L’attitude mouvante de Mohamed Morsi après les violences
Alors que le président égyptien a soutenu jusqu’au 14 septembre des manifestations pacifiques contre un film américain islamophobe qui a mis le feu aux poudres trois jours avant, il a changé d’attitude face à la tournure violente que prend la mobilisation.
La veille déjà, il condamnait les violences que ce brûlot a engendrées dans la région, Mohamed Morsi l’a qualifié d’«agression» qui «détourne l'attention des vrais problèmes au Proche-Orient». Dont acte.
Les Frères musulmans, dont il est issu, ont eux aussi retiré leur appel à protester en Egypte. Et le N°2 de la confrérie islamiste, Khairat al-Chater, a même écrit au New York Times pour indiquer que les Etats-Unis et les citoyens américains ne pouvaient être tenus pour responsables de ce film. Pas sûr que cela suffise à éteindre le feu !
Morsi appelle à rejeter la violence
AFPTV, le 13 septembre 2012
En lançant après l’attaque de l’ambassade américaine au Caire, «nous tous Egyptiens rejetons toute forme d'agression ou d'insulte visant le Prophète», le président égyptien n’avait pas calmé le jeu. Et ce, même s’il avait fait évacuer les abords du bâtiment, histoire de montrer qu’il n’était pas du côté des extrémistes.
Et il n’avait pas condamné les attaques anti-américaines juste après les condoléances suivant la mort de l'ambassadeur américain, tué par des islamistes radicaux en Libye le 11 septembre.
Un comportement désavoué
A son homologue américain, il avait même demandé de «prendre des mesures juridiques de dissuasion à l'encontre de tous ceux qui veulent nuire aux relations (…) entre le peuple égyptien et celui des Etats-Unis».
«Quel genre de message envoie-t-il quand il ne dit rien après la violence ? Il est faible et il est à la merci de certains des groupes les plus conservateurs islamistes», avait alors analysé un Caïrote, dans The Daily Beast. «S'il condamne énergiquement les manifestants, il est perçu comme un laquais des Etats-Unis. Et s'il appuie la position des manifestants contre le film, il reçoit les critiques de la communauté internationale», lançait un autre témoin.
Ramener l’Egypte dans le jeu diplomatique
Depuis son élection en juin 2012, l’islamiste Mohamed Morsi a montré ses ambitions : ramener l'Egypte au centre du jeu diplomatique au Proche-Orient et avancer ses pions en ménageant la chèvre et le chou. Entendre : les Américains (qui octroient 1,3 milliards de dollars d’aide militaire à l’Egypte) et les monarchies sunnites du Golfe (dont les pétrodollars lui sont d'une aide indispensable).
Et il a plutôt bien réussi jusque là. Sa visite en Iran a rassuré l’Oncle Sam. Il a su se montrer ferme vis-à-vis de la Syrie, alliée, entre autres, de Téhéran. En outre, sa proposition de former un quartet de médiateurs internationaux sous l’égide du Caire, de Ryad, d’Ankara et de Téhéran pour contribuer au règlement du conflit syrien a fait consensus.
Il a su également rassurer les pays du Golfe sur sa capacité à encadrer l'influence des Frères musulmans, les monarchies craignant que la confrérie ne fasse monter la contestation sur leur sol.
Idem avec Israël. Dans un premier temps, son offensive militaire contre des islamistes radicaux dans le Sinaï en août 2012, avait surpris et inquiété l’Etat hébreu, mais Morsi a fait retomber la pression en réaffirmant son attachement aux accords de paix israélo-égyptiens de 1979.
Habilité et recherche de consensus
Le dirigeant vend le changement en Egypte de l’après-Moubarak. A tel point, que les Américains, que ce fils de paysans connaît bien pour avoir étudié outre-Atlantique, ont tissé des liens avec les Frères musulmans, honnis par le régime précédent. Morsi veut montrer que les Frères sont des gens fréquentables, gages de stabilité…
Au final, loin d’être une roue de secours de la confrérie, comme il a pu être présenté avant le début de son mandat, Morsi a réussi rapidement à se débarrasser de ses ennemis, les militaires au pouvoir sous la coupe du maréchal Tantaoui, qui ont tenté, en vain, de limiter son pouvoir.
Premier civil à accéder à la présidence égyptienne depuis la chute de la monarchie en 1952 –tous ses prédécesseurs étaient issus des rangs de l'armée – l’ingénieur a su manœuvrer avec finesse.
Pourtant, dans son propre pays, il fait face aux critiques, en raison notamment de nominations dans la presse gouvernementale. Ce qui déplaît aux milieux libéraux et laïques, que l’emprise croissante des islamistes dans les instances dirigeantes inquiète.
Maintenant, il va devoir montrer sa capacité à calmer la rue pour asseoir sa crédibilité dans le monde.
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