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Peut-on croire le "naufragé du Pacifique" ?

José Salvador Alvarenga, pêcheur au Mexique, affirme avoir dérivé pendant 16 mois dans le Pacifique avant d'être retrouvé. Mais les spécialistes sont sceptiques. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
José Salvador Alvarenga aidé par un infirmier de l'hôpital de Majuro, à son arrivée dans la capitale des Iles Marshall, le 3 février 2014. (GIFF JOHNSON / AFP)

Il a rêvé de tortilla et de ses parents, et pensé au suicide. José Salvador Alvarenga, 37 ans, pêcheur au Mexique, a été récupéré, lundi 3 février, par un patrouilleur de la police sur le récif d'un atoll des îles Marshall. Il affirme avoir dérivé dans l'océan Pacifique durant 16 mois. Depuis, son récit interroge. Francetv info revient sur les questions qui se posent.

Une histoire rocambolesque

Le naufragé, uniquement vêtu de sous-vêtements usés au moment où il a été récupéré, affirme être un pêcheur de crevettes et de requins employé de la société de pêche Camaronera de la Costa. Il explique avoir quitté le Mexique le 24 décembre 2012 pour aller pêcher le requin avec un collègue lorsque des vents forts les ont éloignés de la côte et fait perdre leurs points de repère. Son compagnon serait mort de faim en mer, le jeune homme n'arrivant pas à garder la nourriture crue dans son estomac. 

Leur embarcation de 7 mètres aurait ainsi parcouru plus de 12 000 km. "Je ne connaissais ni l'heure, ni le jour, ni la date. Je ne savais qu'une chose : qu'il faisait jour ou qu'il faisait nuit. Je n'ai jamais vu la terre. Rien que l'océan", raconte-t-il à The Telegraph (lien en anglais).

Armé d'un seul couteau, il raconte avoir survécu en mangeant des tortues, des oiseaux et du poisson qu'il attrapait en plongeant son bras dans l'eau. Lorsqu'il ne pleuvait pas, il buvait du sang de tortue, mais aussi son urine. "Mon rêve depuis un an est de manger une tortilla, du poulet et plein d'autres choses", sourit-il. Plus sombre, ce fervent catholique ajoute : "Il y a eu des moments où j'ai pensé me suicider, mais j'avais peur de faire cela." 

Des médecins qui doutent

Grand costaud, cheveux décolorés par le soleil et barbe hirsute, José Salvador Alvarenga paraissait dans une forme physique étonnamment bonne à son arrivée sur l'atoll de Majuro, cinq jours après avoir mis pied à terre sur l'atoll reculé d'Ebon. "Il avait l'air mieux que l'on aurait pu s'y attendre", selon l'ambassadeur américain Thomas Armbruster, qui a joué l'interprète pour les autorités des îles Marshall. C'est cette "bonne" forme physique qui fait douter les spécialistes. 

José Salvador Alvarenga avant son départ et après avoir été secouru.  (JOSE CABEZAS / HILARY HOSIA / AFP)

"Jamais un homme n'a tenu aussi longtemps. Si son récit est vrai, alors c'est exceptionnel", pointe Hilmar Snorrason, président de l'IASST, une association internationale pour la sécurité et la survie. "Dans les conditions de chaleur rencontrées dans cette zone tropicale où il a dû transpirer beaucoup, avec des vents faibles, c'est étonnant", abonde le Dr Jean-Yves Chauve, médecin français des courses au large, habitué des aventures de l'extrême en mer.

"Sans eau, on tient environ sept jours. Après, on perd peu à peu conscience et définitivement sous un soleil de plomb (...). Et boire son urine, c'est absorber des substances toxiques pour l'organisme", précise Hilmar Snorrason. 

Quant à la nourriture absorbée, faite uniquement de protéines, elle interpelle le Dr Chauve : "Si elles sont utiles pour la structure musculaire, elles ne le sont pas pour le fonctionnement du corps humain, qui a besoin de glucides. Sans sucre, il ne fonctionne pas, et en premier lieu, les neurones." Enfin, note le médecin, le naufragé ne présente pas de signe apparent de carence en vitamine C, qu'on ne trouve que dans les fruits et les légumes. "Normalement, il devrait avoir (...) des déchaussements de dents, des gencives qui saignent, un épuisement du corps, ce qu'il n'a pas", insiste-t-il.

Des incohérences dans les dates et rapports officiels

Son trajet, avec un départ du Mexique pour le Salvador et achevé près des Iles Marshall (dans l'océan Indien), est crédible, selon Erik Van Sebille, un océanographe australien, qui se base notamment sur le déplacement des déchets observés en mer. 

Et le Dr Chauve ne s'étonne pas que le pêcheur n'ait croisé aucun bateau dans le Pacifique, "où la circulation des navires est beaucoup moins intense que dans l'Atlantique"

En revanche, selon Europe 1, plusieurs incohérences sont à noter dans les dates et rapports officiels. En effet, si la société de pêche Camaronera de la Costa a bien signalé la disparition d'un bateau le 17 novembre 2012, le rescapé affirme être parti le 24 décembre de la même année. De plus, selon The Guardian (lien en anglais), les deux pêcheurs disparus se nomment Cirilo Vargas et Ezequiel Córdova, et sont âgés de 38 ans. Nulle trace d'un José Salvador Alvarenga, qui relate, lui, avoir perdu un compagnon d'une quinzaine d'années. 

Pour autant, des pêcheurs mexicains du village de l'Etat du Chiapas, où Alvarenga a commencé son odyssée, l'ont reconnu : "C'est bien lui, mec, c'est 'La Chancha' [son surnom], on ne peut pas se tromper", a notamment déclaré Jorge Rodriguez, un des fils du patron de ce nouveau Robinson. 

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