Cet article date de plus de dix ans.
Résolution des députés français sur la Palestine : l'analyse de Charles Enderlin
Les députés français ont voté le 2 décembre 2014 une résolution socialiste, non contraignante mais très symbolique, «invitant le gouvernement français à reconnaître l'Etat de Palestine en vue d'obtenir un règlement définitif du conflit». Quel effet ce texte peut-il avoir sur la situation au Proche-Orient ? L’analyse de Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Quelles peuvent être les conséquences du vote de l’Assemblée en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien ?
Sur le terrain, cela ne changera pas grand chose, si ce n’est psychologiquement en apportant une forme de soutien au peuple palestinien. Au plan politique, c’est une preuve supplémentaire de l’érosion - de plus en plus importante - du soutien à Israël en Europe. On a eu un vote similaire par le Parlement britannique le 13 octobre dernier, sans grandes conséquences. La Suède, elle, est allée plus loin, quinze jours plus tard, devenant le premier pays de l’Union européenne à accorder à la Palestine une reconnaissance diplomatique en bonne et due forme.
Exprimant son mécontentement, Israël a rappelé son ambassadeur. Il faut rappeler que, depuis le 29 novembre 2012, la Palestine est un état «non membre» associé aux Nations Unies. L’Assemblée générale lui avait accordé ce statut par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. Cela donne la possibilité à Mahmoud Abbas, le Président palestinien, de décider d'adhérer à une quinzaine de traités internationaux, notamment au Statut de Rome, créant la Cour pénale internationale. Il pourrait y déposer une plainte pour «crimes de guerre» contre Israël.
En fait, alors qu’il va avoir 80 ans, Mahmoud Abbas, songe à son départ de la scène politique. Il sait que la probabilité d’aboutir à un accord avec Israël est des plus faibles et semble laisser à son peuple un héritage politique comportant des résolutions onusiennes et la reconnaissance de la Palestine par le plus de pays possibles.
L’éventualité d’élections anticipées en Israël change-t-elle la donne ?
Oui, pour l’heure, la rupture est totale entre les divers partenaires de la coalition gouvernementale et on va certainement vers une dissolution de la Knesset, le Parlement. Ce sera une élection fondamentale. Idéologiquement, Israël est à la croisée des chemins.
Des projets de loi, présentés par la droite et rejetés par le centre et la gauche, sont à l’origine de cette crise politique. Surtout le texte, redéfinissant la nature même d’Israël comme «l’Etat nation du peuple juif». Seuls les Juifs y auraient des droits nationaux. Les autres citoyens n’ayant que des droits individuels. A ce stade, la notion de «complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe» stipulée par la Déclaration d’indépendance de 1948 n’est pas mentionnée. En d’autres termes, les Arabes israéliens seraient exclus de l’identité nationale, exclusivement juive. Ce projet de loi, s’inscrit tout à fait dans la vision des fondamentalistes messianiques, du sionisme religieux.
Pourquoi le sionisme religieux prend-il précisément maintenant une place aussi importante dans la société israélienne ?
Effectivement, en alliance idéologiquement et politiquement avec la droite nationaliste, le sionisme religieux est un des éléments dominants au sein de la société israélienne. Ne comptant que quelques centaines d’étudiants issus d’une école talmudique de Jérusalem, en 1967, ce mouvement a réalisé une grande partie de ses objectifs.
Luttant contre tous les gouvernements travaillistes (parfois en les utilisant!), résistant à toutes les pressions internationales, combattant toutes les initiatives de paix, le sionisme religieux a mené le conflit israélo-palestinien à un point de non-retour en assurant la colonisation massive de la Cisjordanie où habitent aujourd’hui près de 380.000 israéliens - religieux et séculiers - dans des colonies situées sur 60% de ce territoire entièrement contrôlé par Israël.
