Affaire Khashoggi : "Le roi reprend la situation en main", analyse une chercheuse après la nouvelle version de l'Arabie saoudite
L'Arabie saoudite a admis samedi, dix-sept jours après la disparition de Jamal Khashoggi, que le journaliste saoudien avait été tué à l'intérieur du consulat du royaume à Istanbul. Franceinfo a interrogé Camille Lons, chercheuse pour le Conseil européen des relations internationales, sur ce revirement.
Après dix-sept jours de dénégations, l'Arabie saoudite a fini par le reconnaître. Samedi 20 octobre, le royaume a admis que le journaliste saoudien Jamal Khashoggi avait bien été tué dans les locaux de son consulat à Istanbul. Le procureur général Saoud Al-Mojeb a publié un communiqué sur le déroulement des faits. "Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l'ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort, que son âme repose en paix", écrit-il. Il n'a, en revanche, pas précisé où se trouvait le corps de Jamal Khashoggi, alors que les enquêteurs turcs poursuivent leurs investigations.
Que change cette nouvelle version des faits ? Quel impact cette affaire peut-elle avoir pour l'Arabie saoudite ? Franceinfo a interrogé Camille Lons, chercheuse pour le Conseil européen des relations internationales et spécialiste des pays du golfe Persique et de la péninsule arabique.
Franceinfo : Pourquoi l'Arabie saoudite change-t-elle de version en confirmant que Jamal Khashoggi a été tué dans son consulat à Istanbul ?
Camille Lons : L'Arabie saoudite est effectivement en train de changer de version. On note que le roi Salmane reprend en main la situation. Certains pensent d'ailleurs que le prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS, aurait demandé à son père, qui dispose d'une plus grande légitimité dans le royaume que lui, de reprendre en main ce dossier. Pour cela, le roi aurait demandé de l'aide à ses conseillers, notamment à Khaled Al-Fayçal, qui entretient des liens avec la Turquie et a de bonnes relations avec le président Erdogan. Le roi lui aurait demandé de faire la médiation avec la Turquie.
Que penser de cette version des faits qui est bien loin de ce qui a pu sortir dans la presse, notamment côté turc ?
Clairement, les Saoudiens essayent autant que possible de protéger la légitimité de MBS. Cette version des faits cherche à dédouaner le prince. On peut néanmoins douter de la véracité de cette version qui, étant donné les fuites côté turc, laissent à penser que c'était organisé. Parmi les quinze agents saoudiens qui se sont rendus à Istanbul, on retrouve des personnes proches des cercles politiques les plus élevés à Riyad. Néanmoins, il faut attendre que les investigations turques soient bien confirmées car les Turcs ont aussi des intérêts dans cette affaire.
Les deux pays sont en froid diplomatique. Les Saoudiens accusent, par exemple, les Turcs de soutenir les Frères musulmans, la bête noire de Riyad. Les Turcs se sont également positionnés en soutien au Qatar lors de la crise de l'année dernière. L'intérêt des Turcs est donc d'utiliser cette affaire pour déstabiliser l'Arabie saoudite. Mais il faut également relever l'absence de réaction officielle côté turc. Des rumeurs prêtent d'ailleurs aux autorités turques la possibilité de monnayer leur silence.
Quel impact cette affaire peut-elle avoir sur l'Arabie saoudite et sur Mohammed ben Salmane ?
La situation est compliquée en ce moment pour l'Arabie saoudite, surtout vis-à-vis de ses partenaires américains, car ils sont son premier fournisseur d'armes. La déclaration de Donald Trump, qui a jugé "crédible" la version de Riyad, peut toutefois rassurer les dirigeants du pays. Il y a en effet peu de chances que cette affaire mène à une rupture des relations avec l'Arabie saoudite, car les Américains ont intérêt à vendre leurs armes.
La grande question, c'est donc de savoir quel impact cette affaire va avoir sur la légitimité de MBS et sa possibilité de devenir roi. Certains pensent qu'il est peu probable que son père le désavoue car il a beaucoup investi en lui. Depuis un an, MBS a réalisé des purges dans l'opposition au sein de la famille royale. Il n'y a pas, aujourd'hui, de figure qui pourrait le mettre en danger. Néanmoins, s'il est trop directement condamné par les investigations et qu'il apparaît comme responsable, il va être difficile pour les Etats-Unis et l'Europe de continuer leurs relations avec Riyad. Il serait alors possible que Trump fasse pression pour mettre MBS de côté et rééquilibrer les pouvoirs qui lui sont attribués. On pourrait assister également à la nomination d'un vice-prince héritier.
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