Conflit entre Israël et le Hamas : à l'université de Strasbourg, des tensions, un dialogue difficile mais "pas de guerre entre étudiants"
Depuis le 7 octobre, les attaques terroristes du Hamas en Israël et la guerre menée par l'Etat hébreu contre le mouvement palestinien à Gaza se sont invitées dans le quotidien de l'université de Strasbourg, comme dans celui d'autres facultés en France. En marchant dans le campus alsacien, en ce jeudi 21 mars, on tombe ainsi sur un drapeau palestinien recouvrant une palissade de chantier. Aux abords des amphithéâtres, on trouve aussi des autocollants "Free Gaza" ("Palestine libre").
Ces actions constituent la partie visible des mobilisations autour du conflit. Sous la surface, pourtant, l'actualité tragique se traduit d'un côté par la peur de l'antisémitisme chez des étudiants juifs, de l'autre par l'incompréhension de jeunes propalestiniens qui s'estiment empêchés de s'exprimer librement.
Le comité Palestine-Unistras (composé notamment de l'Alternative étudiante, Solidaires étudiants, la Fédération syndicale étudiante et du Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine) a été créé à l'automne avec deux mots d'ordre : l'appel à un cessez-le-feu dans l'enclave palestinienne et la lutte contre "la colonisation en cours depuis des années", explique Rayyân, responsable de l'Alternative étudiante. "On a commencé à se réunir à partir de novembre, frappés de voir que l'actualité n'avait pas d'existence sur le campus", témoigne Sarah*, membre du comité. Assise sur la pelouse, triturant nerveusement un brin d'herbe, la doctorante évoque le besoin d'"informer les étudiants" sur la situation à Gaza, notamment en collant des affiches, en distribuant des tracts, en débattant, en tenant des stands d'information ou encore en projetant des films.
"Il y a un vrai silence sur la question palestinienne. L'ambiance est très dépolitisée."
Rayyân, responsable de l'Alternative étudianteà franceinfo
Le comité s'inquiète toutefois pour sa liberté d'expression. Auprès de franceinfo, plusieurs de ses membres évoquent la surveillance de leurs réunions internes, durant lesquelles les portes doivent rester ouvertes. "Au début, les responsables de la sécurité essayaient même d'entrer dans la salle", assure Sarah. Le collectif propalestinien soutient aussi que ses demandes concernant les réservations d'une salle sont souvent acceptées tardivement. "Toutes les demandes ont été acceptées", répond pour sa part la présidence de l'université à franceinfo. "La surveillance des locaux est obligatoire pour la sécurité des étudiants", ajoute l'institution, qui assure qu'il n'y a "pas de surveillance des débats".
Plusieurs membres du collectif reprochent surtout au président de l'université, Michel Deneken, sa participation à la marche contre l'antisémitisme organisée le 12 novembre à Paris et dans plusieurs grandes villes. Aux yeux de ces étudiants, c'était un rassemblement de soutien à l'Etat d'Israël. "Cette marche avait vocation à dénoncer l'antisémitisme", se défend l'intéressé.
Des étudiants juifs confrontés à l'antisémitisme
Natacha confie de son côté qu'elle évite le campus depuis le 7 octobre. Installée dans une brasserie à l'écart de l'université, la présidente de la section locale de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) croit savoir que son nom "a circulé". Si elle ne suit pas de cours à l'université de Strasbourg, la jeune femme représente ceux qui, de confession juive, y suivent une formation. Elle assure, sur la base de remontées d'autres étudiants, que certains "n'osent plus aller en travaux dirigés", de peur "qu'on prononce leur nom de famille juif lors de l'appel". Des absences dont la présidence de l'université déclare à franceinfo ne pas avoir connaissance.
Depuis l'intensification du conflit au Proche-Orient, les étudiants juifs sont parfois confrontés, sur le campus, à des tags ouvertement antisémites, comme "Un bon juif est un juif mort". Des inscriptions à chaque fois effacées par l'université. La présidence confirme que d'autres slogans, "sous couvert de dénonciation de la guerre menée par Israël et de ses conséquences dramatiques pour la population palestinienne, s'en prennent parfois à la population de confession juive de manière générale". Le campus a aussi été le lieu de l'agression violente de trois jeunes juifs, traités de "fascistes sionistes", dans la nuit du 28 au 29 janvier.
