Gaza : "Il y a vraiment un sentiment de destruction totale", témoigne Léo Cans, chef de mission de Médecins sans frontières dans les Territoires palestiniens
"Il y a vraiment un sentiment de destruction totale", s'indigne, samedi 20 janvier sur franceinfo, Léo Cans, chef de mission de Médecins sans frontières dans les Territoires palestiniens. Il est, depuis quelques jours, dans le sud de la bande de Gaza, depuis lequel il livre son témoignage sur la situation.
Franceinfo : Vous êtes dans le Sud de la bande de Gaza, où se concentrent désormais les combats, notamment dans le secteur de Khan Younès. Quel a été votre premier constat ?
Léo Cans : Nous sommes à six ou sept kilomètres du centre de Khan Younès en ce moment et même à six à sept kilomètres, on entend très fort les bombes qui tombent toute la nuit, ça fait trembler les fenêtres, ça fait trembler les murs. Lorsque j'étais à l'hôpital de Nasser [à Khan Younès], il y a cinq jours, les vitres de la salle d'opération ont éclaté, alors que les médecins étaient en train d'opérer un patient. Il y a beaucoup de tirs, d'hélicoptères. Ça n'arrête pas jour et nuit.
Est-ce qu'il y a encore des bâtiments debout à Gaza ou est-ce que tout est détruit ?
Non, évidemment, il y a encore des bâtiments debout, mais il y a certains quartiers où la destruction est très importante. J'ai travaillé à Raqqa [en Syrie] et ça m'y fait penser aujourd'hui, avec beaucoup de destructions d'immeubles, de voitures... Il y a vraiment un sentiment de destruction totale.
Mais où vivent les gens justement et de quelle façon ?
Les gens sont complètement dénudés. La ville de Rafah [frontalière avec l'Egypte] est devenue un grand camp de réfugiés. Il y a des tentes partout dans la ville, sur la plage, sur les routes, ça crée des embouteillages. On ne peut même plus circuler ! Les gens ont très peu d'eau, très peu de nourriture. On voit des grandes queues de gens qui remplissent des bidons d'eau...
C'est extrêmement difficile pour la population. Ils vivent sous des tentes. Il fait très froid en ce moment. A Gaza la nuit, la température peut descendre à dix degrés, ils n'ont pas assez de couvertures. Donc il y a beaucoup d'enfants qui sont malades. Il y a beaucoup de gens qui toussent.
L'hygiène de base est très compliquée à avoir. Et les gens sont épuisés. On le voit. Il y a beaucoup de gens qui sont déprimés. Il y a vraiment un désespoir qui s'abat sur beaucoup d'entre eux, parce que beaucoup viennent du Nord où ils ont perdu leur maison. À chaque fois qu'on discute avec quelqu'un, il nous raconte qu'il a perdu sa maison, qu'elle a été détruite. Les maisons, pour un Gazaoui, c'est comme pour un Français, c'est toute une vie, c'est des économies de toute une vie.
Et puis il n'y a pas de futur, il n'y a pas d'avenir. Tout le monde attend la fin de la guerre. On se demande toujours quand est-ce que la guerre va s'arrêter ? Et évidemment, la situation dans les hôpitaux est catastrophique. Je dirais même qu'elle est cauchemardesque.
Il y a des problèmes d'eau potable. Vous nous disiez cela à l'instant. Et quelles sont les conséquences sanitaires ? Est-ce que vous redoutez des épidémies ? On a signalé des milliers de cas de diarrhée par exemple.
Oui, tout à fait, il y a la diarrhée et beaucoup de cas d'hépatites, beaucoup de maladies de la peau. Le niveau de santé de la population générale est en train de se réduire petit à petit et la densité de la population est tellement importante sur le sud, sur Rafah, que les maladies se propagent très vite. Il y a cinq jours, j'étais à l'hôpital Nasser et je suis passé aussi à l'hôpital européen qui sont les deux derniers hôpitaux du sud de la bande de Gaza qui sont en fonctionnement, les deux gros hôpitaux.
Et la situation est cauchemardesque parce qu'il y a énormément d'enfants, énormément de femmes, qui sont amputés, beaucoup de familles qui sont foudroyées. Donc, souvent, dans une même pièce, il y a plusieurs membres de la famille qui sont très gravement blessés et toujours déjà des gens qui sont morts.
Je discutais avec une petite fille qui s'appelait Miriam à l'hôpital européen. Son histoire est très caractéristique parce qu'elle a perdu son petit frère, sa petite sœur dans une frappe aérienne. Elle a perdu sa maman et son père est introuvable. Cette petite fille, Miriam, elle était amputée de la jambe droite, et à côté d'elle, il y avait sa tante qui avait une énorme blessure au bras et à la jambe aussi, et ne pouvait pas bouger de son lit.
On a dû changer le pansement de Miriam, sans anesthésie, parce qu'il n'avait pas d'anesthésie. Et cette petite fille de six ou sept ans a hurlé pendant 30 minutes, le temps de bien nettoyer la plaie... Et à la fin, c'était terrible, parce qu'elle a appelé sa maman, qui est morte. C'est ce genre de scènes qui se répètent, l'une après l'autre, dans tous les centres de l'hôpital de l'hôpital européen, comme de l'hôpital Nasser.
L'aide internationale a toujours du mal à arriver. Le porte-parole du Secrétaire général de l'ONU affirme qu'Israël bloque l'arrivée des cargaisons d'aide humanitaire. Vous l'avez constaté ?
Tout à fait. Ce matin même, on avait un mouvement pour aller à la ville de Gaza, à l'hôpital al-Shifa, pour apporter des médicaments et pour voir nos équipes qui sont là-bas. Et nous avons été encore bloqués au check-point de la ville de Gaza. C'est systématique de l'armée israélienne. Le gouvernement israélien empêche l'aide d'humanitaire d'arriver dans le nord de Gaza. C'est inacceptable.
On a des gros problèmes pour faire entrer du matériel, par exemple, on ne peut pas faire rentrer de générateurs. Donc nos équipes qui sont là, qui travaillent avec des horaires très, très difficiles, depuis quinze jours, n'ont pas d'électricité, se douchent à l'eau froide, on n'a pas d'électricité la nuit, c'est un petit panneau solaire qui nous donne de quoi recharger les batteries. Et c'est comme ça qu'une ONG est forcée de travailler parce que le gouvernement israélien refuse de nous laisser importer des générateurs.
Et c'est le même problème pour le matériel médical. C'est impossible de l'amener au nord de Gaza, là où les besoins sont énormes. C'est une population qui est totalement coupée du monde et c'est totalement interdit par le droit international. Les biens essentiels doivent pouvoir parvenir aux populations. Il n'y a aucune raison qui fait qu'on ne peut pas amener des médicaments, de l'eau ou la nourriture à ces populations qui sont complètement assiégées au Nord.
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