Tsahal s'est retrouvée en très grande difficulté lors de sa dernière intervention terrestre dans la bande de Gaza, en 2014. "Ce n'est pas l'armée de l'air qui va occuper une rue après l'autre. Se battre en contexte urbain n'a rien d'une promenade, c'est extrêmement difficile, même pour les armées israéliennes".
Ainsi, pour le général américain David Petraeus, qui a dirigé les troupes engagées par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, "si [le Hamas] est aussi créatif pour défendre Gaza qu'il ne l'a été pour mener ses abominables attaques barbares [du 7 octobre en Israël], alors nous verrons des kamikazes, des engins explosifs artisanaux, des embuscades, des pièges et, bien sûr, ce terrain urbain, qui pose le plus de problèmes", a-t-il mis en garde dans un podcast du site Politico.
Parce que l'armée israélienne n'est pas encore prête
L'armée israélienne continue ses préparatifs en vue d'une offensive terrestre, massant des soldats aux abords de la bande de Gaza. "Israël ne peut pas dire qu'elle laisse tomber l'offensive qu'elle avait envisagée, mais l'ultimatum est reporté de jour en jour", relevait le général Dominique Trinquant, dimanche, sur franceinfo. " Il y a quand même des infiltrations de commandos dans la bande de Gaza pour préparer l'offensive, pour définir les objectifs à frapper par l'armée de l'air israélienne, et peut-être pour identifier où sont les otages. Mais pour le déclenchement, il faudra une décision politique", a-t-il poursuivi. Or, cette décision est jusque-là repoussée au nom de la préparation du terrain. La mobilisation, l'équipement et l'entraînement des 360 000 soldats réservistes ont d'abord justifié que l'Etat hébreu ne tente pas de manœuvres au sol, a analysé dimanche le Jerusalem Post.
Dans la deuxième semaine qui a suivi les attentats, des frappes intensives sur la bande de Gaza devaient permettre d'affaiblir le Hamas avant une intervention au sol. Si "les bombardements peuvent préparer le terrain pour une invasion", ils ne peuvent pas éliminer " le risque de pertes humaines importantes" pour l'armée israélienne, juge le Jerusalem Post. Le gouvernement "ne fait que reporter l'inévitable, entamer le moral des troupes et réduire la petite fenêtre pendant laquelle le monde laisse Israël combattre le Hamas à Gaza", conclut le quotidien, alors que les appels au cessez-le-feu se font plus nombreux à l'aune des lourds bilans des frappes aériennes parmi les civils palestiniens, notamment les enfants.
Parce que les alliés d'Israël craignent l'embrasement de la région
Depuis le début de la riposte israélienne sur Gaza, des violences opposent le Hezbollah libanais, allié du Hamas et de l'Iran, et l'armée israélienne à la frontière entre Israël et le Liban. De quoi faire craindre à la communauté internationale qu'une intervention terrestre israélienne entraîne une escalade sur cet autre front. Pour Michael Young, analyste au centre Carnegie pour le Moyen-Orient, le mouvement libanais veut "tenir suffisamment de troupes israéliennes loin de Gaza", a-t-il expliqué à l'AFP. Mais il pourrait aussi avoir pour objectif "de susciter la crainte d'un embrasement régional, ce qui conduirait à des pressions au sein de l'ONU, et peut-être même des Etats-Unis, pour appeler à un cessez-le-feu".
Selon le Wall Street Journal , des officiels américains ont en tout cas recommandé à Israël, lundi, de ne pas précipiter son opération terrestre. Le motif : laisser à Washington le temps de se préparer. Les Etats-Unis ont en effet annoncé dimanche le renforcement de leur dispositif militaire dans la région, et mis en garde l'Iran et des organisations armées alliées contre tout élargissement du conflit. Le lendemain, un groupe nommé "Résistance islamique en Irak" a revendiqué des attaques au drone contre les forces américaines déployées en Syrie. Des revendications communiquées via des chaînes Telegram affiliées aux factions chiites fidèles à l'Iran.
De son côté, l'Iran a averti que la situation risquait de devenir "incontrôlable" au Moyen-Orient, transformé en une "poudrière". "Si l'Iran veut rentrer dans le conflit, c'est vraisemblablement par le Hezbollah qu'il le fera", estime l'ancien officier Guillaume Ancel, qui décrit sur franceinfo les rouages d'un scénario d'embrasement, rappelant que "les Américains interviendraient pour empêcher le Hezbollah de menacer l'Etat d'Israël."
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