Pollution aux PFAS par l'entreprise Chemours : la lettre d'élus néerlandais n'est ni une "alerte" ni une "mise en garde", selon la préfecture de l'Oise

Le 9 novembre, deux vice-présidents du conseil provincial de Hollande Méridionale ont écrit une lettre à la préfecture de l'Oise. Ils expliquent comment des PFAS produits par Chemours ont été rejetés dans l'environnement, "tant dans l'eau que dans l'air".
Article rédigé par Julie Pietri
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Illustration de l'usine Chemours. (REMKO DE WAAL / ANP MAG)

Ni une alerte ni une mise en garde : pour la préfecture de l'Oise, la lettre des élus néerlandais sur les activités de l'entreprise Chemours est un simple "partage d'informations" et "un échange de bonnes pratiques". Dans ce courrier, en date du 9 novembre, deux vice-présidents de la province de Hollande Méridionale tentent de prendre contact avec les autorités françaises à propos du géant de la chimie Chemours, implantée aux Pays-Bas et dans le département français. Ils attirent l'attention de la préfecture de l'Oise : "Étant donné que nos deux autorités publiques traitent avec la même entreprise et sont susceptibles d'être confrontées aux mêmes défis, nous espérons pouvoir apprendre les uns des autres et bénéficier d'un échange régulier d'informations." Les élus, qui ont appris que Chemours veut agrandir son site de Villers-Saint-Paul, invitent les représentants de la préfecture de l'Oise à leur rendre visite, à La Haye.

Un peu plus loin dans cette lettre, ils décrivent ce qu'il s'est passé chez eux, dans la périphérie de la commune de Dordrecht où vivent près de 100 000 personnes : l'arrivée de Chemours, qui s'appelait alors DuPont, dans les années 1960 et... la pollution aux PFAS, ces composés chimiques dotés de propriétés antiadhésives et imperméables. Extrêmement résistants dans l'environnement, ils sont aussi surnommés "polluants éternels".

Une "interprétation légère", regrette une ONG

A Dordrecht, racontent les élus néerlandais, Chemours a rejeté l'un de ces polluants éternels jusqu'en 2012 : le PFOA (acide perfluorooctanoïque). Cancérigène, il est interdit dans l'Union européenne depuis 2020. Ensuite, Chemours a utilisé une autre substance, le GenX (HPFO-DA), classée "extrêmement préoccupante" par l'Agence européenne des produits chimiques. Des pollutions ont été constatées dans l'environnement, dans les airs, dans l'eau. Frederik Zevenbergen et Meindert Stolk notent que la concentration de PFAS a augmenté dans leur région, à tel point que "des restrictions sur l'utilisation des jardins potagers et des eaux de baignade" ont été prises. Depuis 2016, "nous nous efforçons de réduire les émissions dans l’air et dans l’eau de divers composés perfluorés et polyfluorés". Les autorisations données à Chemours ont été modifiées et "en partie grâce à cela, les substances nocives pour l'environnement ont été réduites de 80 à 99%".

Pour la préfecture de l'Oise, ce courrier n'est donc ni une alerte, ni une mise en garde. "C'est une interprétation très légère de cette lettre", estime François Veillerette, dont l'ONG Générations Futures a porté plainte contre X pour pollution aux PFAS dans le secteur de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul. "Il y a clairement une volonté d'attirer l'attention : c'est une alerte, ça me paraît assez évident. Et moi, j'ai trouvé ça très bien que les élus hollandais prennent l'initiative de contacter la préfecture de l'Oise. Cela montre un grand sens des responsabilités : il y a là une volonté d'unir les puissances publiques par-delà les frontières nationales pour améliorer la situation, y voir plus clair pour agir."

Une enquête ouverte contre Chemours aux Pays-Bas

Aux Pays-Bas, une autre élue, Lies Van Aelst, cheffe du groupe socialiste du Conseil provincial de Hollande Méridionale, n'y va pas par quatre chemins : "Ici, Chemours a pollué tout le delta. Je comprends, sincèrement, que vous vouliez créer des emplois [80 emplois doivent être créés avec l'extension de l'usine de Chemours à Villers-Saint-Paul]. Sur le court terme, vous aurez peut-être du travail mais sur le long terme, l'ampleur des dégâts est inimaginable. Nous nous sommes dit qu'il fallait vous prévenir. Dites non à Chemours."

Aux Pays-Bas, la prudence vis-à-vis du géant de la chimie, déjà condamné aux Etats-Unis sous le nom de DuPont, ne s'arrête pas à cette simple lettre. 2 400 riverains ont porté plainte au mois de novembre pour contamination de l'environnement. L'avocate qui les représente, Bénédicte Ficq estime que le groupe a "intentionnellement et illégalement introduit des substances dans le sol, l'air, les eaux de surface, ce qui a entraîné un danger pour la santé publique et la vie d'autrui". Quelques mois plus tôt, la chaîne néerlandaise BNNVARA avait choqué en expliquant, "sur la base de documents judiciaires", que le chimiste connaissait déjà il y a 30 ans la gravité de la situation.

Un profil de risque à "faible préoccupation", selon Chemours

En France, la préfecture de l'Oise précise qu'elle impose à Chemours, via un arrêté préfectoral de mars 2023, "une surveillance des rejets dans l'environnement" et qu'un "diagnostic environnemental" a été prescrit. "L’exploitant a mandaté un bureau d’études", explique la préfecture qui ajoute que des analyses dans les puits privés, les œufs et les légumes autour de la plateforme chimique ont été décidées en ce mois de janvier. En 2022, Chemours a estimé avoir rejeté 59 kilos de PFAS et 2,6 kilos en 2023 (il existe des milliers de PFAS différents, entre 30 et 48 ont été testés par Chemours, notamment le dangereux PFOA).

"Chemours gère 58 sites dans le monde entier", réagit l'entreprise dans un communiqué. "Chaque site a des caractéristiques différentes". Le "nouveau" site de Villers-Saint-Paul doit permettre de fabriquer "des membranes utilisées dans la production d'hydrogène décarboné". Quant aux substances produites, elles ont, selon Chemours, un profil de risque à "faible préoccupation".

"Ce que nous souhaitons, réagit François Veillerette de Générations Futures, qui a mené ses propres analyses, c'est que toutes les données sur les rejets de PFAS par cette entreprise – et d'autres, d'ailleurs – soient rapidement rendues publiques."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.