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Pourquoi le marché de la croisière s'envole

Quatre milliards de dollars de commandes pour les chantiers de l’Atlantique. Un contrat record qui montre la santé du marché de la croisière. On estime que le carnet de commandes mondial compte 46 navires à livrer d’ici 2021, pour une valeur globale de 34 milliards de dollars. Quelles sont les clefs d’un secteur en plein boom avec 23 millions de passagers en 2015 (34 millions prévus en 2026)?
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Paquebots de croisière dans le port de Barcelone. (Tibor Bognar / Photononstop)

Les facteurs expliquant le succès des croisières sont nombreux. Développement des voyages en général, amélioration des bateaux, optimisation de l'offre et de sa gestion, baisse des prix, image modernisée, mondialisation du tourisme et intérêt des investisseurs pour un secteur dont ils maîtrisent toutes les étapes. 

Du cercle polaire aux îles grecques, des Caraïbes à la mer de Chine... Imaginez un hôtel dont la clientèle ne peut sortir (ou presque) pendant une semaine. Ce dont rêvaient les inventeurs des clubs de vacances, les croisiéristes l’ont fait. La clientèle d’une croisière, hormis les escapades, reste en effet totalement captive de l’hôtelier (le croisiériste) et de ses innombrables activités. 

De plus, les investisseurs qui ont mis sur pied ces monstres marins peuvent les déplacer sans problème en fonction des crises géopolitiques. Ce que ne peut faire le propriétaire d’un club de vacances ou d’un hôtel de luxe situé dans un pays en proie au terrorisme. «Le jeu pour les compagnies est d’attirer les clients en fabriquant de belles cages dorées, de les faire entrer dedans en leur proposant des prix ciblés et de leur proposer des services payants qui les satisfassent», note l’économiste François Lévêque.

Croisières : progression de l'offre  (CLIA)

La folie des grandeurs 
Dans ce contexte, pas étonnant que la taille des mastodontes des mers ne cessent de grandir. Les dernières commandes portent sur des navires longs de 360 mètres et larges de 47 mètres, proposant plus de 2.750 cabines passagers. Voir par exemple les derniers modèles en construction dans les chantiers STX de Saint-Nazaire. «Cette course à la taille et aux attractions est liée aux économies d’échelle et à la concurrence», ajoute l’économiste.
 
«Considérés comme des géants il y a moins de 20 ans, les bateaux de 90/100.000 GT de jauge et 1000 cabines sont aujourd’hui la norme, le gros de la flotte en construction dépassant même largement ce gabarit», note le site Mer et Marine.

L’investissement dans les bateaux atteindrait les 4 milliards de dollars en 2015, avec 22 nouveaux navires. Normal, le marché est là. Un marché de masse – 23 millions de passagers en 2015 – et rajeuni. Les croisiéristes sont en effet passés d'un âge moyen de 65 ans en 1995 à 49 ans aujourd'hui. «La croisière est un produit facilement substituable. Il est en concurrence avec des séjours à terre: un complexe touristique sur une île des Bahamas, un parc à thème à Orlando, ou un hôtel-casino du Strip de Las Vegas. Jusqu’à aujourd’hui, l’industrie de la croisière a su gagner des parts de marché sur ces concurrents. Ce qui explique son taux de croissance très élevé (7% par an en moyenne depuis le début des années 1980)», explique François Lévêque.

«Harmony of the Seas» en 2016, à la sortie des chantiers ST: 362 m de long, 42 m de large...  (LOIC VENANCE / AFP)

Les questions sécuritaires
Le tourisme est fortement tributaire des questions géopolitiques et sécuritaires. Au point d'être une des cibles du terrorisme. La chute de la fréquentation en Tunisie après les attentats du Bardo ou de Sousse le montre. Même l'hôtellerie d'une ville comme Paris a souffert des attentats de 2015. Les chambres vides dans le Sinaï ou en Tunisie témoignent des dégâts économiques de ces attentats. Dans ce contexte, investir dans des palaces flottants pouvant se déplacer au gré des événements politiques est tentant. 

Un navire lui ne connaît pas ces problèmes, même si indirectement, les croisières sont, elles-aussi, prises dans les conséquences de ces attentats, quand ce n'est pas directement. Lors de l'attaque du Bardo à Tunis, des passagers de navires en escale ont été victimes de l'attaque. Résultat, MSC et Costa ont supprimé l'escale de Tunis de leurs offres. «Certes, la croisière présente de ce point de vue un sérieux avantage puisque les bateaux peuvent facilement éviter les zones à risques et remplacer les escales en cas de besoin», note Mer et Marine «mais son espace géographique se réduit à mesure que les menaces s’étendent dans le monde».

Les croisiéristes ne comptent plus les zones à risques. «Les compagnies ont, ainsi, été obligées de faire une croix sur Egypte, la Libye, le Liban et la Tunisie. Alors que la situation reste tendue en Israël et que l’on redoute qu’elle se dégrade en Jordanie (Aqaba et Eilat étant la dernière alternative d’escale en mer Rouge), la Turquie est depuis peu dans l’œil du cyclone terroriste», précise le le magazine consacré à la mer. 

Quant au risque direct d'attentat, on sait qu'il existe depuis l'exemple de l'Achille Lauro (bateau détourné en 1985). Selon le CLIA (Cruise Lines International Association), ce risque est pris en compte par les professionnels. «De plus, le personnel de sécurité à bord de nos navires est bien formé et expérimenté. De nombreux anciens membres des forces de l’ordre font partie des équipes», affirme un de ses responsables

Répartition de l'offre de croisières dans le monde (CLIA)

Mondialisation de la croisière
L'Asie est le Graal des croisiéristes. En Chine, la croissance a été de 79% entre 2012 et 2014 même si le marché est encore très petit. Ainsi, 9,2% de la capacité mondiale sera déployée en Asie en 2016, contre 6% l’année d'avant. Et ce niveau devrait d’ici 2018 atteindre les 15%.

Mais ce sont toujours les Caraïbes qui font toujours la fortune de ce secteur. La région accueille environ le tiers de l'offre mondial. Le marché européen s’établit à 6,4 millions de passagers en 2014, soit un bond de 44% depuis 2008. 

Et les courbes montrent que la croissance devrait continuer. En Europe, le taux de pénétration de la croisière demeure très faible, puisqu’il est inférieur à 1,5%. Or, les professionnels estiment que d’ici 2030, il devrait passer à 3,5%. Une bagatelle qui représente 14 millions de passagers supplémentaires. De quoi remplir les nouveaux monstres des mers. 

Reste à savoir si les ports qui servent d'escales peuvent suivre ce rythme de croissance sans provoquer de véritables problèmes. Si la pollution en est déjà un (mais qui pourrait être limité avec les futures turbines à gaz), les embouteillages et la surpopulation des sites risquent d'être un véritable goulot d'étranglement.

Certains croisiéristes ont déjà pris conscience du problème et ont acheté leur propre île escale aux Caraïbes. Comme ça l'argent dépensé par la clientèle à terre... reste entre les mains du croisiériste.

Le nombre croissant de géants des mers à entrer dans la lagune menace les fondations de la «Sérénissime». (AFP)

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