Il faut rappeler le rôle des éléments les plus extrêmes du sionisme religieux. L’assassinat de 29 fidèles musulmans dans le caveau des Patriarches à Hébron, en février 1994, par Baruch Goldstein, un colon. Selon le Shin Beth (Service de sécurité intérieure, NDLR), ce massacre avait légitimé, aux yeux de la population palestinienne, les attentats suicides commis en Israël par Hamas. Cela avait fait basculer l’opinion publique israélienne et renforcé l’opposition aux accords d’Oslo. L’année suivante, en novembre, Yigal Amir, un autre extrémiste religieux, a assassiné le Premier ministre Yitzhak Rabin marquant ainsi le déclin du processus de paix.
Pourquoi ce phénomène ne semble-t-il pas avoir de contre-pouvoir laïc?
Je vous rappelle que la gauche séculière est très minoritaire. Selon la professeure de sociologie Tamar Hermann, elle ne représente plus que 15 à 17% de la population juive où 80% des personnes interrogées dans le cadre de son étude sur «Le portrait de l’Israélien juif» 51% croient en la venue du Messie.
Cela est-il uniquement lié à la «myopie» et à la faiblesse de la gauche séculière, comme l’explique l’ouvrage «Strong religion» ? Ou y a-t-il d’autres facteurs ? Et lesquels ?
Il y a certainement cette myopie séculière. Le professeur Zeev Sternhell, qui intervient dans mon film «Au nom du temple» que France 2 doit diffuser, et que je cite dans mon blog, le confirme.
Cela dit, c’est l’aboutissement d’un lent processus qui a débuté après la guerre de Six jours en 1967 et dont les composantes sont démographiques et politiques. Aux grands moments clés du processus de paix, la violence, quelle qu’en fut l’origine, est venue renforcer les arguments de ceux qui disaient : «Nous n’avons pas le choix. La paix avec les Palestiniens est impossible. Le monde est contre nous !» Face à ce genre de crise anxiogène, une partie de la société se tourne vers la religion.
La victoire des fondamentalistes est-elle inéluctable?
Vous savez, dans cette région du monde, rien n’est inéluctable mais tout est probable. Ce sera, sans aucun doute, un des thèmes principaux au centre de la campagne électorale qui vient de commencer en Israël.
Sur le terrain, cela ne changera pas grand chose, si ce n’est psychologiquement en apportant une forme de soutien au peuple palestinien. Au plan politique, c’est une preuve supplémentaire de l’érosion - de plus en plus importante - du soutien à Israël en Europe. On a eu un vote similaire par le Parlement britannique le 13 octobre dernier, sans grandes conséquences. La Suède, elle, est allée plus loin, quinze jours plus tard, devenant le premier pays de l’Union européenne à accorder à la Palestine une reconnaissance diplomatique en bonne et due forme.
Exprimant son mécontentement, Israël a rappelé son ambassadeur. Il faut rappeler que, depuis le 29 novembre 2012, la Palestine est un état «non membre» associé aux Nations Unies. L’Assemblée générale lui avait accordé ce statut par 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions. Cela donne la possibilité à Mahmoud Abbas, le Président palestinien, de décider d'adhérer à une quinzaine de traités internationaux, notamment au Statut de Rome, créant la Cour pénale internationale. Il pourrait y déposer une plainte pour «crimes de guerre» contre Israël.
En fait, alors qu’il va avoir 80 ans, Mahmoud Abbas, songe à son départ de la scène politique. Il sait que la probabilité d’aboutir à un accord avec Israël est des plus faibles et semble laisser à son peuple un héritage politique comportant des résolutions onusiennes et la reconnaissance de la Palestine par le plus de pays possibles.
L’éventualité d’élections anticipées en Israël change-t-elle la donne ?
Oui, pour l’heure, la rupture est totale entre les divers partenaires de la coalition gouvernementale et on va certainement vers une dissolution de la Knesset, le Parlement. Ce sera une élection fondamentale. Idéologiquement, Israël est à la croisée des chemins.
