Ryad : un goût d'«autodafé» à la foire du livre
Les ouvrages du poète Palestinien Mahmoud Darwich, considéré comme le plus brillant de sa génération, ont tous été retirés des stands. Pour la police religieuse, ces œuvres contiennent des références à «l'athéisme et ont un caractère blasphématoire». Ces mesures ont aussi frappé les auteurs du renouveau de la poésie arabe comme les Irakiens Badr Chaker al-Sayyah, Abdel Wahab al-Bayati, et le Palestinien Moïn Bsisso.
Les livres concernant le droit des Saoudiennes à conduire ont également été interdits. Selon le quotidien Okaz : «Plus de 10.000 copies de 420 titres ont été retirées par les organisateurs de la foire» sous la pression des religieux. C'est la police religieuse qui est chargée de faire respecter les «normes». Elle est connue pour ses interventions musclées afin de vérifier le code vestimentaire et sévir contre tout écart de conduite jugé contraire à l'idéologie.
L'irruption et le zèle des islamistes laisse un goût amer chez les auteurs censurés. Même si la comparaison est osée, et si dans les faits cette censure intellectuelle ne fait pas de l'Arabie Saoudite l'Allemagne d'avant guerre, l'image des «autodafés» peut affleurer la conscience. L'Histoire se souviendra à jamais du 10 mai 1933 où, à Berlin, les livres jugés «anti-allemands» et « immoraux» furent brûlés par des étudiants.
Interrogée par l'AFP, Aziza al-Youssef, militante saoudienne des droits de l'Homme, explique son étonnement devant ces retraits. Elle estime que, finalement, ils «feraient contribuer à la notoriété des auteurs censurés». Dans une liste publiée par le quotidien Saudi gazette se trouve également le livre Quand les Saoudiennes auront-elles le droit de conduire? Son auteur Abdallah al-Alami a reçu des menaces anonymes. Un sujet qui divise la société saoudienne, entre ceux qui défendent les droits des femmes à conduire, et les autorités religieuses qui les rejettent.
Cette liste concerne également le livre Révolution, de l'Egyptien Wael Ghoneim, l'un des inspirateurs de la révolte qui a conduit en 2011 au départ de Hosni Moubarak en Egypte.
Le 4 mars, le ministre de l'Information et de la Culture, en visite au salon du livre, a été pris à partie par des islamistes venus dénoncer la présence d'ouvrages «hérétiques», relate france 24. Les pertubateurs ont été vivement expulsés par les vigiles. Selon Yasser, un étudiant de 22 ans présent au salon, cité par France 24, «c'est la première fois qu'ils en viennent aux mains. Ca en dit long sur la tension dans le pays. J'ai vu une dizaine d'hommes venir discuter avec des vendeurs de livres. Les hommes, très remontés, ont commencé à reprocher aux libraires de vendre des livres-immoraux ─ des romans avec des passages sexuels ou des ouvrages-déistes ou parlant mal de l'Islam. Les éditeurs les ont renvoyés vers le ministre de la Culture. Le ton est rapidement monté et la conversation a mal tourné. Les islamistes ont commencé à crier: "Vous parlez de liberté dans l'édition pour laisser ces livres hérétiques, mais vous interdisez ceux qui parlent de l'Islam."»
Tous les ans, la foire du livre est le théâtre de ce genre de scènes. Mais la violence verbale et physique est une première. La tension actuelle en Arabie Saoudite est très vive et le pouvoir Royal contesté. Mais les autorités ne peuvent pas se permettre d'ouvrir un front contre les islamistes dans la capitale.
Peu après l'ouverture de la foire du livre, un éditeur saoudien, réputé proche des Frères musulmans, a vu son stand retiré et ses ouvrages confisqués. Le ministre de la Culture Abdel Aziz Khouja a accusé l'éditeur «d'avoir introduit frauduleusement et tenté de diffuser des ouvrages interdits qui portent atteinte à la sécurité du royaume, ce qui est une démarche illégale et immorale». L'Arabie Saoudite vient de placer les Frères musulmans sur la liste «d'organisations terroristes».
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