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En Irak, les inspecteurs de l'ONU et de l'AIEA avaient raison

Des inspecteurs de l’ONU ont enquêté sur les armes chimiques en Syrie. Difficile de dire si cette enquête reflétera la réalité. Un précédent existe: celui de l’Irak entre 1991 et 2003, quand des équipes d'inspecteurs se sont succédé dans le pays pour y traquer des armes de destruction massive. Les résultats de leurs travaux étaient plus proches de la réalité que les affirmations américaines...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Inspecteurs de l'ONU sur un site sensible en Irak (ici à Amariyah, à 40 km au sud-ouest de Bagdad) le 27-11-2002. (Reuters - Pool - Hussein Malla)

Le 5 février 2003, le secrétaire d’Etat américain Colin Powell brandit à la tribune de l’ONU une fiole censée contenir de l’anthrax. Une preuve, selon lui, que le régime de Saddam Hussein détient des armes de destructions massives. Par la suite, il reconnaîtra avoir menti et qu’il s’agit d’une «tache» dans sa carrière. Un mensonge, qui est celui de toute l’administration Bush.
 
L’affaire avait en fait commencé douze ans plus tôt, après la première guerre du Golfe. Plus exactement le 3 avril 1991, quand le Conseil de sécurité adopte la résolution 687 exigeant que l’Irak mette fin à ses programmes biologique, chimique et nucléaire, et détruise ses missiles balistiques d’une portée supérieure à 150 kilomètres. A cette fin est créée la Commission spéciale des Nations Unies (UNSCOM) pour contrôler le démantèlement des armes de destruction chimiques et bactériologiques, ainsi que les missiles. De son côté, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est chargé de la même chose pour le matériel nucléaire. Ces missions sont confiées à des inspecteurs des deux organismes.

Premier round
Les opérations d’inspection commencent en mai 1991, sous la direction du Suédois Hans Blix, alors directeur général de l’AIEA, et de son compatriote Rolf Ekeus. S’engage alors pendant sept ans, jusqu’en 1998, un jeu du chat et de la souris entre, d’un côté, les inspecteurs et l’ONU, et de l’autre, les autorités irakiennes plus que rétives à leur travail de. Celles-ci feront obstacle à de multiples reprises aux représentants des deux organisations internationales.

La première visite a lieu dans un établissement où sont stockés des éléments chimiques. En septembre 1991, l’ONU fait une «réprimande publique» au responsable des inspecteurs américains, David Kay, accusé de divulguer des renseignements à son pays avant de les fournir aux Nations Unies.

Le 11 octobre 1991, le Conseil de sécurité adopte la résolution 715. Un texte qui impose au régime de Saddam le contrôle permanent de ses installations civiles et militaires susceptibles de fabriquer des équipements de destruction massive. Bagdad n’acceptera sa mise en œuvre que deux ans plus tard.

Inspecteurs de l'ONU (à gauche) marchant près d'un portrait de Saddam Hussein sur le site de Ibn al-Haitham (20 km au nord de Bagdad) le 20-2-2003). (AFP - Ahmed Al-Rubye)

En juillet 1992, l’UNSCOM entame la destruction d’importantes quantités d’armes chimiques et de capacités de production irakiennes. Mais les autorités de Bagdad refusent l’entrée des inspecteurs dans le ministère de l’Agriculture suspecté abriter des documents détaillant les programmes de missiles balistiques.

En février 1994, l’AIEA retire d’Irak tous les stocks déclarés de matière pouvant servir à fabriquer des armes nucléaires. En juillet 1995, le régime de Saddam admet pour la première fois avoir eu un programme biologique.

Mars 1996 : les inspecteurs de l’UNSCOM sont à nouveau bloqués pour entrer sur cinq sites. Mais dans le même temps, l’organisation onusienne est autorisée à sortir, à des fins d’analyse, du pays des éléments de missiles détruits.

En janvier 1998, nouveau blocage, Bagdad estimant que trop d’inspecteurs sont Américains ou Britanniques. En décembre, après de nouveaux blocages d’inspections, Washington et Londres déclenchent l’opération Renard du désert en bombardant l’Irak pendant quatre jours.

Les inspecteurs quittent l’Irak. Dans le même temps, le nouveau président de l’UNSCOM, Richard Butler, est critiqué pour sa partialité. Il aurait été en permanence en contact avec le Conseil national de sécurité des Etats-Unis. Et des journaux, comme le Washington Post, accusent les services de renseignement américains d’avoir «infiltré des agents» dans les équipes d’inspection.
 
A cette époque, l’UNSCOM et l’AIEA estiment que «leur travail n’est pas terminé», rapporte le site de l’ONG Arms Control Association (ACA). L’Irak n’a «jamais complètement» respecté ses obligations, selon l’ONU.

En décembre 1999, l’UNSCOM devient la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations Unies (COCOVINU). Ladite COCOVINU est présidée par Hans Blix, ancien responsable de l’AIEA. Où il a été remplacé par Mohamed el-Baradei.

Hans Blix (à droite) et Mohammed el-Baradei (à gauche) à l'ONU le 14-2-2003. (Reuters)
 
L’«axe du mal»
Dans son discours sur l’Etat de l’Union le 29 janvier 2002, le président des Etats-Unis George W. Bush explique qu’Irak, Iran et Corée du Nord constituent un «axe du mal, armé pour menacer la paix du monde». En septembre, l’Irak accepte inconditionnellement le retour des inspecteurs qui arrivent sur place en novembre.
 
Washington et Londres veulent la guerre. Le gouvernement britannique publie un rapport émanant de ses services secrets, selon lesquels le régime irakien «continue de développer des armes de destruction massive».

Mais le 7 mars 2003, la COCOVINU rend son rapport. Selon Hans Blix, «après une période de coopération quelque peu réticente, il y a eu une accélération des initiatives irakiennes» pour le désarmement. Concernant les armes chimiques et biologiques, il était moins catégorique, même si les inspections n’avaient rien trouvé. Côté AIEA, Mohamed el-Baradei rapporte que les missions de l’AIEA n’ont relevé «aucune indication de reprise d’activités nucléaires» dans les sites identifiés. Au total, estime aujourd’hui l’ancien chef des inspecteurs de l’ONU, les renseignements obtenus par son équipe étaient plus proches de la vérité que ceux des services occidentaux. Nettement plus proches…

Hans Blix: la guerre en Irak était illégale

Interview à CNN, 19-3-2013

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