Des projets de loi, présentés par la droite et rejetés par le centre et la gauche, sont à l’origine de cette crise politique. Surtout le texte, redéfinissant la nature même d’Israël comme «l’Etat nation du peuple juif». Seuls les Juifs y auraient des droits nationaux. Les autres citoyens n’ayant que des droits individuels. A ce stade, la notion de «complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe» stipulée par la Déclaration d’indépendance de 1948 n’est pas mentionnée. En d’autres termes, les Arabes israéliens seraient exclus de l’identité nationale, exclusivement juive. Ce projet de loi, s’inscrit tout à fait dans la vision des fondamentalistes messianiques, du sionisme religieux.
Pourquoi le sionisme religieux prend-il précisément maintenant une place aussi importante dans la société israélienne ?
Effectivement, en alliance idéologiquement et politiquement avec la droite nationaliste, le sionisme religieux est un des éléments dominants au sein de la société israélienne. Ne comptant que quelques centaines d’étudiants issus d’une école talmudique de Jérusalem, en 1967, ce mouvement a réalisé une grande partie de ses objectifs.
Luttant contre tous les gouvernements travaillistes (parfois en les utilisant!), résistant à toutes les pressions internationales, combattant toutes les initiatives de paix, le sionisme religieux a mené le conflit israélo-palestinien à un point de non-retour en assurant la colonisation massive de la Cisjordanie où habitent aujourd’hui près de 380.000 israéliens - religieux et séculiers - dans des colonies situées sur 60% de ce territoire entièrement contrôlé par Israël.
Il faut rappeler le rôle des éléments les plus extrêmes du sionisme religieux. L’assassinat de 29 fidèles musulmans dans le caveau des Patriarches à Hébron, en février 1994, par Baruch Goldstein, un colon. Selon le Shin Beth (Service de sécurité intérieure, NDLR), ce massacre avait légitimé, aux yeux de la population palestinienne, les attentats suicides commis en Israël par Hamas. Cela avait fait basculer l’opinion publique israélienne et renforcé l’opposition aux accords d’Oslo. L’année suivante, en novembre, Yigal Amir, un autre extrémiste religieux, a assassiné le Premier ministre Yitzhak Rabin marquant ainsi le déclin du processus de paix.
Pourquoi ce phénomène ne semble-t-il pas avoir de contre-pouvoir laïc?
Je vous rappelle que la gauche séculière est très minoritaire. Selon la professeure de sociologie Tamar Hermann, elle ne représente plus que 15 à 17% de la population juive où 80% des personnes interrogées dans le cadre de son étude sur «Le portrait de l’Israélien juif» 51% croient en la venue du Messie.
Cela est-il uniquement lié à la «myopie» et à la faiblesse de la gauche séculière, comme l’explique l’ouvrage «Strong religion» ? Ou y a-t-il d’autres facteurs ? Et lesquels ?
Il y a certainement cette myopie séculière. Le professeur Zeev Sternhell, qui intervient dans mon film «Au nom du temple» que France 2 doit diffuser, et que je cite dans mon blog, le confirme.
Cela dit, c’est l’aboutissement d’un lent processus qui a débuté après la guerre de Six jours en 1967 et dont les composantes sont démographiques et politiques. Aux grands moments clés du processus de paix, la violence, quelle qu’en fut l’origine, est venue renforcer les arguments de ceux qui disaient : «Nous n’avons pas le choix. La paix avec les Palestiniens est impossible. Le monde est contre nous !» Face à ce genre de crise anxiogène, une partie de la société se tourne vers la religion.
La victoire des fondamentalistes est-elle inéluctable?
Vous savez, dans cette région du monde, rien n’est inéluctable mais tout est probable. Ce sera, sans aucun doute, un des thèmes principaux au centre de la campagne électorale qui vient de commencer en Israël.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.