Louis*, l'une des victimes de cette agression, rejoint la table où se trouve Natacha. Le jeune homme raconte qu'ils collaient des portraits d'otages du Hamas sur un mur, quand ils ont été jetés à terre et frappés par un groupe de six personnes. "J'ai mis une semaine ou deux avant de retrouver mes esprits. (...) J'avais ce stress de revenir sur le campus au début", explique-t-il, un ruban jaune accroché à son sweat, en soutien aux personnes capturées par le mouvement islamiste le 7 octobre. Il tente de "rationaliser" ses angoisses et de se rassurer en se disant que ses agresseurs n'ont pas clairement vu son visage.
Louis affirme ne pas être opposé aux "stands ou au tractage" sur la situation de la Palestine à la fac. "Tout dépend de l'axe et du discours qui est tenu", souligne-t-il.
Un dialogue possible, mais absent
Parce que l'université est un lieu de débat, la présidence veut être "suffisamment courageuse" pour permettre à ce sujet inflammable d'exister sur le campus, affirme Michel Deneken. Pourtant, aucun échange n'a eu lieu entre l'UEJF et le comité Palestine-Unistras. D'un côté comme de l'autre, on assure que les portes ne sont pas fermées, mais personne ne fait le premier pas.
En discutant avec les deux organismes, une lecture différente de ce qu'il se passe au Moyen-Orient, mais aussi des conséquences en France, se révèle. Ainsi, Sarah, membre du comité Palestine-Unistras, réfute le terme de "guerre", qui équivaut pour elle à "reprendre le récit israélien au mot près, alors qu'il s'agit d'un génocide contre les Gazaouis". En janvier, la Cour internationale de justice a appelé Israël à faire tout son possible pour empêcher tout acte de génocide dans la bande de Gaza. Mais elle ne s'est pas, pour l'heure, prononcée sur la question de savoir si Israël commettait un génocide.
La définition du sionisme fait aussi débat entre les deux collectifs. "Ce n'est pas soutenir la politique de Nétanyahou, mais le droit à défendre une présence sur le territoire", défend Natacha.
Sur les stands tenus par des militants propalestiniens, Rayyân essaie quand même de dialoguer avec tout le monde, "même avec ceux qui ont un avis tranché différent". "Encore une fois, on pointe un gouvernement, c'est contre lui qu'on s'oppose. On ne souhaite pas que des étudiants se sentent mal sur le campus", affirme le jeune homme.
De l'avis des personnes interrogées, il n'est pas rare que les crispations du pays et même les sujets internationaux trouvent un écho au sein de l'université. Néanmoins, Louis remarque que, cette fois, "la tension est presque identitaire". Une professeure, qui souhaite rester anonyme, dit le ressentir dans les salles de cours. "Un jour en classe, j'ai un grand nombre d'élèves qui ont affirmé que le Hamas [classé comme organisation terroriste par plusieurs pays occidentaux] était une organisation de résistance. J'ai tenté de recadrer la conversation. A la fin du cours, une étudiante est venue me voir, me disant que c'était intolérable mais qu'elle avait peur de donner son avis", témoigne l'enseignante.
Reste que cette actualité et ses répercussions n'intéressent pas l'ensemble des jeunes avec autant d'implication que les collectifs. "La réalité du terrain, c'est qu'il y a une augmentation des tensions, mais on n'est pas, non plus, dans une guerre entre étudiants", assure Michel Deneken.
Cette faible mobilisation se confirme dans l'amphithéâtre Sébastien-Brant, réservé par le comité Palestine-Unistras. Une petite vingtaine d'étudiants seulement assistent à une projection-débat autour du documentaire Five Broken Cameras, dans lequel un paysan d'un village de Cisjordanie raconte la lutte des habitants contre l'édification d'un mur de séparation par les Israéliens, entre 2005 et 2010.
Sur la pelouse du campus, quelques grappes d'étudiants profitent des premiers rayons de soleil printaniers. Interrogés, certains d'entre eux illustrent cet intérêt très relatif pour les débats actuels. "Euh, on m'a juste distribué des tracts", lâche une jeune femme aux cheveux rouges, interloquée par le sujet. Un autre étudiant, anglophone, balaie la question : "Je n'aime pas la politique." Aucun des deux ne savait que des jeunes juifs avaient été agressés sur le campus.
(*) Les prénoms ont été modifiés.
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